Notre Vidourle vient, encore une fois, de faire des siennes, les 8 et 9 septembre 2002, causant de graves dégâts matériels mais heureusement sans faire de victime.
Déjà, bien avant, ce petit fleuve côtier à l’aspect tranquille, a causé pas mal de soucis à ses riverains, tant en amont, qu’en aval de Sommières.
Quelques documents photographiques et des cartes postales témoignent de l’ampleur du sinistre lors des trois dernières inondations : 1907 – 1933 – 1958 ; celle de 2002 les dépasse en hauteur de 50 centimètres environ.
Pour trouver traces d’autres crues importantes, il faut avoir recours aux archives ou à des livres qui relatent les inondations du Vidourle. Un nom revient souvent, celui d’Henri Pitot. Marthe Moreau parle de lui dans son livre « Le Vidourle ses moulins et ses ponts » ; il fut chargé des réparations du Pont Romain en 1755.
Emile Boisson, dans son livre sur la ville de Sommières, rapporte que pour garantir la ville et son territoire d’une submersion totale, il fallait élargir le lit du Vidourle. Mais la ville n’était pas en mesure de faire une aussi forte dépense ; elle avait donc eu recours à la magnificence du Roi et du diocèse. Les travaux avaient donc commencé au mois d’octobre 1758 sur un devis du sieur Pitot, Inspecteur des Travaux Publics de la Province, et sous la direction de l’architecte Nogaret de Montpellier.
Ivan Gaussen, dans son livre « le Vidourle et ses Vidourlades », cite l’intendant le Nain qui charge Pitot, directeur des Travaux Publics, de venir sur place pour étudier la question du lit du Vidourle, suite aux vidourlades de 1745 et 1754.
Qui est donc Henri Pitot ?
Pitot est une grande figure languedocienne du XVIIIème siècle, car il a contribué à façonner la physionomie actuelle de sa province natale, par son action sur les rivières, les canaux, les marais, les ponts et les routes.
Il est issu d’une famille originaire de Margueritte, ruinée par les guerres de religion, qui s’est fixée à Aramon. Fils d’Anthoine Pitot et Jeanne de Juilhan, né le 31 mai 1695, baptisé le 5 juin 1695, il est le cinquième enfant et aura encore cinq frères et sœurs. Sa mère décède à la naissance de sa dernière fille.
Il commence ses études au collège des Doctrinaires de Beaucaire. Là, il se montre hostile à toute forme de travail. Son père attend qu’il ait l’âge requis pour lui faire signer un engagement dans l’armée. Il part comme cadet dans le Régiment Royal d’artillerie où son frère est officier.
S’y sentant intellectuellement en infériorité, il commence à se cultiver par la lecture des livres de la bibliothèque paternelle, lors de ses permissions. Par la suite il fréquente l’école d’artillerie de Grenoble. A la fin de l’année 1713, il entre dans une librairie et tombe en admiration devant un livre de géométrie : c’est pour lui le déclic qui va orienter son avenir.
Quelques temps après la paix de Rastadt, en 1714, il revient à Aramon à la fin de son engagement et se lance dans la lecture de très nombreux ouvrages scientifiques.
En 1718, il part pour Paris avec les recommandations de la Marquise d’Aramon pour le grand physicien Réaumur qui lui ouvre sa bibliothèque. Il aide Réaumur pendant quelques temps à la mise au point d’un thermomètre ; puis, il entre à l’Académie des Sciences comme adjoint mécanicien : il participe à de nombreux travaux scientifiques.
Il se marie en 1735 avec Marie de Saballoua d’Harembure qui lui donnera deux fils.
En 1740, un événement imprévu sera le tournant de sa carrière. L’archevêque de Narbonne, président des Etats du Languedoc, lui demande d’examiner un projet d’assèchement des marais dans la région d’Aigues Mortes. Satisfaits de l’expertise, les Etats du Languedoc proposent à Pitot le poste de Directeur du Canal Royal du Languedoc et des Travaux publics dans la sénéchaussée de Nîmes.
Il quitte Paris en 1742, pensionnaire vétéran de l’Académie des Sciences, et se fixe à Montpellier. Il se retire enfin à Aramon, en 1766, fatigué par tous ses déplacements et voyages à Paris.
Entre temps, en 1744, il reçoit des lettres de confirmation de noblesse et s’appelle dès lors « Pitot de Launay » ; il meurt en 1771 à l’âge de 76 ans.
Pitot a réalisé de nombreux travaux scientifiques et a laissé son nom à un instrument de mesure de la vitesse des courants des eaux qui est toujours employé : le tube de Pitot. Dans le Languedoc il dirige de nombreux travaux : assèchement de 30 000 arpents de marais entre Beaucaire, Aigues Mortes et Mauguio, construction des canaux de Beaucaire à Aigues Mortes et d’Aigues Mortes aux Salins du Pécais et bien d’autres travaux à des fins de salubrité.
Il participe à l’aménagement des rivières, fleuves et canaux ; en 1744 il travaille pour la ville d’Alais puis sur l’Orb, en 1747 sur le Vidourle, et en 1756 sur le Gardon d’Anduze.
Son plus grand ennemi a été le Rhône et ses crues dévastatrices pour les villages riverains de Pont-Saint-Esprit, Vallabrègue et Roquemaure. A Roquemaure il propose la construction d’une chaussée de terre de 630 toises de long, estimée à 16 000 livres. Le Roi accorde une subvention et les travaux sont réalisés. Cependant malgré les recommandations de Pitot sur l’entretien de cette chaussée (interdiction de faire circuler les charrettes et nécessité de boucher les trous creusés par les lapins et autres animaux), une partie de cette digue (250 toises) sera emportée par la crue du Rhône du 29 septembre 1755.
