L’an dernier, en 2002, à l’occasion de leur tricentenaire, ont été remémorés les faits ayant marqué le début de la révolte des Camisards.
Dans le prolongement de cette évocation, je voudrais retracer, trois cents ans après, un épisode de cette guerre, concernant plus spécialement Sommières : l’incursion de Jean Cavalier et de ses troupes dans notre ville le 2 octobre 1703.
Afin de replacer ces faits dans leur contexte, il me paraît nécessaire de faire un bref rappel historique sur les origines de la guerre des Camisards et évoquer succinctement les principaux événements survenus depuis le début de ce conflit.
La révocation de « l’Edit de Nantes » par Louis XIV, le 18 octobre 1685, la suppression des libertés de culte et les persécutions qui s’ensuivirent, firent que de nombreux protestants allèrent chercher refuge dans les pays limitrophes. Ceux restés au pays, en butte aux dragonnades et aux tracasseries de toutes sortes se révoltèrent et passèrent à leur tour à l’action.
Leur premier « fait d’armes » fut l’assassinat de l’Abbé du Chayla. François de Langlade du Chayla, curé de St Germain de Calberte avait été nommé par l’Intendant du Languedoc, Nicolas Lamoignon de Basville, « inspecteur des missions » et surveillant des chemins stratégiques. En juillet 1702, les hommes de l’abbé de Chayla capturent un petit groupe composé d’un guide et de personnes qui veulent quitter le pays ; ils les emprisonnent dans la maison André au Pont de Montvert. Le 24 juillet 1702, une troupe d’une cinquantaine de cévenols dirigée par Abraham Mazel, de St Jean de Gardonnenque, armée de quelques fusils et pistolets, de sabres, de haches, de faux, attaque cette maison, délivre les prisonniers et y met le feu. L’abbé du Chayla, au moyen d’un drap se sauve par la fenêtre ; il est capturé et exécuté : il reçoit cinquante deux blessures pour le « rétribuer de tousceux qu’il avait fait pendre, rouer, envoyer aux galères »
A l’autre bout de la province, un second persécuteur, quoique nouveau converti, le baron de Saint Cosme, qui est allé déjeuner chez le seigneur de Vauvert, est arrêté par un petit groupe de Camisards dirigés par Abdias Maurel dit « Catinat », qui le fait descendre de calèche et l’assomme à coups de pierres et de bâtons.
A Abraham Mazel et à Catinat, viennent se joindre d’autres meneurs d’hommes, parmi eux : Gédéon Laporte et son neveu Pierre Laporte dit « Rolland », Castanet, les deux Couderc (Jouany) et surtout un jeune boulanger d’Anduze, Jean Cavalier.
Le 23 octobre 1702, Gédéon Laporte et sept ou huit de ses compagnons sont tués. Sur ordre de l’Intendant de Basville, leurs têtes sont coupées et exposées à St Hippolyte et sur le pont d’Anduze. Pierre Laporte et Jean Cavalier qui venaient de se rencontrer, virent ces têtes ensanglantées aux portes d’Anduze et jugèrent de ne plus faire aucun quartier à leurs ennemis.
Tous deux sont très jeunes : Pierre Laporte dit « Rolland » est né au mas Soubeyran, à Mialet, le 3 janvier 1680 ; Jean Cavalier au Mas Roux, près de Ribaute, le 28 novembre 1681.
Les troupes royales sont commandées depuis 1685 par le Comte de Broglie, beau-frère de l’Intendant de Basville. Ce dernier, pour maintenir l’ordre, a mis en place deux moyens dont il est fier « les chemins des Cévennes » et « les milices bourgeoises. » Depuis quinze ans il a fait construire un réseau de routes à travers les Cévennes et a rendu plus aisée la circulation des dragons, de l’artillerie et des convois. Il a créé cinquante deux régiments de milice ayant à leur tête des gentilshommes catholiques et constitués d’habitants du lieu, armés, qui font régulièrement de l’exercice et surtout connaissent bien le pays ainsi que leurs concitoyens.
En ce qui concerne les Camisards ou « fanatiques » comme on les nomme, on ne peut parler de troupes ; ce sont des bandes de quelques dizaines d’hommes qui agissent par coups de mains. Pour se nourrir, s’armer et s’équiper, ils attaquent des métairies, des châteaux, des hameaux et des églises isolées : ils les pillent, y mettent le feu après avoir exécuté, le plus souvent, les occupants. Et, lorsque les troupes royales arrivent, ils se dispersent dans la nature « comme une volée de moineaux. » De Broglie s’efforce, en vain, de les capturer.
