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Révolte à Sommières pour les Indiennes – Site de Sommières et Son Histoire

J.P. DESAUNAY

En ce XVIIe siècle, la France, durement éprouvée par les guerres, la fronde parlementaire et celle des princes ainsi que par la levée des impôts exorbitants1 qui pèsent sur le peuple, voit l’ap­pauvrissement de ses campagnes. Les famines et les épidémies provoquent dans le royaume le plus peuplé d’Europe une forte mortalité2. Dans les régions, le peuple se soulève et prend les armes contre les représentants du roi. Dans le Boulonnais une ré­volte est matée en 1662, ainsi qu’une insurrection paysanne dans le Vivarais en 1670, et une en 1675 en Bretagne, la révolte des “bonnets rouges”. Pour clôturer le tout, la révocation de l’Edit de Nantes intervient le 16 novembre 1685.

Pendant cette triste période, avec la création de la Compagnie des Indes Orientales et la Compagnie des Indes Occidentales en 1664, des toiles peintes aux couleurs vives et résistantes, dites in­diennes font leur apparition. Elle servent dans un premier temps à l’ameublement, ensuite, à l’habillement. Très onéreuses, elles ne tardent pas à intéresser l’aristocratie et la haute bourgeoisie à ce florissant marché. Colbert, en 1665, alors ministre des finances, réglemente l’industrie du tissage, la qualité des produits, et sa commercialisation dans l’idée de recentrer l’industrie et d’améliorer la qualité des étoffes dans tous les centres textiles, mais aussi afin de concurrencer les importations des toiles indiennes , autorisées à l’importation, et énormément taxées. C’est ainsi que les villes de Lyon, Tours, Orléans et Paris reçoivent l’agrément royal en 1667, Marseille en 1672, et Nîmes en 1682. Cette réglementation apporte à l’économie française une monnaie d’échange. Avec la vente de ces tissus on achète des esclaves qui sont expédiés dans les colo­nies où ils sont ensuite échangés contre du sucre, du coton et du tabac.

Le décret royal protectionniste du 26 octobre 1686 ne réussit pas à stopper leurs importations et leur fabrication dans des ateliers de contrebande. L’arrivée du métier à tisser Jacquard favorise la fabrication des indiennes dans des ateliers de contrefaçon et la création de décors de plus en plus compliqués.

Au XVIIIe siècle, Duhamel du Monceau dans l’Art de la dra­perie (1765), signale que les draps de laine sont fabriqués à Nîmes (Sommières ?), centre de tissage florissant à l’époque qui a utilisé diverses fibres pour différentes étoffes.

Avant la levée de l’interdiction par Louis XV en 1754, un événement, concernant les indiennes , se produit à Sommières le 8 mai 1738.

