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LES ORIGINES DE LA REFORME LA REFORME A SOMMIERES – Site de Sommières et Son Histoire

A la fin du XVe siècle, le Languedoc s’inscrit dans une géographie du royaume fortement bouleversée. En effet, depuis la reprise de la Guyenne, en 1453, la menace des chevauchées anglaises a disparu ; en 1481, l’acquisition de la Provence par Louis XI aux héritiers de Charles III (décédé le 11 décembre), donne à la France une vraie façade maritime méditerranéenne, bien plus large que la fenêtre de Narbonne à Aigues-Mortes. Les guerres d’Italie (1494 – 1509) ont fait découvrir le sud à Charles VIII, Louis XII et François 1er : comme enjeu ou champ de bataille, le Languedoc pèse durablement jusqu’en 1659 (paix des Pyrénées) dans le conflit dynastique opposant Valois et Bourbons aux Hasbourg. En dépit des gages de fidélité que la province a donnés au roi dans les pires moments de la guerre de Cent Ans, la monarchie craint les possibles collusions avec les Espagnols ou les Anglais ; en retour, le midi craint de n’être pas vigoureusement défendu par le roi contre ces mêmes ennemis, ou contre les barbaresques. La défense du Languedoc est insuffisante : la protection du littoral est laissée à sa seule inhospitalité et les villes de terre ferme ne sont protégées que par des palissades ou des murs médiocres, à l’exception de Béziers, "l’une des meilleures et plus fortes villes de guerre de notre pays, située et assise en pays limitrophe et de frontière, tant du côté de la mer que de la terre", selon François Ier qui y séjourne en 1533. La faiblesse des ouvrages est aggravée par celle de la marine. En 1504, les Consuls de Montpellier écrivent au cardinal d’Amboise (ministre de Louis XII) pour faire protéger Agde et Vias de "quatre galées subtiles armées à la course" par le roi d’Espagne, en 1509, ils sollicitent du roi une escorte pour "trois nefs montpelliéraines portant pour 200 000 écus d’épicerie, venant d’Alexandrie, contre cinq navires de course se trouvant à Nice sous les ordres du corsaire frère Bernardin de Rhodes, aux ordres du duc de Savoie". Trois siècles durant, le commerce languedocien est défavorisé, à la fois par l’absence de protection et par les privilèges attribués aux provençaux de Marseille et de Martigues. Au début du XVIe, le marasme touche tous les ports languedociens : à Montpellier la population s’effondre (6 000 habitants), seul subsiste le commerce des apothicaires, en relation avec la toujours florissante Université de Médecine. Malgré les pestes de 1501, 1502, 1504, 1521, Béziers, gros marché agricole, résiste mieux. Entre 1500 et 1550, le repeuplement se généralise dans le midi ; la population s’accroît de l’immigration des "gavaches", Rouergats, Vivarois, Auvergnats, fuyant leurs terroirs pauvres et déjà surpeuplés. Saisonniers ou définitifs, ces migrants deviennent cardeurs à Lodève, tisserands à Clermont, brassiers à Lunel, Sommières, domestiques ou même soldats. Dans certains villages la population double en quelques années. Dans les campagnes, le repeuplement exerce une forte pression sur le domaine foncier : morcellement des tenures, stagnation des salaires et du revenu par tête, recul du cheptel victime de la mise en culture des aires de pâture. Cette pression s’accroît encore par les efforts de construction des grands domaines, entrepris par la bourgeoisie, les clercs ou quelques petits seigneurs heureux. Exemple : fermier des évêques de Maguelone, Jacques de Sarret réussit à créer le vaste domaine de Maurin. La noblesse féodale ayant été décimée dès avant les Guerres de Religion, ses seigneuries sont passées aux mains de quelques grandes familles, de quelques consulats urbains, d’officiers royaux. Les seigneuries ecclésiastiques représentent près d’un tiers des terres et des meilleures. Plus que le prélèvement seigneurial (1 à 2 %), c’est le poids des dîmes qui réduit les disponibilités paysannes. Appétit de terres et lourdeur des dîmes, suscitent à l’égard du clergé, des rancoeurs propres à activer la Réforme. Les produits de l’agriculture traditionnelle, blé et oliviers, et de l’élevage ovin transhumant permettent d’éviter les famines, mais non les chertés de grains. La survie tient, alors, aux ressources fournies par le châtaignier, "arbre à pain" des versants cévenols et par les marais : poissons et oiseaux sont si abondants qu’ils coûtent souvent moins cher que le pain : un sol la livre. Les bras en surnombre trouvent à s’employer dans les travaux artisanaux. Ouvriers-paysans et gens de métiers cohabitent dans tout ce que le Bas Languedoc compte de villes et de villages. Tisserands, cardeurs, tondeurs de draps sont les plus nombreux et les plus pauvres ; piétaille d’une industrie vivace, ils vont constituer l’infanterie de la nouvelle religion. Crise morale et religiosité