Le 9 janvier 1703, il apprend que les fanatiques sont à Caveirac, en pleine Vaunage, presque aux portes de Nîmes ; il se lance à leur poursuite avec le capitaine Poul et soixante dragons. Il finit par les rattraper au val de Bane, près du mas Gafarel. Sans plus attendre, il donne la charge. Ravanel qui est à la tête des Camisards, poste ses troupes derrière une roubine qui arrête les chevaux et à bout portant fusille les cavaliers. Poul et dix dragons roulent à terre. Deux cents Camisards arrivent du côté de Bouillargues, les dragons s’enfuient. Le capitaine Poul est décapité : « Gédéon Laporte est vengé. »
Après ce nouvel échec de de Broglie, tout le clergé et la noblesse réclament son départ. Le 14 février 1703 un nouveau général est nommé à la tête des armées du Roi en Languedoc : il s’agit de Nicolas Auguste de la Baume Montrevel, maréchal de France. Aussitôt installé à Alais, il réclame de nouvelles troupes et a bientôt sous ses ordres 21 bataillons d’infanterie, 3 régiments de dragons, soit près de 20000 hommes. Après que Basville lui eût dressé un tableau très sombre de la révolte, Montrevel déclare qu’ « il fautécraser les rebelles. » Parmi ses officiers, Julien propose de dépeupler le pays et Marcilly de passer tous les habitants par les armes. Plusieurs accrochages se produisent entre les Camisards et les troupes royales. Rolland, sorti de ses grottes du Liron, tombe dans un piège à Pompignan et perd environ deux cents hommes face aux dragons de Firmacon. Quelques temps après, le 1er avril 1703, au moulin de l’Agau, aux portes de Nîmes, Montrevel fait massacrer une trentaine de braves gens qui célèbrent le culte.
Jean Cavalier, qui a eu la rougeole, reprend le combat et décide de représailles. Il rassemble une troupe de 600 hommes et va parcourir le pays en pillant, brûlant, tuant. Le 29 avril, après avoir tenu une assemblée de deux mille personnes dans le bois de Malabouisse, il fait une halte avec sa troupe à la tour de Billot, près de Vézenobres. Ayant été dénoncés, ils sont encerclés, quelques uns parviennent à s’échapper, mais 300 d’entre eux sont tués.
Malgré ces revers, les Camisards continuent à multiplier les coups de mains, par petits groupes ; ils évitent les villages fortifiés ou défendus par des garnisons ainsi que tout affrontement avec les troupes royales. Ces actions connaissent un peu de répit au moment de la récolte des foins et des moissons, mais reprennent au mois d’août. La liste est longue de hameaux et de villages qui sont attaqués, pillés, brûlés : St Victor La Coste, Sagries Serviers, Lézan, Liouc, St Bonnet de la Salindrenque, St Germain de Calberte, Vic le Fesq, Brignon, Moussac, Cruviers, Puechredon…
Dans le même temps les troupes royales accentuent le nombre d’arrestations de Camisards dénoncés et de sympathisants accusés de complicité ; les prisons continuent à se remplir. Les jugements ne se font pas attendre et les sentences sont rapidement exécutées : les captifs sont brûlés, roués, pendus, envoyés aux galères ou, pour les plus « chanceux », condamnés à de lourdes peines de prison dans des cachots insalubres.
Le 1er septembre 1703, Rolland et Cavalier qui ont réuni leurs troupes, surprennent deux des meilleures compagnies du régiment de la Fare, du côté de Durfort. Elles faisaient la pose près d’un petit ruisseau, le Crespenou. Ils les encerclent et tuent le capitaine Grandual avec 60 hommes et tous ses lieutenants.
Afin de pouvoir atteindre les Camisards et les exterminer, Montrevel lance une campagne de ratissage et d’encerclement menée par le maréchal de camp Julien. Du 4 au 7 septembre, des détachements de 150 à 200 soldats de différents régiments cernent un important périmètre : Sauve, St Hippolyte, Durfort, Quissac, fouillent tous les endroits susceptibles d’abriter les Camisards, visitent les creux des rochers, les taillis touffus, les maisons suspectes. Malgré les moyens mis en place l’opération connaît un insuccès total.
Julien, à son retour, rend compte de son échec à Montrevel qui écrit au ministre Chamillart :
« …Les rebelles paroissent au nombre de huit à neuf cents hommes qui égorgent toutce qu’ils rencontrent d’anciens catholiques ou de soldats qui marchent en petit nombre, et le moment d’après ils se divisent en cent pelotons de six ou huit qui sont reçus dans les villages comme les enfans de la maison, laissant pendant le jour des femmes et des enfans en sentinelles à plus d’une lieue pour estre avertys dès qu’il paraît la moindre troupe. »
Pendant que Julien ratisse la région, Cavalier et Rolland se séparent : Rolland regagne les hautes Cévennes et Cavalier se rend le 5 septembre à Ribaute, au mas Roux, où sa mère est mourante. Il recueille son dernier soupir puis rejoint ses troupes.
Son père et son frère Antoine qui ne partagent pas ses opinions religieuses et auraient souhaité adopter une position neutre, sans être importunés par les dragons ou les prêtres, sont cependant arrêtés et enfermés dans le fort d’Alais. Cavalier écrit à Montrevel réclame leur libération et menace de brûler Alais. Offusqué par les propos impertinents et insolents de Cavalier, Montrevel fait alors démolir le mas Roux, maison natale de Cavalier.
Afin d’en finir avec les rebelles, Basville imagine un plan de « la Dévastationdes Cévennes. » Ce plan d’abord rejeté par Louis XIV, est finalement adopté, vers la mi- septembre 1703, par le roi qui écrit lui-même en marge « bon. » Ce plan consiste à démolir les maisons de 31 paroisses avec 466 villages et hameaux et à déporter vers la plaine 13 300 personnes. Cela obligerait ainsi les camisards, privés de soutien, à mourir de faim ou à descendre dans la plaine où ils seraient plus aisément anéantis.
Pour mener à bien cette opération on y affecte 8 000 hommes de troupe sous le commandement de Montrevel, Julien et Cavilhac.
Afin de retarder la mise en place de ce plan et montrer que les Camisards ne sont pas seulement dans la montagne, Cavalier va multiplier ses actions dans le bas pays.
