Le Languedoc eut le privilège d’avoir été traversé par une des premières grandes routes "la Voie Domitienne", qui fut la plus ancienne voie de communication établie par l’autorité Romaine en Gaule, reliant l’Italie à l’Espagne à travers le littoral méditerranéen.
Elle fut fréquentée à l’époque, par les Grecs et les autochtones. Elle fut aménagée au départ, par les commerçants Ioniens installés sur le golfe de Lion depuis le VIe siècle av. J-C.
L’immense chantier nécessita des moyens financiers et techniques importants fournis par l’état et les légions.
Les réparations, l’entretien, la construction des voies secondaires ou privées incombèrent aux populations locales.
Les Volques apparus au IIIe siècle av J-C, utilisèrent cette route pour s’étendre sur le Languedoc. C’est eux qui autorisèrent Hannibal à emprunter la voie Hérakléenne lors de sa marche sur Rome en 218 av. J-C.
A cette époque la chaussée fut suffisamment large et compacte, faite de grandes dalles qui servirent de fondation dans les passages instables, pour laisser circuler une armée de 59 000 soldats, plusieurs milliers de cavaliers et la légendaire compagnie des 37 éléphants de guerre .
Les commerçants Romains se mobilisèrent à l’insu des négociants Grecs pour l’entretien, l’amélioration et la sécurité .
Un contrôle des liaisons terrestres fut mis en place par les troupes romaines le long du littoral méditerranéen, des Alpes aux Pyrénées.
Les travaux furent conduits rondement par le Proconsul Domitius ; il inaugura, juché sur un magnifique éléphant, la route qu’il venait d’achever, en 118 av. J-C .
Il imposa l’image du prestige et de la puissance de Rome. C’est là que la voie Hérakléenne devint la" Voie Domitienne" en hommage au proconsul qui l’avait aménagée.
C’est une oeuvre immense pour l’époque ; elle est comparable à celle des réseaux autoroutiers contemporains.
Cet axe à la fois stratégique , politique et commercial, fut un témoignage archéologique exceptionnel. Il s’étendit sur près de deux cents kilomètres, depuis le Rhône jusqu’à la frontière pyrénéenne. En parcourant cet itinéraire, les monuments qui le bordèrent, les étapes qui le jalonnèrent, on a pu retrouver ce que furent à une époque antérieure à l’ère chrétienne, les conditions dans lesquelles circulaient les voyageurs, les marchands, les armées .
L’action de rénovation n’eut pas seulement une grande valeur culturelle, mais fut aussi un élément fondamental du développement du tourisme.
Tout au long de ce fil conducteur, les visiteurs trouvèrent les souvenirs de la période romaine .
Cette voie qui parut où disparut dans l’infrastructure de l’autoroute "la Languedocienne" pendant trois kilomètres garda le Pic Saint Loup en point de mire, tout comme le faisait jadis la voie Hérakléenne.
Les travaux les plus spectaculaires pour la construction ou l’amélioration de la route furent les constructions d’ouvrages sur les cours d’eau.
Les ponts, conçus pour garantir la circulation, même pendant les crues torrentielles des petits fleuves côtiers, servirent de point d’ancrage aux premiers habitats des colons romains .
Ces ponts drainèrent naturellement toute la circulation locale ; la plupart datent de l’époque Augustéenne (1er s. av. J-C) au moment du grand programme d’équipement de la nouvelle province, dans un but stratégique et militaire.
C’est sur la Voie Domitienne Nîmes – Montpellier en arrivant à la hauteur de Gallargues, que l’on peut plonger vers l’ancien gué du Vidourle où les Romains élevèrent le pont d’Ambrussum qui dut son nom à l’oppidum prélatin juché sur la butte de la rive droite.
LE PONT D’AMBROIX
Le site d’Ambrussum fut découvert au XVIIIe siècle par l’historien Léon Ménard.
Le pont d’Ambrussum débouche sur une colline calcaire de 48 mètres d’altitude, recouverte de garrigues, occupée par une ville relais gallo-romaine abandonnée et mise à jour de 1969 à 1985.