La violence est au coeur de la société du XVIe siècle ; elle s’exerce partout et notamment dans les villes. Au début du siècle, les bandes d’étudiants sont aussi redoutables que les bandes de ruffians. Mauvaise vie et moeurs de religieuses et religieux font scandale : Montpellier se plaint au général de l’ordre de la Merci, à Barcelone, de la nomination à la commanderie locale de Jean Malarot "homme de mauvaise vie", et au général de l’ordre des Jacopins, en Avignon du prieur Jean Raoul. Malgré les efforts de "l’Inquisiteur de la foi es sénéchaussées de Carcassonne et Beaucaire, Jean Fenario" la débauche persiste à la faculté de théologie et dans les couvents. A Nîmes, les Bénédictines de St Sauveur la Font ayant élu pour abbesse une nonne scandaleuse, le conseil de ville décide de s’opposer à la confirmation par l’évêque de l’élection de celle ci. Les cas d’hérésie sont rares et la religiosité reste forte. On mêle les défilés carnavalesques aux fêtes religieuses. Des pratiques magiques se perpétuent : on ne sème pas les graines de melon en présence des femmes ; pour protéger les poussins contre les pies, on les fait passer par la jambe droite d’un pantalon. Pour échapper à l’ensorcellement, les troupeaux transhumants doivent faire une halte au "Plan de Masques" du col d’Uglas sur Anduze… le mauvais oeil qui use même les lunettes, les esprits errants, les animaux fantastiques sont du ressort des conjureurs et des exorcistes. Liée à la prospérité de son terroir dont dépendent dîmes et fermages, peuplée partiellement de ruraux, la ville de Nîmes manifeste son attachement aux pratiques de la religion traditionnelle si soucieuse de la protection des fruits de la terre. Les consuls ont soin de payer le "campanier" de la cathédrale pour qu’il sonne les cloches, au temps des récoltes afin "de faire fuir le mauvais temps et que ne fasse mal aux fruits de la terre". Comme le salut des récoltes, la santé tient une place éminente dans la religion des Nîmois de ce temps. Pour préserver la cité de la peste, les consuls font dire quotidiennement dans une chapelle de la cathédrale, une messe en l’honneur de St Sébastien dont l’intercession passe pour particulièrement efficace contre la contagion pesteuse. Le culte de St Baudile, martyrisé à Nîmes au IVe siècle, est aussi un culte de saint guérisseur. Les réjouissances profanes accompagnent les fêtes sacrées. Ainsi les cérémonies de l’Ascension sont suivies d’un somptueux festin où les consuls font distribuer une aumône de pain. Ce même jour, jusqu’à la fermeture de son établissement en 1532, l’ "abbesse", c’est à dire la tenancière du bordel public (abbatissa meretricum prostibuli presentis urbis Nemausi) vient offrir solennellement une fougasse à la municipalité, et après avoir embrassé le premier consul, reçoit cinq sols. Si la vieille religion paraît fort vivace au début du XVIe siècle, on voit manifestement alors, au travers des inquiétudes collectives caractéristiques de cette époque, se manifester les signes d’une mutation de mentalité qui rendra la ville réceptive au message des réformateurs. Le recours aux saints, aux cloches, aux reliques traduit l’angoisse de la population devant la montée des fléaux : la peste, la cherté, la croissance du paupérisme (particulièrement de 1526 à 1536). La ville de Nîmes paraît épouvantée par le développement du vagabondage et de la mendicité. En 1533, craignant que "pour occasion des assemblées et conversation des pauvres quelques contagions des pestes n’advienne", le sénéchal, afin de délivrer la ville de "tout plein de pauvres forains desquels principalement cette dite cité de Nîmes se trouve fort chargée", ordonne que les mendiants valides soient arrêtés, "enferrés deux en deux" et employés à "nettoyer les rues, fossés et chemins et autres lieux publics". La crise économique se traduit au plan des mentalités de l’élite dirigeante par une volonté organisatrice et moralisatrice : mise au travail des pauvres valides, organisation de l’assistance des indigents malades ou des femmes chargées d’enfants, établissement de rôles pour la collecte des aumônes. Pour lutter contre la syphilis, nouvelle venue à Nîmes à cette époque, les consuls oublieux du baiser et de la fougasse de l’Ascension, mettent fin à l’existence du lupanar nîmois. Cette tendance moralisatrice s’épanouira plus tard lors du triomphe de la réforme protestante. Les tentatives de réforme des ordres religieux revêtent parfois un caractère de brutalité administrative et de maladresse qui leur aliènent une partie de l’opinion. Aux inquiétudes matérielles, spirituelles et morales des laïques en ce début de siècle ne correspond pas une activité sérieuse de la part des responsables locaux de l’église, évêques peu présents, chanoines endormis dans une médiocre routine. Les évêques nîmois du début du XVIe appartiennent à la prestigieuse famille tourangelle des Briçonnet que le maniement des finances royales a conduits à collectionner charges et dignités de l’état et de l’église en application de la devise : "ditat servata fides" (la fidélité enrichit). Favori de Charles VIII, le cardinal Guillaume Briçonnet ajoute l’évêché de Nîmes, de 1496 à 1517, à plusieurs autres bénéfices de premier plan, notamment l’archevêché de Narbonne. Le cardinal fut un pasteur non résident, imité en cela par son neveu et successeur, Michel Briçonnet, évêque de 1517 à 1554. Ce dernier, qui avait administré le diocèse sous l’épiscopat de son oncle, en qualité de vicaire général, fut, une fois évêque, un prélat sans dynamisme qui cherchait au pied des Cévennes, au Vigan, un séjour plus plaisant et un air plus pur que celui de Nîmes ; il démissionne en faveur de son neveu Claude, qui permute avec l’évêque de Lodève. Ces évêques aussi bien en cour à Rome qu’à Paris incarnent l’épiscopat "humaniste" et introduisent en Languedoc un peu de renaissance italienne. Mais trop souvent simples bénéficiaires, ils confient à leurs vicaires généraux le soin d’exercer leurs fonctions notamment aux Etats. Il faut aussi remarquer que, humanistes et politiques, les italiens (Strozzi, Médicis, Bonsi, Farnèse, Sforza…) se partagent les diocèses languedociens : Béziers, Lodève, St Pons, Albi, Narbonne, Nîmes. Les membres du chapitre obtiennent du roi et du pape, en 1539, l’autorisation d’être sécularisés, c’est à dire dispensés du genre de vie monastique qu’ils auraient dû mener, ce corps étant envahi par des capteurs de bénéfices oisifs et cupides. Le nombre des chanoines passe de 80 à 20. En fait, la sécularisation n’est qu’un premier pas dans la voie de réforme du chapitre cathédral qui ne sera réalisée qu’au siècle suivant.