Les 11 et 12 septembre, la métairie de la Selve, près de Durfort et celle de Maillac près d’Uzès, sont pillées et brûlées, plusieurs habitants sont tués.
Le mercredi 12, vers 8 heures du soir, une trentaine de Camisards se rend au village de Potelières et dans le domaine de Bérard-Montalet qui appartient au baron d’Alais, Jacques de Bérard, seigneur de Malavas. Toutes les maisons du village sont systématiquement fouillées, les habitants sont, soit tués sur place, soit attachés et conduits dans l’église où ils sont exécutés à coups de hache ou de baïonnette. L’église, jonchée de mourants et de cadavres, est ensuite incendiée. Le château de Potelières qui appartient au baron d’Alais est épargné, grâce à la résistance de ses occupants.
Le lendemain du massacre on dresse la liste des victimes : 19 morts, 5 blessés à mort et 5 autres blessés.
Le 14 septembre c’est l’auberge du « Mulet » à Vic qui est la proie des flammes.
Le 15 septembre, dans la nuit les Camisards viennent mettre le feu au moulin Vedel et au château de Campagne sur les bords du Vistre.
Le 17, Cavalier, sous les murs d’Alais, capture quatre anciens catholiques et les fait exécuter.
Le 19 à la tombée de la nuit, c’est le mas de la Fare près de Salindres qui reçoit la visite des Camisards : le berger est tué, le mas est incendié, les troupeaux et les fourrages sont brûlés.
Le 20 septembre, Cavalier traverse le Vidourle au gué de la Roque d’Aubais et investit Saturargues et Saint Séries, deux villages « papistes. » Il fait battre la caisse et ordonne qu’on tue et brûle sans distinction d’âge, ni de sexe.
Quelques habitants parviennent à fuir. Une châtelaine, réfugiée dans sa cave, échappe à l’incendie. Un jeune garçon, blotti dans un tas de blé, voit massacrer son frère et sa mère. Les camisards, au chant des Psaumes, quittent ensuite les villages en flammes sans être poursuivis.
La dame de Saint-Séries déclare que pendant trois heures on a sonné le tocsin sans qu’aucun secours ne vienne de Sommières, d’où on pouvait apercevoir les flammes des incendies, ni de Lunel.
Antoine Reboul juge civil et criminel de la viguerie de Lunel, s’est transporté à Saturargues, le lendemain matin du massacre, pour procéder, en compagnie de Etienne Laurens, consul du village, aux constatations légales. Il y eut soixante victimes à Saturargues et dix huit à Saint Séries, sans compter les personnes mortellement blessées. La presque totalité des maisons de ces deux villages fut brûlée. Les survivants se réfugièrent à Lunel ou à Sommières. « L’herbe poussa dans les rues et les lapins s’y logèrent. »
Faute de pouvoir défendre la population, Montrevel prend, le 20 septembre, une ordonnance invitant les anciens catholiques qui estiment ne pas être en sûreté, à se retirer dans les villes d’Alais, Anduze, Le Vigan, « Nismes », Montpellier, « Saint-Hipolite », Uzès, Sommières.
Au lendemain des massacres de Saturargues et de Saint Sériés, Cavalier brûle quelques églises à Aigues-Vives, au Grand Gallargues, à Bernis, à Mus, à Boisseron : il se venge ainsi qu’il l’avait déclaré à Montrevel après l’emprisonnement de son père et de son frère et la destruction de sa maison natale.
C’est alors que, le 28 septembre 1703, on signale la présence de deux vaisseaux anglo-hollandais près du cap Leucate : il s’agit du « Pernbroke » et du « Tartare » qui remorquent trois tartanes. Ils mettent le cap sur Agde. La garnison du Brexou, à Agde, tire plusieurs coups de canon pour alerter les troupes postées le long de la côte. Ces deux navires parviennent le jour même, vers cinq ou six heures du soir, au large de Cette. Du fort de Cette on tire également des coups de canon pour prévenir de leur approche.
Ces vaisseaux apportent de l’argent, des armes, des munitions, des vêtements de quoi équiper plusieurs milliers d’hommes. Ils manœuvrent pour se placer face à Montpellier attendant vraisemblablement un signal qui doit leur parvenir de Maguelone ou du Pic St Loup. Ils font des feux sur la proue et des chaloupes sont même mises à la mer. Mais ne recevant pas de réponses à leurs signaux, et ayant été pris en chasse, le 29 septembre, par deux galères, ils s’éloignent vers le sud-est.
Montrevel est averti : d’urgence, le 30 septembre, il quitte précipitamment les Cévennes pour se rapprocher de la côte. Il arrive à Montpellier le 1er octobre à onze heures du soir. Craignant un débarquement et n’ayant pas assez de troupes disposées le long de la côte, il fait appel à celles cantonnées dans plusieurs villes voisines et parmi elles au régiment de Firmacon en garnison à Sommières ; il quitte la ville le 2 octobre.
Ayant appris ce fait, par ses espions, Cavalier qui est dans le secteur depuis quelques jours ainsi qu’on l’a vu, se présente devant la ville de Sommières le même jour, 2 octobre, à neuf ou dix heures du soir avec huit cents hommes ; certains chroniqueurs disent même seize cents. Il est certain qu’avec une troupe pareille il eût pris Sommières qui n’est défendue que par quelques soldats éclopés et la milice bourgeoise. Les témoins de cette action n’ont pu apercevoir que quelques groupes d’individus, la nuit, à la lueur des torches ou des flammes des maisons. Les défenseurs, pour se valoriser, ont toujours tendance à accroître le nombre des attaquants. Cavalier divise sa troupe en deux groupes qu’il envoie, l’un vers le faubourg du Pont, l’autre vers le faubourg du Bourguet.