“Vers les onze heures du matin, à la requête de monsieur Ni­colas Desbones adjudicataire général des fermes unies de France, demeurant à Paris rue de Grenelle en la paroisse St Eustache, conseiller pour monsieur Marty procureur à la cour des Aides de la ville de Montpellier et à la requête de monsieur de Callas, directeur général des fermes au département de Montpellier, nous, Domi­nique Ruire sous brigadier des fermes de la brigade établie à Mont­pellier, accompagnés de François Armant employé pour les fermes dans la brigade, étant tous deux assermentés en justice devant monsieur de Garonge, visiteur général des gabelles en Languedoc à Montpellier, et agissant tous deux pour monsieur Desbones, cer­tifions à tous que nous nous sommes rendus à la ville de Som­mières diocèse de Nîmes, accompagnés de Mathieu Roussillon huissier aux ordres de la ville de St Hipolytte, pour donner sous huitaine, sur l’ordre de monsieur de Bernage intendant du Langue­doc, et en son absence, sur l’ordre de monsieur Bouvonin subdé­légué à Montpellier, à plusieurs personnes de la ville de Sommières pour avoir été condamnées à une amende de trois cents livres pour avoir utilisé et porté des indiennes et autres marchandises prohi­bées contre les édits du roi, arrêts des conseils et contre celui rendu le 10 avril 1736 ainsi que sur l’ordonnance de monseigneur l’in­tendant en date du 28 septembre de cette même année, dont les dites personnes se trouvent dans le cas des contra­ventions aux ordres du roi suivant trois procès verbaux reçus par les employés de la brigade le 16 et 17 avril dernier. Arrivés au jour et heure dits à Sommières, nous avons avec le sieur Roussillon commencé à procéder aux justes assignations. Nous en avons même donné quelques unes. Nous avons voulu aller porter l’assignation à la veuve …X… qui reste à la rue Taillade aux Sommières. En entrant dans la rue toute la populace, tant hommes, femmes et enfants, animés par leur pères et leur mères, commencèrent à nous insulter avec des paroles atroces, nous disant : “Coquins, nous porterons des indiennes en dépit des ordres du roi et de tous ceux qui peu­vent vous ordonner de verbaliser contre nous.” Ils nous ont jeté des coups de pierres comme aussi contre le sieur Roussillon huis­sier. Principalement les hommes et les femmes qui étaient plus de quatre cents parmi lesquelles nous avons reconnu le sieur Laffon, boulanger, restant à la place de Sommières, qui criait tout haut en public : “Tuons ces coquins d’employés et huissiers, il ne faut point qu’il sortent de Sommières si ce n’est morts.” Nous avons encore aussi reconnu Catherine Itier, femme de Jean Fabre maître tonne­lier, restant sur la place, qui était habillée d’une robe indienne sur fond pourpre avec fleurs blanches et rouges ; Jean Fabre fils, Dau­can, tondeur, Jacques péladan, boulanger, Annibal, laquais ; nous avons encore reconnu la fille de Gourdon, marchand de mules, restant à la place. Elle se trouve dans le cas de contravention au sujet du port et usage des indiennes suivant le procès verbal du 17 avril dernier. Elle criait de même comme Laffon le boulanger : “Qu’on les tue dans l’instant.” La populace se servait des plus fort mutinés qui nous jetaient toujours grands coups de pierres. Nous avons même reçu plusieurs coups en divers endroits sur nos per­sonnes. Voyant que la populace se renforçait de plus en plus, et que nos vies n’étaient point en sûreté, cela a obligé le sieur Armand de mettre son pistolet à la main pour nous protéger et nous ouvrir le passage. Il nous mit en sûreté dans la maison de monsieur Ga­rone, receveur des gabelles à Sommières, qui est près la place. En entrant dans la maison la populace au nombre de plus douze, nous ont pris aux cheveux et principalement le sieur Armand qu’ils ont jeté à terre dans la forge de la maison du sieur Garone. Ils lui ont donné plusieurs coups de pieds et de poings en disant : “Tuons les.”, ce que sans doute ils auraient fait sans le secours de Tapis­sier qui travaillait dans la maison du sieur Garone, et des soldats de garde, qui vinrent ainsi que le sieur Garone. Nous nous sommes aussi réfugiés dans sa maison. Quant au sieur Roussillon huissier, ne pouvant nous suivre à cause des coups de pierre qu’on lui jetait, il a pris la fuite du côté du Bourguet pour se mettre en sûreté dans la maison du sieur Franc, hostellier à Sommières, où pend pour enseigne le soleil. ce que voyant, la populace l’a toujours poursuivi à coups de pierres jusqu’à la porte du cabaret. sans le secours du sieur Franc fils, la populace aurait passé outre, étant de plus en plus mutinée. Elle lui criait : “Coquin d’huissier, quitte ton chapeau et ta perruque, de même le havresac que tu portes, autrement tu es mort.” Ce que voyant le sieur Roussillon a abandonné son cha­peau, perruque et havresac dans lequel se trouvaient une chemise, une paire de souliers, une paire de bas de laine, une paire de guêtres de toile blanche, et un bonnet de coton que la populace a dans l’instant, ramassés. Quant au chapeau, la populace l’a coupé à coup de hache en petits morceaux. A cause de l’opposition et des insultes qui nous ont été faites par la populace de la ville de Som­mières et principalement par les dénommés Laffon, la femme de Fabre, la fille de Gourdon et autres hommes et femmes à nous in­connus, nous leur avons à tous déclaré que pour mettre nos vies en sûreté nous nous retirions sans finir nos fonctions, en les aver­tissant qu’ils seront responsables des dommages et dépenses cau­sées envers monsieur Desbonnes, et que nous allions dresser le procès verbal de ce qui s’était passé. Nous avons soussigné au jour dit, à l’heure de huit après midi.”

Je n’ai pas retrouvé les pièces du procès, mais les archives de l’Hérault1 indiquent que tous les protagonistes de cette affaire ont été relaxés. L’intendant ne voulait pas une autre émeute dans notre bonne ville commerçante de Sommières.

BIBLIOGRAPHIE

Archives Départementales de l’Hérault.

THOMAS M. – MAINGUY C. – POMMIER S. – L’art textile.

MOULIN P. – Le VEC P. – DANNENBERG L. – L’art de vivre en Provence.

SCHOESER M. – DEJARDIN K. – Tissus français d’ameuble­ment.-