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Mobilier traditionnel local – Site de Sommières et Son Histoire

C. SIMON

Plutôt que de présenter une étude synthétique du style de notre mobilier régional (nombre d’ouvrages existant à ce propos), il m’est apparu infiniment plus intéressant de décrire ce mobilier "intra muros". L’expression "mobilier" est liée à la demeure et comme telle, elle entraîne une implication sociale car elle s’attache à un groupe humain. Correspondant d’abord à des besoins, les meubles sont le reflet d’un mode de vie et le témoignage d’une tradition.

Il est clair que la mise en place de l’habitat est lié au peuple­ment des terres et à leur appropriation. L’examen des compoix lan­guedociens (registres de comptabilité fiscale – cf. : article de J. Cabot – Sommières et son Histoire – bulletin n°2 de 1986, sur les compoix sommiérois) permet de suivre les fluctuations de la propriété.

Au Moyen-Age, la noblesse ruinée après les désastres du XIVe siècle cède ses terres. Au XVe siècle, les grand domaines ap­partiennent aux marchands et bourgeois enrichis, les villageois possédant la "moyenne propriété". Cela explique l’énorme opposi­tion entre la pauvreté des genres mobiliers paysans et la variété du mobilier bourgeois urbain. Dans les demeures modestes, les meubles étaient rares et se réduisaient à des types limités d’une simplicité purement fonctionnelle.

C’est principalement au XVIIIe siècle, que le monde rural s’est ouvert au "modèle bourgeois". En effet, la bourgeoisie est devenue de plus en plus importante tant en nombre qu’en diversité. Le phénomène s’est accru après la Révolution, consécutivement à l’abolition des droits féodaux et à l’institutionnalisation de l’égalité successorale.

Les notables implantés dans les capitales provinciales ou les petits bourgs, formant une classe intermédiaire entre l’aristocratie et les paysans, ont joué un rôle essentiel de perméabilité des usages. Pour illustrer cette constatation, prenons le cas de l’ar­moire.

Ce meuble, ayant remplacé le coffre dans les milieux aristo­cratiques, quittera les pièces d’apparat des nobles demeures pari­siennes au XVIIIe siècle, pour être relégué dans les pièces desti­nées au linge de maison et garde-robes.

Loin de tomber en désuétude, l’armoire entrera en force (entre 1760 et 1800) dans le monde urbain provincial et dans le monde rural. Elément de dot, elle trouve une place "royale" dans la pièce commune, car elle est le symbole du prestige social de la famille.

Pour revenir à une étude locale de ce mobilier, l’on constate la coexistence de trois échelles de propriétés agricoles :

– La petite exploitation

– L’exploitation moyenne

– Le grand domaine.

Ces trois types de demeures ont un trait commun : La salle commune

La salle commune est le local par excellence : "Le lieu géomé­trique de convergence de la vie de la maison" (S. Tardieu – Le mobilier rural traditionnel). Toute la famille y vit, de l’enfant qui vient de naître à l’aïeul qui se meurt.

L’âtre en est l’élément central, il sert au chauffage, à la cuis­son des aliments, et le soir venu, on s’y réunit (parents et voisins) pour les veillées d’hiver. La cheminée rassemble autour d’elle de nombreux ustensiles, ceux directement liés au feu (landiers, grills, rôtissoire, crémaillère, pincettes, pelles et soufflet) et ceux destinés à la préparation du repas (trépied, cale-pots, marmites en terre, poêles et casseroles à long manche).

Non loin de là, le potager, permet la cuisson à petit feu et maintient les plats au chaud. Il s’agit d’un bloc maçonné et percé de trous où s’emboîte une grille pour contenir les braises.

La bugadière (ou bugadier) est une grande vasque en terre cuite servant de lessiveuse. celle-ci établit une transition entre les éléments du foyer et celui lié à l’eau : l’évier.

Jusqu’au milieu du XIXe siècle, les rangements étaient constitués d’étagères maçonnées dans le mur et masquées par un rideau ou par des portes moulurées. Il faut souligner ce type de rangement, car il a longtemps dispensé du mobilier (mobilier ser­vant à la conservation d’aliments et mobilier destiné au rangement de la vaisselle)

Mobilier contenu dans une demeure modeste

La table :

Il s’agit de la table campagnarde classique, longue, de forme rectangulaire, reposant sur de robustes pieds droits qui sont reliés par une entrejambe en "H". Elle peut être pourvue d’un ou de deux tiroirs. Sa forme permet aux hommes de prendre place autour d’elle suivant un ordre hiérarchique.

Les sièges :

De longs bancs sont disposés de part et d’autre de la table. Leur caractère est frustre et n’appelle pas de commentaire particu­lier.