Afin de plus facilement appréhender la topographie des lieux il faut se reporter au plan de Sommières de Melchior Tavernier qui représente la ville, en 1622, lors de son siège par les troupes de Louis XIII. Depuis cette époque elle n’a pas tellement évolué si ce n’est que deux bâtisses importantes ont été construites : l’une au faubourg du Bourguet, le couventdes Récollets bâti sous Louis XIII en 1630 (c’est l’actuel Pensionnat Maintenon, l’autre à l’intérieur de la ville, au bout de la Taillade, le couvent des Ursulines, édifié à partir de 1660 (actuellement espace Lawrence Durrell).
Ainsi qu’on peut le remarquer sur ce plan, la ville est entièrement ceinturée de remparts avec trois portes : celle de l’horloge ou de l’hôtel de ville, face au pont ; celle de la Taillade, donnant sur les Mauvalats et le bas pays, située au sud de la ville ; celle du Bourguet qui est une ancienne tour de défense, un portail y a été ouvert en 1608. Ces portes étaient fermées tous les soirs.
La ville est dominée par le château, où sont logées les troupes, entouré lui-même d’un rempart. A l’extérieur des remparts, se trouvent deux faubourgs. L’un à l’extrémité du Pont qui possède une église « La Gleizette » ainsi que quelques maisons d’habitation et trois auberges : « Le Cheval Blanc » qui appartient au sieur de Salas, trésorier de France. « L’aigled’or » dont le propriétaire est Charles Cusson dit l’Angevin, hôtelier. Et « le Grand Louis » qui a comme patron, Pierre Chrestien, lieutenant de bourgeoisie.
L’autre, le faubourg du Bourguet qui s’est développé au nord de la ville, près de la porte du Bourguet, d’où son nom, comporte en 1703, deux couvents : celui des Cordeliers, au pied de la Coustourelle, fondé en 1223 par Pierre Bermond, seigneur de Sommières, avec une église et plusieurs bâtiments importants (actuellement maison de retraite « la Coustourelle »), et celui des Récollets sur la place du Bourguet, construit en 1630. On y trouve également quelques maisons bourgeoises, des relais de poste, des cabarets et une auberge : le logis du « Luxembourg » appartenant au sieur Raymond de Pavée, seigneur de Villevieille, baron de Montredon et lieutenant du Roi au gouvernement de Sommières.
Les quais Frédéric Gaussorgues et Cléon Griolet n’existaient pas à cette époque. Toutefois, un étroit chemin longeant le Vidourle et construit au pied des remparts, permettait d’accéder au pont et débouchait devant la porte de l’horloge.
Voilà donc la topographie de Sommières lors de l’incursion de Cavalier le 2 octobre.
En ce qui concerne le déroulement des événements qui s’y produisirent, nous disposons des déclarations faites par les victimes du coup de mains et principalement les propriétaires des auberges incendiées, tant au faubourg du Pont, qu’au faubourg du Bourguet. Elles réclament le passage d’un expert pour pouvoir être indemnisés des dommages subis. (Archives Départementales de l’Hérault. « Les Ravages des camisards »).
Nous disposons également des récits de deux témoins oculaires, dont l’un déclare avoir participé aux combats, et qui ont relaté cette incursion dans leurs manuscrits : « Annalessur Sommières ». Il s’agit des sieurs Ponthier et Cabane. Leurs témoignages diffèrent sensiblement du fait de leurs opinions religieuses opposées.
L’historien Emile Boisson, notaire et ancien maire de Sommières, s’est efforcé de concilier ces deux témoignages pour reconstituer les faits avec le plus d’exactitude possible dans son ouvrage : « De la ville de Sommières » publié en 1845.
Je lui cède la plume pour vous narrer le déroulement de ces événements tel qu’il les décrit dans son livre.