Le pont fut construit avec des blocs de mollasse blanche extraite des carrières d’Aubais. Ils furent soigneusement appareillés en particulier sur l’extrados des claveaux qui s’ajustèrent remarquablement aux assises horizontales des écoinçons.
Ils ne furent joints par aucun ciment, leurs liaisons furent assurées là où elle furent indispensables, soit par des scellements au plomb, soit par des mortaises à tenon .
Une mince corniche souligne avec élégance encore aujourd’hui l’imposte des arcs où saillent trois corbeaux qui ont manifestement servi à porter les échafaudages lors de l’élévation de la voûte.
Les bâtisseurs eurent le souci d’asseoir l’ouvrage sur le substrat calcaire et les assises de la culée droite sont directement posées sur le rocher rive droite.
Dans le lit du fleuve, ils ont construit les premiers lits de chaque pile dans des coffrages en bois, fixés au fond par des pieux.
Des détails caractérisent la construction, la présence du côté amont, d’éperons brise-lames triangulaires à la base de chaque pile.
Ainsi des ouvertures entre chaque arche, des dégorgeoirs rectangulaires, jouèrent un double rôle sur une rivière sujette à des violents accès de colère, d’une part, en facilitant l’écoulement des eaux de crue, et d’autre part, elles diminuèrent la pression exercée sur les parties pleines.
Ces fenêtres de décharge sont très rares sur les ponts construits en Italie à la même époque.
Le Pont eut au moins 11 arches et plus de100 mètres de longueur. On ignore à quelle date il a connu sa première destruction..
Il comptait 4 arches au début du XVIIe siècle.
Elles furent représentées par un dessin à la plume de Anne Rulman en 1627. Elles étaient encore debout lorsque Vic et Vaissette écrivirent l’histoire du Languedoc en 1730.
L’inondation du 18 septembre 1745 emporta l’arche le reliant à la rive gauche.
Sur un croquis du marquis d’Aubais publié en 1757, il n’y eut plus que trois arches et une cinquième pile avec la naissance des arcs.
Puis un tableau de Gustave Courbet au musée Fabre de Montpellier, le représente avec les deux arches qui résistèrent jusqu’à la crue violente du 27 Septembre 1933 qui emporta l’arche voisine de celle qui existe. Le responsable, fut "Vidourle".
Il ne reste, aujourd’hui de cet ouvrage, qu’une arche isolée au milieu du fleuve.
Actuellement il est à craindre que cette arche restante, encore plus vulnérable de par son isolement, à la merci d’une grande crue ne disparaisse comme ses soeurs. Un projet est en préparation pour le restaurer en ajoutant une ou deux arches pour consolider celle qui existe et qui peut servir de modèle.
Depuis 2O ans, des piles furent repérées et des pierres retirées du Vidourle furent stockées sur la berge rive droite, en 1983, pour la reconstruction ( ? ! ) d’une arche.
Ambrussum, grâce aux fouilles qui se succédèrent et se dérouleront encore, apparut comme un des grands témoins de la civilisation du Languedoc-Oriental.
LE PONT DE SOMMIERES
Plusieurs voies secondaires traversèrent le Bas-Languedoc : celle qui nous intéresse est la route reliant Nîmes à Vieille-Toulouse. Elle fut longtemps insoupçonnée ; pourtant cette transversale revêtait déjà un caractère majeur à l’époque Celte, en reliant les deux capitales Volques.
Elle le conserva après l’arrivée des Romains comme en témoigne le pont de Sommières sur le même Vidourle. Avec des dimensions inhabituelles, il représente un des plus beaux ouvrages d’art de la Gaule romaine, après le Pont du Gard.
Cette route laissait Nîmes pour arriver sur un chemin appelé "Ancien chemin de Sommières à Nîmes ". Elle apparaît ensuite au sud de Congénies et se retrouve dans un ancien chemin vicinal qui portait au cadastre primitif le nom "d’Ancien Grand Chemin de Sommières ".
Celui-ci fait, d’une part, la limite entre Villevieille et Junas et d’autre part, la limite entre Villevieille et Sommières. Il descend sur Sommières au quartier du Saut du Cheval dont le nom remémore sans doute un passage connu pour ses accidents.