Près de la cheminée était disposé l’archibanc. Il s’agit d’un banc-coffre à marchepied, dont le dossier est composé de trois panneaux pleins. Il pouvait accueillir 5 à 6 personnes. Sa partie coffre pouvait contenir des denrées ou des effets personnels.

Le mobilier contenant les aliments :

Le pétrin ou maie, caisse trapézoïdale figurait déjà au XIIIe siècle dans les inventaires mobiliers. Il fut le meuble le plus néces­saire car chaque famille fabriquait elle-même son pain. Mais il ne servait pas qu’à pétrir, on y conservait d’autres aliments un peu comme un garde-manger, et on y salait le porc.

Lorsque le sel n’était pas stocké dans l’archibanc, il l’était dans une salinière ou saloir. Dans les Cévennes, il était creusé dans un tronc de châtaignier. Des traditions orales nous rapportent, qu’à l’époque des guerres de religions, des prédicants se seraient cachés dans des troncs de châtaignier, c’est pourquoi ces saloirs se se­raient appelés "Homme-debout" ! (La Vendée a elle aussi son "Homme-debout" issu de la Chouannerie, alors pourquoi pas nous !).

Comme je l’ai souligné plus haut, les rangements aménagés dans le mur expliquent l’absence de buffets et autres meubles de facture soignée voire même ostentatoire, apparus au milieu du XVIIIe siècle et au XIXe siècle dans les grands domaines.

Mobilier contenu dans un mas important

Je fais allusion aux mas situés près de Nîmes, ces grands domaines appartenant aux riches bourgeois ayant fait fortune dans le textile au milieu du XVIIIè siècle. Citadins avant tout, ils ont été très tôt sensibilisés à la "mode d’Arles" et c’est par le biais de leurs commandes que Nîmes deviendra un centre de production loin d’être négligeable (voir le musée du vieux Nîmes).

Dans la salle commune de ces hobereaux, les meubles utili­taires vont peu à peu perdre leur fonction originelle pour ne devenir que signe extérieur de richesse.

La panetière :

C’est un meuble typique du sud de la France. Les premières panetières destinées à ranger le pain au retour du four, à l’abri des bêtes et de la poussière, étaient des sortes de lourdes caisses rectan­gulaires ajourées, les 4 montants formant ossature, à dessus et à base pleins, supportées par des pieds courts et trapus. La façade et les côtés étaient garnis de barreaux. Une petite porte, fermée d’une pièce de bois plein, était pratiquée dans le milieu de la façade.

C’est sur ce principe que d’habiles artisans modelèrent des formes mouvementées agrémentées de splendides sculptures, éla­borant le style d’Arles ou celui de Fourques.

Le pétrin :

Il est désormais indissociable de la panetière. On en distingue deux types. Le pétrin à base pleine, dont la partie inférieure est munie de deux portes, et le pétrin sur pieds. Ce dernier est le plus élégant et il est encore recopié de nos jours. Son coffre repose sur une base en forme de table constituée de 4 pieds obliques tournés et reliés par des traverses chantournées et sculptées.

Le tamisou :

Buffet-moulin à bluter qui contenait un long tamis pour moudre le blé. Autrefois, on le rencontrait dans les bâtiments de ferme. Il regagna la salle commune comme élément décoratif, car il présente les mêmes caractéristiques qu’un buffet bas.

Salières et farinières :

Elles sont en forme de coffret, à montants arrondis terminés par des petits pieds galbés, pieds purement décoratifs puisque ces bibelots sont suspendus. Elles s’ornent des attributs qui leur sont propres : le poisson et l’épi de blé.

La vaisselle est devenue un signe extérieur de richesse. Les faïences du Midi (Marseille, Moustiers, Allemagne en Provence, Montpellier etc…) sont des centres importants de création. Soupières, assiettes et plats sont exposés dans des buffets conçus à cet usage. Le buffet deux-corps, dont la partie supérieure ouvre à 2 portes, découvre des étagères de présentation. Il en va de même pour le buffet à glissants, dont le gradin avait pour but d’étager les objets présentés

L’on crée aussi des petits meubles d’applique suspendus, destinés à présenter les étains (estanier) ou à présenter les verres (verriers).

Les aliments seront rangés dans un garde-manger (manjadou), armoire de facture soignée, dont les panneaux supé­rieurs des portes sont à claire-voie et ornés de petits balustres tour­nés.

Les sièges :

Contemporainement à la mode parisienne, on recherche non seulement le confort mais aussi la maniabilité. Fauteuils et chaises sont non seulement élégants, adoptant des courbes galbées (le dossier chantourné présente 3 traverses cintrées, les accotoirs sont en retrait et reposent sur des supports subtilement tournés), mais ils sont aussi légers, et l’on peut les déplacer au gré de sa volonté.

L’on trouve aussi le canapé, fauteuil élargi à 2, 3 ou 4 places et que l’on nomme radassié qui signifie fainéant. Tous ces sièges étaient garnis de coussins piqués, tant au siège qu’au dossier.