« Cavalier partagea sa troupe en deux bandes, dont une fut destinée à agir dans le faubourg du Bourguet, et l’autre dans le faubourg du Pont. Après avoir posé leurs sentinelles, ils se mirent à pousser de grands cris : tue, tue, à feu et à sang, point de quartier, mes frères. Comme la plupart des habitans étaient déjà couchés, le bruit ne fut entendu que par un petit nombre de personnes. « J’allais me coucher moi-même, dit un de nos témoins, lorsqu’il parvint à mes oreilles. Sur-le-champ, je fus au corps de garde des troupes qui étaient restées dans la ville, et je réveillai les soldats que je trouvais endormis ! »
« L’alarme était donnée ; mais déjà les deux faubourgs étaient en feu. Enfin, le bruit qui se fesait dans les rues, les cris des habitans des faubourgs demandant des secours à ceux de la ville, les coups de fusil qu’on tirait, mirent tout le monde sur pied. »
« Dans le désordre et la confusion que causa une telle alerte, on ne pouvait rien apprendre de certain. Tantôt on disait que l’ennemi escaladait le couvent, tantôt qu’il était dans le château. Dans cette incertitude, on ne pouvait s’arrêter à aucun parti ; le pauvre peuple épouvanté ne savait où courir. Enfin, M. de Montredon, major et commandant de la place, se détermina à aller à la porte de la Taillade, parce que les dames religieuses (il s’agit des Ursulines dont le Couvent était situé au haut de la Taillade), saisies d’une terreur panique, avaient accrédité le bruit que les Camisards escaladaient les murs de la ville par cet endroit ; il s’y transporta suivi de 150 à 200 bourgeois. Mais l’alarme de ce côté s’étant trouvé fausse, on perdit un temps précieux ; et le secours à donner aux faubourgs en fut malheureusement retardé. »
« Nous fûmes, poursuit notre témoin, à la porte du Bourguet, où nous trouvâmes un officier du régiment de la Fare, appelé M.Lacroix, avec quelques soldats et un grand nombre de bourgeois. Nous entendions les cris des habitans du faubourg demandant secours à ceux de la ville pour leurs maisons en feu. » M. de Montredon se décida à faire une sortie ; mais personne n’avait d’armes, parce que depuis peu on avait désarmé les catholiques comme les religionnaires. Après que tous les habitans, tant de l’une que de l’autre religion, eurent promis d’être fidèles au roi et de se comporter en gens d’honneur, on fut chez M. de Saint-Benezet, où étaient les armes. M. de Firmacon qui logeait dans cette maison était absent, mais il avait heureusement laissé les clefs ; chacun s’étant muni d’un fusil, on fut rejoindre M. de Montredon, qui fit alors ouvrir la porte du Bourguet. Comme on commençait à sortir, une sentinelle des Camisards, postée derrière une croix de pierre, qu’il y avait sur la gauche, lâcha son coup de fusil, en abandonnant son poste, mais la balle n’atteignit personne. M. de Montredon, soit de lui-même, soit à la prière des habitans qui le sollicitaient de ne pas quitter la ville, resta dans l’intérieur de la place. »
« Alors le sieur Devic, homme de résolution et bon soldat, se mit à notre tête et nous marchâmes en criant, tue, tue. » La voix de Devic qui fut reconnu par le nommé Jean Gilles, habitant du faubourg, déjà sorti de sa maison pour donner quelque secours à M. Baumet, son voisin, l’attira encore dans la rue, où il reçut un coup de feu qui l’étendit raide mort sur la place, sans qu’on ait pu découvrir d’où le coup était parti ; si ce fut du côté des Camisards, ils se trompèrent, parce que Gilles était de leur religion : au reste, ils en témoignèrent dans la suite des regrets, qui furent partagés par tout le monde ; car c’était un honnête homme. »
« On fut au cabaret du Luxembourg appartenant à M. de Villevieille, où il y avait un corps-de garde commandé cette nuit par un nommé Guillot, Celui-ci s’était sauvé avec ses hommes sur les toits de la maison, au moment ou les Camisards avaient paru. Le nommé Antoine Trial, tisserand, ancien catholique, resté en arrière, s’était caché dans le lieu d’aisance ; les Camisards l’y découvrirent, le prirent et le menèrent dans la salle du logis, où ils le massacrèrent à coups de hache, en présence du sieur Joubert, hôte de ce logis. Ce dernier n’eut aucun mal, ainsi que sa femme et ses enfans ; ils étaient nouveaux convertis. « Un de mes parens, ajoute un de nos témoins, aussi religionnaire, et qui était de garde ce jour là, fut également épargné. »
« M. Guillot fut poursuivi avec ceux qui s’étaient réfugiés ainsi que lui sur les toits ; un d’eux, Jacques Gilles, laboureur, y fut tué d’un coup de fusil. Le reste se sauva en sautant de couvert en couvert jusqu’aux maisons des religionnaires, que l’ennemi se garda bien d’incendier. Mais s’ils se trouvaient là à l’abri des flammes, qui consumaient les maisons des catholiques, ils ne l’étaient pas contre les coups de fusil qu’on tirait à la lueur de ces mêmes flammes. »
« Ces scènes s’étaient passées avant la sortie de ceux de la ville ; dès que les Camisards s’en aperçurent, ils commencèrent à se retirer, de sorte qu’on ne put les atteindre ; ils s’enfuirent du côté du moulin de Garanel, pour aller rejoindre le gros de leur troupe, qui était aux Aires. »
« Les gens du Bourguet se mirent alors en devoir d’éteindre le feu, mais quelque soin et quelque diligence qu’on y apportât, on ne put empêcher qu’il ne se communiquât, et que la maison de M. Baumet, ancien catholique, ne fut entièrement brûlée. »
« Pendant que l’on était ainsi occupé à arrêter les progrès de l’incendie dans le faubourg du Bourguet. Nous fûmes, dit encore notre témoin, à celui du Pont en faisant le tour de la ville, entre les remparts et la rivière, ayant toujours le sieur Devic à notre tête et criant, à moi, dragons ! pour intimider l’ennemi. »