Le pont romain, ou pont de Tibère, à Sommières sur "Vidourle" est l’un des ouvrages d’art les plus importants de la Gaulle romaine, le mieux conservé de l’aire française, malgré les restaurations qu’il a subies aux XVIIIe et XIXe siècles.
Il fut construit avec dix-sept arches sur une longueur de 19O mètres. Les neufs piles et les voûtes subirent de profonds remaniements.
Pour découvrir les parties non restaurées, il faut avoir accès au sous-sol des immeubles qui s’élèvent de part et d’autre de la rue médiévale appelée la rue du Pont, servant de caves actuellement .
Avec ses 9,75 m d’ouverture, l’arche du milieu est légèrement plus grande que les six arches qui l’encadrent à droite et à gauche, et qui ont un diamètre de 9,10 m.
Les piles uniformément larges, de 2,93 m furent pourvues d’un avant bec formé d’un carré massif de 2 m prolongé d’une pointe triangulaire de 2,10 m.
Elles furent percées de dégorgeoirs en plein cintre de 2,25m de hauteur.
Dans tous ces ouvrages de la première époque, rien ne traduit une recherche de décor, sauf les becs du pont de Sommières marqués de dessins sophistiqués et des batardeaux soulignant le parapet. A Sommières toujours, les clefs furent en saillie, affirmant avec le bossage général la volonté de mise en valeur de l’ouvrage.
Il fut construit avec des pierres jaune clair, taillées remarquablement, qui furent extraites des carrières voisines de Pondres d’où l’on a tiré également les blocs des différentes restaurations.
Il est caractéristique des techniques de l’époque, avec son appareil en bossage, ses ouïes, son profil en long parfaitement plat, en raison de sa longueur originelle, sa corniche marquant la naissance des voûtes comme à Ambrussum .
Il faut croire que les ingénieurs romains avaient une parfaite connaissance du régime des eaux des rivières sous-cévenoles et qu’ils avaient pleinement conscience du volume des "Vidourlades " puisqu’ils avaient prévu 17 arches afin de laisser le libre écoulement aux plus fortes crues.
Henri Pitot né à Aramon en 1695, mort à Aramon en 1771, pensionnaire du Roi en son Académie Royale des Sciences, Inspecteur Général de la jonction des mers et Directeur des Travaux Publics de la Province affirme que le Pont est composé de 18 arches.
Peu à peu la ville médiévale grignota les deux côtés du pont maintenant réduit aux deux cinquièmes de sa longueur d’origine. Le pont présentait son parapet de 1,32m dont le couronnement était élevé de 9,41m au-dessus des basses eaux .
L’étiage actuel est de 7,50m.
Il ne reste plus, aujourd’hui, que 8 arches rive droite et 6 arches rive gauche, celles-ci servant de caves à tout un côté.
Treize arches sont de niveau, puis le pont s’abaisse aux deux extrémités ; ce sont les parties cachées dans le sous sol des immeubles de chaque côté du pont .
A chaque montée des eaux, les arches restantes ne permettent plus le passage de la crue et constituent un véritable obstacle qui provoque l’inondation de la plaine et des bas-quartiers.
Les diverses restaurations l’ont défiguré et on a de la difficulté à reconnaître un pont romain tout au moins dans la partie dominant Vidourle.
Par contre, on peut voir l’architecture originale dans les caves. Les maisons appuyées au Pont ont tendance à s’enfoncer, formant des angles importants avec l’aplomb. Une étude est en cours par l’I.U.T de Nîmes .
Le pont une fois franchi, la voie antique se dirigeait sur le petit Galargues par le quartier de la Montade, en visant l’aplomb du Pic Saint-Loup.
Après avoir contourné par le sud l’ancien oppidum de Montmel – Mormolacum – la voie antique reprenait la direction du Pic Saint-Loup, empruntait la combe qui le sépare du Pic d’Hortus et sert de passage depuis la protohistoire, retombait sur Gardiol où aurait été établi un camp romain, et parvenait à Saint -Martin de Londres où elle descendait vers le sud-ouest .