Pitot s’est beaucoup préoccupé de l’état des routes, et, en 1749, il étudie deux projets pour une liaison du Bas Languedoc au Puy et à Clermont Ferrand.
Il rétablit les bornes milliaires, en rappelant que les Romains balisaient les grands chemins de l’Empire avec ces pierres qui permettaient d’apprécier les distances. Il adopte le mille, soit un tiers de lieue ; la lieue représentant le chemin parcouru en une heure par un homme qui marche bien (environ 4 km). Sur la grande route de Montpellier à Nîmes, il fait planter des pierres en forme de prismes quadrangulaires, au nombre de 25 et qui ont donné entière satisfaction aux usagers.
En tant qu’ingénieur des Ponts et Chaussées, il restaure le pont romain de Sommières en 1746. L’ examen de cet ouvrage lui permet de conclure que les voussures et les arches sont en très bon état malgré leur âge. Il prévoit pour cette réparation 10 800 livres. Le procès verbal de sa visite (côte D189 des Archives départementales de l’Hérault) à disparu.
Il participe à la construction de nouveaux ponts dont quelques uns ont disparu. Celui que tout le monde connaît bien est le pont routier accolé au Pont du Gard. Cet ouvrage a été commandé par les Etats Généraux du Languedoc en 1743. Initialement, il envisage de l’installer à Lafoux ; mais il se heurte à des difficultés qu’il ne peut surmonter et décide d’accoler le nouveau pont à la face orientale de l’aqueduc. La première pierre est posée le 18 juin 1745 et l’ouvrage achevé en 1747.
On lui doit aussi la construction d’aqueducs ; celui qui alimente la ville de Carcassonne ainsi que celui de St Clément à Montpellier. C’est en fait un ancien projet de l’ingénieur Clapier qui n’a pas vu le jour en 1712 et qui est repris par Pitot. La longueur totale de cet ouvrage est de 7 135 toises soit 13,9 kilomètres ; tantôt aérien, tantôt souterrain, il aboutit aux Arceaux, puis aux jardins du Peyrou. Pitot, pourtant malade, travaille treize ans sur ce projet. Il est récompensé de ses efforts quand l’eau arrive pour la première fois de St Clément à Montpellier, le 7 décembre 1765.
Voilà une vie bien remplie, comme en témoignent les archives ou les nombreux écrits qui portent sa signature.
A défaut du procès verbal du 14 décembre 1746, voici un extrait d’une visite du pont de Sommières et du cours du Vidourle. Elle date du 24 mars 1755, et a été faite en présence de Monseigneur l’Evêque de Nîmes, M. le Marquis de Calvisson, M. Joubert, Général de la Province et de M. Ginhoux, Syndic du diocèse, des consuls et principaux habitants de Sommières. Elle est signée Pitot.
« Sur le mémoire présenté aux Etats Généraux par M. D’Albenas, député de la ville de Sommières, il a été délibéré de nous charger de procéder à une nouvelle vérification du pont. Je connais parfaitement l’état du pont et j’ai été bien aise que les autorités puissent confirmer la vérité des faits rapportés dans mes procès verbaux du 29 janvier 1746 et du 15 décembre 1747. Ils ont vu la grande hauteur des eaux de la dernière inondation du 22 octobre 1754, ils ont reconnu aussi comme nous l’avons rapporté que sur les dix huit arches qui composent le pont, il y en a huit sous les maisons de la ville, deux sont sous les maisons du Faubourg du Pont et deux qui sont presque entièrement bouchées, en sorte que le passage des grandes eaux a été rétréci des deux tiers de sa largeur. Sur les dix huit arches du pont il n’en reste que six pour le passage des eaux. A cette visite l’état du pont est à peu près la même que lors des visites précédentes ; il y a plusieurs voûtes, des arches qui sont échancrées et dégradées ; il est utile de faire les déblais nécessaires pour dégager les deux arches côté Faubourg et l’on note que les plantations des riverains rétrécissent le passage des eaux. »
On peut aussi relever dans ce P.V. les informations suivantes :
« C’est au diocèse de Nîmes de veiller à l’entretien et à la conservation du pont de Sommières ; mais toutes les autres réparations, au-dessus et au-dessous du pont, pour élargir le lit du Vidourle, sont à la charge de la ville de Sommières.
Il serait souhaitable de construire un contre mur pour défendre l’église et les maisons du Faubourg. La direction de ce mur sera parallèle aux berges du Vidourle, et à six toises cinq pieds du même bord. Ce mur sera fondé « sur le ferme », en talus côté rivière, d’une hauteur de dix huit pieds, et d’une longueur de vingt toises. L’espace entre le mur et la chapelle sera terrassé de telle sorte qu’il ne sera pas nécessaire de le renforcer par des contreforts. Le coût de ces travaux est estimé à 12 300 livres ; les indemnités dues aux particuliers feront l’objet d’expertises. »
BIBLIOGRAPHIE
GAUSSEN Yvan – Vidourle et ses vidourlades.
HUMBERT Pierre – La vie et l’œuvre de Pitot – 1954.
SOURCES
Archives Départementales de l’Hérault – Côte C. 4373.