La courte description de ces meubles, dont la principale ca­ractéristique est la richesse de son ornementation, reflète l’art de vivre des milieux aisés, en cette seconde moitié du XVIIIe siècle. Cet art de vivre, qui a donné naissance à notre style régional, "transpirera" peu à peu dans la classe moyenne rurale, dernier cadre de cette étude.

Mobilier contenu dans un mas dit de moyenne exploitation

Alors que la grande exploitation se situe autour de Nîmes, dans la Costière sur les territoires de Bouillargues, Bellegarde, Jonquières, Manduel, Meynes, Saint-Gilles et Vauvert, puis à l’est, dans les plaines du Vistre et du Vidourle, l’on rencontre la moyenne exploitation dans les Costières de Saint-Gilles et de la Vaunage.

Le paysan est propriétaire d’un domaine de 7 à 20 hectares. sa maison est située soit au cœur du village (se trouvant alors dis­sociée des bâtiments agricoles), soit dans les faubourgs.

La table et les sièges :

Le nombre des personnes vivant sur le domaine étant moins important, on adoptera la table de forme ronde au protocole plus li­béral, autour de laquelle prendront place des chaises paillées, sans fioritures de type classique.

Près de l’âtre, l’on verra des fauteuils paillés de même fac­ture, et sans caractère régional marqué.

Meubles contenant les aliments :

Le buffet pétrin a été largement adopté dans notre région. Comme son nom l’indique il a la forme d’un buffet bas, ouvrant à 2 vantaux, le plateau se soulève pour découvrir le pétrin. Tout en restant sobre, il adopte le style Louis XV, notamment par le galbe de ses pieds.

Au dessus du pétrin, est accrochée la panetière. Celle-ci est de plus grande dimension que sa cousine provençale, sans doute parce qu’elle garde avant tout son caractère fonctionnel. Ses formes sont rectilignes et son décor est très épuré. A propos de cette sobriété de style, des historiens locaux l’ont attribuée à l’in­fluence protestante. Or S. Tardieu, écrit dans son ouvrage sur le mobilier rural : "C’est une hypothèse qui peut être proposée. Les enquêtes directes conduites ces dernières années, dans des com­munes normandes à population mixte catholique et protestante n’ont permis aucune conclusion de ce genre".

L’armoire garde-manger (manjadou) apparaît dans la salle commune. Elle peut présenter soit une seule porte, soit deux portes. J’ai même rencontré, près de Saint Ambroix, un buffet deux-corps, dont le corps supérieur formait garde-manger.

La boîte à sel et la boîte à farine sont suspendues. Elles sont de forme droite et les attributs symbolisant la farine ou le sel sont sculptés de manière stylisée.

Meubles contenant la vaisselle :

Rares sont les buffets deux-corps, l’on préfère les bas de buffet. Ils ouvrent à deux portes de caractère Louis XV ou transi­tion LouisXV-LouisXVI. La traverse basse est souvent sculptée d’une coquille ou éventail stylisé. Le décor en est très simple et ils se caractérisent par leurs grandes fiches-charnières très apparentes.

Le verrier, d’inspiration provençale, est traité d’une manière in­finiment plus simple.

En conclusion, je voudrais indiquer les deux sources d’in­vestigations relatives à la description du mobilier traditionnel rural :

– L’enquête sur le mobilier traditionnel, du musée des Arts et Traditions populaires de Paris, réunissant 13784 dossiers élaborés de 1941 à 1946 à travers toutes les régions de France (à l’exception de l’Alsace et la Lorraine, inaccessibles pendant cette période).

– Les archives notariales concernant les inventaires après décès et les contrats de mariage, qui constituent des documents essentiels à consulter car ils décrivent minutieusement les objets domes­tiques, artisanaux, agricoles etc…, contenus dans une maison.

BIBLIOGRAPHIE

LHUISSET C.- L’architecture rurale en Languedoc, en Roussillon. Edition Espace sud

MASSOT J.L.- Maison rurale et vie paysanne en Provence . Ed. Serg / Berger Levrault

TARDIEU S.- Le mobilier rural traditionnel français . Ed. Aubier Flammarion

GAYRAUD et PERTHUIS.- Guide du meuble régional. Ed. Hervas

MAUMENE A.- La vie à la campagne. Languedoc- Provence

DERVIEUX D.- Le mobilier provençal. Ed. Ouest France

GISMONDI J.- L’ébénisterie du Gard. L’estampille, n°113, sep­tembre 1979

Le mobilier domestique (en deux tomes) + objets civils domes­tiques. – Imprimerie nationale

Le meuble régional en France.- Musée national A.T.P. (expo. 19/10/90 au 25/02/91). Ed. de la réunion des musées nationaux