« Quand on fut arrivé sur le pont, vis à vis de la croix, les sentinelles des rebelles qui étaient placées à la tour de la Gleizette, tirèrent quelques coups de fusil, dont deux bourgeois furent légèrement blessés. Plusieurs firent mine de se cacher derrière le piédestal de la croix, mais les sentinelles ennemies s’étant enfuies, on marcha en avant, sans pouvoir les atteindre, parce que la tour présenta d’abord quelque obstacle. Elles eurent le temps d’avertir leurs camarades, qu’une sortie nombreuse allait leur tomber dessus ; ce qui les détermina à prendre tous le parti de la retraite. »
« Le faubourg du Pont qui n’avait pu être secouru à temps présentait le plus déchirant spectacle. Les enfans cherchaient leurs parens dans les flammes, ou sous les ruines ; ceux-ci cherchaient leurs enfans, les femmes leurs maris, les maris leurs femmes ; le nommé Jean Deleuze chercha vainement la sienne ; je me trompe, il la trouva, mais morte, et presque réduite en cendres. « Nous vîmes la moitié de son corps, qui ressemblait à un charbon. Les barbares l’avaient jetée dans les flammes, après l’avoir massacrée. »
« Pierre Gignac, traceur de pierres, ancien catholique, avait été arraché de sa maison par un apprenti qu’il avait chez lui et qui le livra aux bourreaux ; ceux-ci le tuèrent à coup de hache, du côté des Aires, sous les fenêtres de l’Aigle d’or. En vain lui offrirent-ils grâce de la vie, pourvu qu’il renonçât à sa religion et qu’il s’enrolât dans leurs bandes ; Gignac, en homme de cœur attaché à ses croyances, préféra la mort, et mourut en martyr. »
« Il y eut dans ce faubourg quatre maisons particulières d’incendiées et trois grands cabarets, le Cheval Blanc, qui appartenait alors à M. de Solas, trésorier de France, le grand Louis au sieur Chrestien, et l’Aigle d’or au sieur Cusson. Ce dernier se trouvait seul dans son auberge : sa femme et ses enfants étaient heureusement couchés en ville. Il ouvrit sa porte aux Camisards, croyant que c’était des marchands qui demandaient à loger chez lui ; mais il fut bien vitement détrompé, lorsqu’il les vit se mettre en entrant à piller ses meilleurs effets, à incendier sa maison, et lui commander de se préparer à la mort. En effet, s’étant mis à genoux, il fit sa prière, et voyant qu’il n’y avait aucun espoir de salut, il se retourna vers son bourreau, qui tenait la hache levée pour le frapper, et lui dit avec fermeté : j’ai fait ma prière, fais ton office. Aussitôt il reçut plusieurs coups sur la tête, qui le renversèrent mourant sur le carreau. Ces misérables assassins le croyant mort l’abandonnèrent pour se garantir eux-mêmes des flammes, qui embrasaient déjà toute la maison. Le sieur Cusson voyant alors qu’il était seul, mais qu’il allait être la proie des flammes, fit un effort, et malgré son tristeétat, se traîna à grand peine dans un petit jardin derrière sa maison. »
« L’hôte du Grand Louis, le sieur Chrestien, se sauva sur les toits avec sa famille et quelques chaudronniers qu’il avait logés chez lui, abandonnant sa maison au pillage et à l’incendie. Dans leur retraite ils avaient pris une petite fille, âgée de quatre ans, nièce du sieur Chrestien, qui arrivée là, s’éveilla et se mettant à pleurer de toutes ses forces, allait les faire découvrir. Un des réfugiés se chargea alors de la remporter dans son lit, comptant que les fanatiques auteurs de ces scènes de désolation ne lui feraient aucun mal, à cause de son bas âge, mais les cris de cet enfant ayant attiré ces barbares, ils la tuèrent sans pitié à coups de poignard. »
« Le nommé Faucher, charron de son métier, du même faubourg, sut par son courage se soustraire à leur fureur. C’était un homme déterminé et vigoureux : armé de son fusil et de sa hache, il se tint au haut de l’escalier de sa maison, et là, il parvint à écarter constamment les Camisards qui se présentèrent ; il en poursuivit même un, nommé Sans-Quartier, qu’il tua dans la rue. »
« Le coup de main de Cavalier et de sa troupe sur nos faubourgs, qu’un peu plus de résolution de la part des habitans de la ville aurait rendu moins long et moins sanglant, dura trois heures, pendant lesquelles le canon du château ne cessa de tirer sur les ennemis, mais sans aucun effet, parce que ceux-ci, retranchés derrière les maisons du Pont, se trouvaient à l’abri des boulets. Il y en eut un qui, après avoir failli emporter l’horloge, fut percer la muraille d’une maison et cassa la quenouille de lit d’une vieille femme malade, qui en fut quitte toutefois pour la peur. »
« L’église de ce faubourg, qui se trouvait alors à une des extrémités, sur le chemin de Montpellier, à gauche, fut brûlée, suivant leur coutume, par ces incendiaires fanatiques. »
« Le lendemain on compta les victimes, qui se trouvèrent au nombre de sept : l’on visita les décombres et les ruines et sous celles de la maison du sieur Chrestien, on trouva le corps de Suzanne Fauguier, sa nièce, tout grillé. M. Fine, curé de la ville, le porta lui-même sur une tuile à l’église Saint-Pons, où il fut inhumé à côté des fonts baptismaux, après un discours pathétique, inspiré par les circonstances. »
« Les dames religieuses épouvantées avaient quitté leur couvent, et traversant la ville (n’oublions pas qu’à cette époque là le couvent des Ursulines était situé au haut de la Taillade et que le château étant lui-même entouré de remparts et on ne pouvait y accéder que par l’actuelle « montée du château » ce qui expliquerait que les religieuses aient passé par la rue grenier à sel pour s’y rendre), elles avaient été, par la rue des greniers à sel, se réfugier au château. M. Fléchier, évêque de Nîmes, instruit de cette fuite, écrivit à la supérieure pour l’en blâmer. »
Le récit de cette incursion, qui fourmille de détails, me paraît, pour le moins, assez romancé. On y relève d’ailleurs, pas mal d’invraisemblances. Si nos témoins se trouvaient du côté du Bourguet, ils n’ont pu savoir ce qui s’était passé au faubourg du Pont que par oui-dire et dans ce cas, toutes les affabulations sont possibles.