La Réforme : Pourquoi ?

La question des causes de la Réforme est complexe. Pour l’essentiel on peut la résumer de cette façon. Le Protestantisme a mis l’accent sur trois doctrines principales :
 la justification par la foi.
 le sacerdoce universel d’où découle le droit au libre examen des Ecritures.
 l’infaillibilité de la seule Bible. La thèse selon laquelle les Réformateurs auraient quitté l’Eglise romaine parcequ’elle était remplie de débauches et d’impuretés est insuffisante. Au temps de Grégoire VII et de St Bernard, il existait probablement autant d’abus dans l’Eglise qu’à l’époque de la Réforme. Il n’en est pourtant pas résulté une rupture comparable à celle du protestantisme. Erasme, si dur dans "l’Eloge de la Folie" pour les prêtres, les moines, les évêques, les papes de son temps, n’adhèrera pas à la Réforme. Inversement, quand, au XVIIe, l’Eglise catholique aura corrigé la plupart des faiblesses disciplinaires qu’on pouvait lui reprocher au siècle précédent, les différentes confessions réformées ne chercheront pas à revenir dans l’obédience de Rome. Les causes de la Réforme ont été plus profondes que "les dérèglements des chanoines épicuriens ou les excès de tempérament des nonnains". Dans "la Confession d’Augsbourg" (formulaire contenant les principales professions de foi des luthériens) lorsqu’il sera question des "abus" il ne s’agira pas des moeurs des moines, mais "de la communion sous une seule espèce, de la messe érigée en sacrifice, du célibat ecclésiastique, des voeux de religion, des jeûnes et abstinences imposés aux fidèles". Les "Placards" affichés en 1534 à la porte des appartements de François 1er causeront un scandale énorme, mais parce qu’ils attaqueront la conception catholique de la messe. Certes les écarts disciplinaires ont pris des proportions scandaleuses, mais ces dérèglements s’intègrent eux-mêmes dans un ébranlement beaucoup plus général des consciences individuelles et des structures traditionnelles.

Présence de la mort et sentiment de culpabilité.