Les Celtes et Romains ne s’étaient d’ailleurs pas contentés d’améliorer les liaisons entre leurs différents chefs-lieux. Ils avaient multiplié les itinéraires de jonction entre les routes principales et avaient tissé autour de Nîmes une véritable toile d’araignée de chemins, de voies. De nombreuses agglomérations étaient devenues des noeuds routiers .
LE PONT DE BOISSERON
On emprunte encore le pont romain de Boisseron, dont l’architecture n’est pas visible par manque de perspective.
Cet ouvrage d’art est situé sur la bretelle reliant la route de Vieille-Toulouse à la Domitienne entre Sommières et Vendargues. Ce pont faisait la liaison entre la Via Domitia et la voie Nîmes-Lodève en franchissant la Bénovie affluent capricieux du Vidourle. C’est le petit frère méconnu du pont d’Ambrussum.
Il montre toujours ses 5 arches initialement de 3,50m, en grand appareil dont les quatre ouïes rectangulaires furent obstruées.
Elles sont encore bien visibles au milieu du léger bossage en table qui envahit tout le parement, et le profil en dos d’âne, fut remblayé par la suite .
La description de Grangent et Durant note, en 1819, que le pont antique fut bien conservé malgré des restaurations "qui ne lui ont rien fait perdre de son caractère primitif ".
Il fut doublé en amont au XIXe siècle pour supporter la circulation moderne de la route de Montpellier-Sommières-Alès.
Plus on étudie le réseau des voies antiques Volques et Romaines plus on en admire la capillarité et la facilité de communications qui en résultaient.
Autant qu’on puisse en juger, le pont primitif doit être à peu près contemporain de ceux d’Ambrussum et de Sommières dont il présente les même caractéristiques, bien que plus modeste .
La symétrie fut la règle dans la construction des ponts romains.
Une autre ressemblance avec Ambrussum : l’entablement sur les piles à la naissance des arcs, la clé d’arc en saillie, les corbeaux ayant servi au cintrage, les ouïes rectangulaires, l’absence d’arrière-bec. Les avant-becs triangulaires ont été reproduits sur la façade moderne.
Il est curieux de constater que l’étoile des chemins qui de Nîmes s’irradiaient autrefois vers Bellegarde, Beaucaire, Pont-Saint-Esprit, Le Vigan, Sommières et Gallargues forment toujours des axes qui relient le chef-lieu du département à ces villes d’origine gallo-romaine .
Si on met à part les deux liaisons, Nîmes Gallargues et Nîmes Pont-Saint-Esprit desservies par l’autoroute, on constate que les autres routes n’atteignent pas le double de la largeur des voies antiques.
Depuis deux millénaires, la densité et la vitesse des véhicules sont au moins multipliées par vingt. Faut-il croire que le budget qui était consacré à la voirie par les gouverneurs de la province romaine était supérieur au budget public affecté à nos ponts et chaussées !
LA CONSTRUCTION DU PONT POUR LUTTER CONTRE L’EAU
Le pont fut traité comme un monument fonctionnel, une oeuvre d’ingénieur rationalisée, sans exagération technique.
Comparerait-on la série d’arches d’Ambrussum, Sommières, Boisseron, à une série d’arcs de triomphe permettant le passage du cours d’eau, que l’on ne se tromperait que modérément. Car au moins dans le premier siècle de l’Empire, le pont reprit les proportions d’une architecture forte et puissante.
L’aspect général du pont à toute époque dut respecter un point au moins, une hauteur supérieure aux plus hautes eaux enregistrées.
La conséquence très fréquente sur le profil en long des ouvrages, compte-tenu des contraintes techniques, est que celui-ci dépassait le niveau naturel des rives, ce qui conduisit à adopter un profil en dos d’âne plus ou moins accusé.
Il est intéressant de constater que cette contrainte fut dans les esprits une caractéristique de l’époque romaine, et que les ponts qualifiés de romains à cause de leur dos d’âne ne remontèrent pas plus haut que le XVIIIe siècle, tout particulièrement dans les régions de crues torrentielles.