Par exemple, en ce qui concerne le sieur Cusson, hôtelier à « l’Aigle d’Or », qui d’après la version de Cabane aurait reçu trois ou quatre coups de hache sur la tête et aurait été laissé pour mort, l’intéressé déclare lui-même dans sa lettre demandant l’indemnisation des dommages subis « qu’il a été frappé de deux coups de poignard, l’un au col et l’autre dans lajoue » (« Ravages des Camisards » C. 253, Archives de l’Hérault.)
La scène du charron Faucher, armé d’un fusil et d’une hache qui, du haut de ses escaliers résiste aux assaillants, les met en fuite et tue l’un d’eux dont on a même relevé l’identité, le dénommé « sans quartier », paraît difficilement crédible.
Pour ce qui est de l’importance de la troupe de Cavalier, tout donne à penser qu’on est loin des chiffres avancés par les chroniqueurs, 800 ou même1500 hommes. Une troupe d’une telle importance n’aurait pas battu en retraite devant quelques bourgeois armés, sortis à leur rencontre.
De même il est à remarquer que les couvents des Cordeliers et des Récollets, situés au faubourg du Bourguet où les assaillants auraient pu trouver armes et vivres, n’ont pas été attaqués, ce qui n’aurait pas manqué de se produire avec une troupe plus importante.
Par contre, ce que l’on peut confirmer, c’est le nombre des victimes : sept, nous dit Boisson. On peut vérifier ce chiffre en compulsant les registres d’état civil conservés dans les archives de la ville.
Aux dates du 3 et 4 octobre 1703, voici ce que l’abbé Fine, curé de Sommières a inscrit : « Le troisième d’octobre 1703, Jean Gilles âgé d’environ soixante ans, cardeur de laine a été enterré, décédé le jour précédent ayant été tué par les fanatiques.
Le même jour, Jacques Gilles, laboureur, âgé de quarante ans a été enterré dans l’église des Cordeliers décédé le jour précédent ayant été tué par les fanatiques.
Le même jour Antoine Trial tisserand à toile a été enterré âgé de quarante cinq ans décédé le jour précédent ayant été tué par les fanatiques.
Le même jour Pierre Gignac, traceur de pierres âgé de vingt quatre ans a été enterré ayant été tué le jour précédent par les fanatiques. On doit le regarder comme martyr, on luy offrit la vie s’il voulait renoncer à sa religion et suivre les bandits il aima mieux mourir.
Le même jour Grace femme de Bouvier traceur de pierres, âgée de soixante cinq ans a été enterrée dans l’église des Cordeliers, décédée le jour précédent.
Le même jour Marguerite femme de Jean Deleuze a été enterrée dans l’église paroissiale tuée et brûlée le jour précédent par les fanatiques. »
(signature) Fine
« Suzanne Fauguier âgée de quatre ans a esté enterrée le quatrième jour d’octobre elle avait esté poignardée par les fanatiques et fut ensuite brûlée dans une des maisons du faux bourg du Pont le même jour que les autres ci-dessus furent tués. Son corps a esté mis près des fonts baptismaux de l’église paroissiale. Ses cheveux furent épargnés par le feu. »
(signature) Fine curé
En ce qui concerne le femme Bouvier aucune mention n’indique que son décès incomberait aux Camisards (est-ce un oubli ou serait-elle décédée de mort naturelle ?).
Le sieur Cusson, dans sa déclaration évoquée plus haut, indique que sa fille a été écrasée par la chute d’une muraille, lors de l’incendie de son auberge et je m’étonnais qu’elle ne figure pas dans la liste des victimes. Elle a dû cependant être très grièvement blessés, car on trouve trace de son enterrement, sur le registre d’état civil, à la date du 3 Novembre 1703 :
« Le troisième novembre Marie Cusson, fille de Cusson hostellier, âgée de dix ans, aesté enterrée dans l’église des Cordeliers, décédée le jour précédent . »
(signature) Fine curé
L’incursion de Cavalier dans les faubourgs de Sommières aurait donc fait sept ou huit victimes parmi la population de la ville.
Henri Bosc dans son remarquable ouvrage sur « la Guerre des Cévennes » indique que « la femme de François Justamont, fermier du logis du « Cheval Blanc », périt dans lesflammes avec plusieurs autres personnes », mais on ne trouve aucune mention de ces décès sur le registre d’état civil.
Ce que l’on peut également confirmer, ce sont les dégâts causés aux maisons et aux biens qu’elles renfermaient.
Les victime, afin d’être indemnisées des pertes subies, font l’inventaire le plus complet des biens perdus que des experts sont venus évaluer par la suite.
C’est ainsi que le sieur Baumet dont la maison fut brûlée au faubourg du Bourguet, signale la perte de ses biens, de ses fourrages, de ses huiles mais également la disparition de manchettes en dentelle de Malines.