Mais cette attribution populaire est d’autant moins valable que les époques, les constructeurs, cherchèrent au contraire à s’en libérer : la solution fut, bien évidemment, de faire respecter le gabarit des arches et non pas d’une seule, l’arche maîtresse.
Ce fut une obligation pour le franchissement des grandes vallées, celle de la Loire, du Rhône et dans le même temps Sommières et Ambrussum furent cités.
Les ponts médiévaux d’Avignon, Pont Saint-Esprit comme tant d’autres, étaient parfaitement plats.
L’essentiel de l’effet architectural est en fait dans ces ouvrages, double :
L’horizontalité marquée par les corniches moulurées à la base du parapet, ainsi que par la relative constance des ouvertures et des montées.
La monumentalité accusée par la succession des pleins et des vides, le plein cintre étant l’argument majeur.
La fondation des piles de pierre
Le pont fut un édifice qui impose au sol des charges concentrés sur des surfaces réduites, celles des piles, se traduisant par des contraintes que le constructeur dut faire admettre au sol. Il fallut rechercher sous les alluvions du lit une couche géologique proche qui permette d’encaisser les contraintes des piles. Il est vraisemblable que la fondation sur pieux fut connue dès une haute antiquité :
Vitruve, dans son traité, cite de façon explicite les deux méthodes : l’on rechercha d’abord le "solide", et l’on disposa sur lui des semelles "plus larges que ne sera le mur qu’elles durent soutenir".
Si l’on ne parvint pas à trouver le "solide", on dut battre des pilotis de chêne, d’olivier ou d’aulne, brûlés en pied pour être plus résistants.
Dans les interstices, à la partie supérieure, il fut recommandé de verser du charbon. Si l’on analyse le texte, il propose de donner à la fondation une profondeur du quart de la hauteur des piles, en y ajoutant encore la hauteur du tablier, qu’il soit voûté ou charpenté.
La fondation sur pieux existe aussi de façon fréquente, mise au jour à Ambrussum. Ces pieux furent dotés de cônes métalliques destinés à les protéger pendant le battage.
Ces ensembles de pieux supportèrent une plate-forme de bois, à claire-voie ou jointive, formant semelle et supportant la maçonnerie.
La fondation superficielle existe aussi, puisqu’on la trouve au pont du Gard sur le rocher.
Virtuve expliqua " S’il est nécessaire de construire l’édifice dans l’eau, faire une caisse triangulaire, étanche à l’extérieur avec de la poix et de l’étoupe pour que l’eau n’y entre pas .
Descendre la caisse dans l’eau entre quatre bateaux au lieu désiré, une fois en place la maintenir avec des pierres et de la maçonnerie".
Le batardeau fut une enceinte étanche permettant d’épuiser le site de la fondation, de mettre au jour les couches géologiques intéressantes.
Appelé "arche" (du latin arca, caisse), "bateiz" "estanche", "escluse", le batardeau fut dans son principe de base, constitué par une double enceinte de palplanches, longues planches affutées à leur extrémité, confortées par des pieux assurant la paroi.
L’intervalle entre ces deux enceintes fut aussi rempli de terre glaise ou d’argile, souvent mélangée avec le l’étoupe ou du fumier : ce fut le " conroy " suivant l’appellation consacrée.
La maçonnerie
La construction d’une pile put se faire suivant deux circonstances :
soit le niveau de l’eau est suffisamment bas pour maçonner à sec ; ce fut rare.
soit l’on maçonne, à sec mais à l’intérieur du batardeau avec des moëllons maçonnés à bain de mortier, les " libages ", (il s’agit avant tout d’un mélange de deux constituants : le sable noir, ou gris, ou rouge, ou tuf, puis la chaux éteinte).
Les assemblages de ces premières assises purent se passer de mortier à l’époque romaine.
Les pierres se lièrent entre elles par des clés métalliques horizontales placées dans des encoches ménagées à cet effet.
La durée de vie de ce batardeau ne se réduisit donc pas à la seule fondation, elle se poursuivit jusqu’à ce que la pile fut au-dessus des eaux.
Pendant toute cette période, l’intérieur de l’enceinte dut être tenu hors d’eau. Puis les maçons posèrent les grandes pierres, des "tables", pour former au-dessus les premières assises.
D’une façon très fréquente, les premières assises situées sous le niveau des hautes eaux furent appareillées en pierres très dures.
La construction des voûtes
Une fois les piles construites au-dessus du niveau de l’eau, les arches purent se bâtir. L’élément essentiel de la maçonnerie d’une voûte de pont fut son cintre .
Beaucoup d’ouvrages de l’époque romaine se distinguent par l’emploi des consoles.
Du cintre à la voûte, le pas fut facile à franchir, puisque la voûte fut, en définitive, la conséquence logique du cintrement. Etant le point clef de la construction du pont, les modes de mise en oeuvre de ses arches requièrent un soin extrême.
Mais en ce qui concerne les techniques mêmes de construction des voûtes, on s’attachera plutôt aux dispositifs, eux aussi identifiables à posteriori, consistant à l’économie des cintres, ou à leur préfabrication.
Lorsque l’on examine les ponts romains du 1er siècle, il est impossible de passer sous silence le dispositif systématique de la partition de la voûte en anneaux indépendants les uns des autres.
C’est la particularité à Sommières, Boisseron, Pont-du-Gard, tous indiscutablement datés de cette période de faste.
Les anneaux sont d’égale ampleur : ils sont deux à Boisseron, quatre à Sommières, quatre dans les étages inférieurs du Pont-du-Gard, trois dans les étages supérieurs.
Leur largeur varie entre 1,50 et 1,80m.
Les percements et les élégissements
Deux raisons au moins conduisirent les concepteurs à prévoir, dans les structures, des vides appelés généralement élégissements : grâce à ce procédé, ils purent augmenter le débouché hydraulique, en ouvrant à l’aval et à l’amont ces vides .
Mais grâce à cette méthode, ils purent aussi réduire les contraintes, qu’il s’agisse de celles exercées par l’arc et son remplissage sur les piles, ou de celles exercées sur le sol de fondation par la pile elle-même.
Les élégissements de piles ou "ouïes" dits encore "oeil-de-pont", furent les plus fréquemment employés.
Cette pratique expérimentée depuis l’époque romaine, avec les grands ouvrages de l’époque Augustéenne est visible sur les ponts de Boisseron, Ambrussum, et Sommières.
Ces ouvertures peuvent être rectangulaires, ou surmontées d’un petit arc plein cintre en parement, le percement étant de toute façon rectangulaire.
Il n’y a rien d’extraordinaire dans cette technique, qui ne fait que reprendre une pratique courante dans les ouvrages de la Rome antique ; on peut raisonnablement penser que son origine fut liée, plus à l’idée d’améliorer le débouché en cas de crues, qu’à celle de diminuer la contrainte de pile sur la fondation .
Cette technique semble disparaître dans les quelques ouvrages gallo-romains de la seconde génération ; les ouïes, que l’on voit dans les ponts conservés de nos jours réapparaîtront au début du XIe siècle.
Les jeux de volumes
Ainsi l’architecture prit elle forme au gré des us et coutumes locaux, des traditions et des modes, élément, qui ne fut lié ni à la stabilité, ni à l’hydraulique .
En fait, la mise en relief de l’élément porteur, l’arc, fut réalisée sur le plan architectural afin de contribuer à renforcer la puissance apparente de l’ouvrage.
II s’agit, en fait, des jeux d’appareil. Plus intéressants furent les jeux d’appareil utilisant directement l’ombre et la lumière : il s’agit des appareils à bossages.
Ils sont présents comme il se doit, dès l’époque gallo-romaine ; on les trouve encore au pont du Gard, à Sommières, à Boisseron.
Bibliographie
Pierre A CLEMENT.- Les chemins à travers les âges.
Robert BEDON – Raymond CHEVALLIER – Pierre PINON.- Architecture et Urbanisme en Gaule-Romaine.
Marthe MOREAU.- Le Vidourle, ses villes, ses moulins et ses ponts.
Jean MESQUI.- Le pont en France avant le temps des ingénieurs.