On sait par exemple, que les dégâts à l’hôtel de « l’Aigle d’Or » au faubourg du Pont s’élevèrent à la somme de 12 162 livres et ceux de la maison de Deleuze à 7298 livres, 9 sols. Quant aux effets et lards de Maurice Pommier, cuisinier au « Cheval Blanc » ils furent estimés à 305 livres 10 sols. (« Les Ravages des Camisards » C.253 et C. 254 Archives de l’Hérault).
La version que Cavalier donne dans « ses Mémoires » sur son incursion à Sommières diffère quelque peu de celle exposée plus haut.
Il indique que le Maréchal de Montrevel aurait fait incendier St Bauzely, Sauzet, Cannes et Sérignac et utilisé pour cela les soldats de la garnison de Sommières. Ceux-ci se seraient livrés à un pillage organisé et auraient exercé des sévices envers les femmes et les enfants. Cavalier déclare qu’ « étant à deux lieues de là il voulut porter secours aux habitantsde ces villages avec toute la hâte et la diligence possibles. » Mais il arriva après le départ des troupes royales et décida de leur donner la chasse.
Lorsqu’il arriva à Sommières, avec « huit cents hommes » les soldats qu’il poursuivait s’étaient enfermés dans la place avec leur butin.
En représailles il fit brûler les faubourgs de la ville, après avoir pillé les maisons, espérant que les troupes enfermées dans Sommières tenteraient une sortie pour venir en aide à leurs concitoyens des faubourgs, dont il pourrait profiter pour pénétrer dans la ville. Il y eut des coups de feu échangés avec les assiégés postés sur les remparts, mais à cause de la nuit noire, personne ne fut touché. Au bout de deux heure, Cavalier commande à ses troupes de se retirer.
Dans ses mémoires il déclare : « Je me retirai pour voir si la garnison sortirait, mais elle ne bougea pas, heureuse d’être délivrée de notre présence. »
Cette version paraît plus vraisemblable. Ce qui porte à croire que les soldats et milices bourgeoises, bien à l’abri derrière les remparts, ne se sont pas précipités pour venir secourir les habitants des faubourgs.
Il a fallu d’abord que tout le monde se réveille et surtout les soldats ! Puis les Ursulines viennent signaler que, peut-être, les camisards escaladent les murs de la ville, du côté de leur couvent, donc près de la porte de la Taillade. A la suite de quoi, M. de Montredon, major et commandant de la place rassemble ses troupes : 150 à 200 personnes pour se rendre à la porte de la Taillade, où l’on ne trouve pas l’ombre d’un camisard, ceux-ci n’ayant pas franchi Vidourle en aval du pont. On s’aperçoit alors que personne n’est armé. Il faut donc faire distribuer des armes. Ces armes sont chez M. de Saint Bénezet. Mais c’est M. de Firmacon qui a les clefs du local. Et l’on a vu que ce M. de Firmacon est parti le matin même avec ses dragons en direction de la côte. Nouvelles allées et venues et finalement l’on trouve les clefs du local. Encore une formalité à accomplir avant de distribuer les armes : « il faut que tous les habitants promettent d’être fidèles au roi et de se comporter en gensd’honneur. »
Et, ce n’est qu’après tous ces atermoiements, surtout après que les camisards se soient retirés du faubourg du Bourguet, que M. de Montredon se décide de faire ouvrir la porte du Bourguet, mais « reste dans l’intérieur de la place » (c’est plus prudent !).
Le coup de feu essuyé par les défenseurs sortis de la ville est sûrement le fait d’un pillard attardé. Quant à celui qui a tué Jacques Gilles, sorti de chez lui en entendant arriver les secours, il y a fort à parier qu’il fut tiré par un de ses compatriotes, le prenant pour un Camisard.
Pour ce qui est de la version officielle des faits, elle est donnée dans une lettre du maréchal de Montrevel au ministre Chamillart, datée du 7 octobre 1703 (archives de la Guerre vol 1708, f° 162.).
« … Comme il a été impossible de porter suffisamment de troupes dans les endroits où il a esté nécessaire de les envoyer sans laisser quelque canton de la plaine un peu moins gardé qu’à l’ordinaire, dès que j’ay eu tiré de Sommières le régiment de Firmacon pour le faire aller vers la Coste, les rebelles, en petit nombre, n’ont pas manqué de profiter de cette absence pour venir brusler l’un des faux bourgs de Sommières qui n’est couvert de rien et fort éloigné de la ville en deça du pont sans que 100 hommes que j’y avais mis et 40 dragons qu’on y avait laissé avec quelques milices bourgeoises l’aye pu empécher parce qu’on ferme les portes de la ville pour sa sûreté et qu’avant qu’on aye pu arriver aux maisons qui bruloient, ces coquins s’étaient retirés, on en a tué un ou deux des plus paresseux. Ils ont égorgé quelques femmes et des enfans et poignardé deux anciens catholiques… »
Voilà comment on écrit l’histoire !
BIBLIOGRAPHIE
BOISSON Emile – De la ville de Sommières.
BOSC Henri – La Guerre des Cévennes – Tome II.
CABANE Jean – Antiquités et annales de la ville de Sommières.
CAVALIER Jean – Mémoires sur la Guerre des Camisards.
JEANJEAN Aimé – Vieilles rues de Sommières.
SOURCES
Archives de la Guerre. Vol 1708.
Archives de Sommières – Registre Etat Civil 1700 – 1722.
Archives Départementales de l’Hérault. « Ravages des Camisards » C. 252, C. 253, C. 254.