Si tant de gens en Europe, de niveaux culturels et économiques différents, optent pour la Réforme, c’est que celle-ci a été d’abord une réponse religieuse à une grande angoisse collective. La guerre de Cent Ans, la Peste noire, des disettes nombreuses, la folie de Charles VI, le Grand Schisme qui s’est prolongé pendant trente-neuf ans (division entre l’église orientale et latine), mort de Charles le Téméraire, menace turque : autant d’évènements qui ont secoué et désorienté les esprits. Individus et sociétés prennent mauvaise conscience et se sentent coupables ; seul le péché peut expliquer tant de malheurs. Des prédicateurs exhaltés et souvent suspects parlent aux foules de la ruine prochaine de Rome, de l’église et leur font entrevoir d’effroyables catastrophes. La venue de l’antéchrist semble imminente (St Vincent Ferrier, Savonarolle). Les artistes représentent à l’envie dans la pierre, les livres, sur les murs, les tapisseries, les vitraux, les thèmes de jugement dernier d’un monde pécheur. (Danse macabre).

Remparts contre la mort terrestre et la mort éternelle.

Il parait plus nécessaire que jamais de chercher refuge auprès de la douce mère du Sauveur. Le culte marial se développe ; la croyance en l’immaculée conception progresse dans l’église. L’angélus entre dans les moeurs, le pélerinage à Lorette commence. La dévotion à la vierge entraîna celle à sa mère, Ste Anne, particulièrement priée en Flandres et en Allemagne. Erasme et Luther, dans leur jeunesse sont des dévôts de Ste Anne. Les saints ne protègent pas seulement contre la maladie et la mort, ils donnent des assurances pour l’au-delà. Vénérer leurs reliques permet de gagner des indulgences. Pour les obtenir il faut se confesser et communier. Les populations croient qu’on peut acheter son salut. Pourtant elles conservent un doute, doute qui est l’angoisse même du Moyen Age finissant et qui va expliquer le succès de Luther. Louis XI pris de panique à l’approche de la mort accumule médailles pieuses, reliques et indulgences. Les fidèles se sentent mal encadrés, mal soutenus, voire délaissés par l’église. Le cumul des bénéfices, l’abus de la non-résidence, ont pour conséquence l’abandon fréquent du ministère paroissial à des desservants médiocrement instruits et inférieurs à leurs tâches. Les évêques ne visitent pas assez leurs diocèses pour prendre conscience de la gravité du mal. Une des caractéristiques principales de la piété du XVe siècle est sa tendance à s’éloigner de la liturgie traditionnelle, à préférer les processions à la messe, le chapelet à la communion, les manifestations des flagellants à l’assemblée paroissiale. Dans les grandes églises, les fidèles se trouvent rejetés loin du choeur par des grilles ou un jubé, et cette messe que l’on dit en latin, qui la leur explique ? Que penser de ces prédicateurs véhéments ? Le peuple chrétien va à la dérive. Il faut qu’il soit repris en main : la Réforme protestante d’abord, puis la Réforme catholique vont s’efforcer, chacune à sa façon de répondre à ce besoin. La société rurale du Haut Moyen Age avait permis l’épanouissement d’une chrétienté communautaire fortement dominée par la hiérarchie ecclésiastique et les abbayes. Au contraire, la montée de la bourgeoisie et de l’artisanat, et plus généralement de l’élément laïc, dans une civilisation plus urbaine, l’apparition du luxe, l’affirmation d’un certain sentiment national, le désarroi général des esprits dans un climat d’insécurité, les tares de l’Eglise enfin, engendrent à la fin du Moyen Age, une sorte d’anarchisme chrétien. Dans une atmosphère de confusion des hiérarchies et des valeurs, les fidèles ne distinguent plus aussi nettement que par le passé le sacré du profane, le prêtre du laïc. Innocent VIII et Alexandre VI ont des enfants naturels ; Jules II conduit la guerre revêtu de l’armure et du casque ; Léon X aime la comédie ; quantité d’évêques vivent dans des cours et s’adonnent à la chasse ; beaucoup de prélats ne disent que rarement la messe ; dans le bas clergé, quantité de prêtres vivent en concubinage, ont des bâtards, ce qui ne signifie pas qu’ils mènent une vie dissolue ; habillés comme tout le monde, ils jouent aux boules avec leurs paroissiens, vont aux tavernes, participent aux danses du village. A la veille de la Réforme, l’évêque de Bâle demande aux prêtres de son diocèse, "de ne pas se friser les cheveux au fer, de ne pas s’adonner au commerce dans les églises, de ne pas y faire de tapage, de ne pas tenir de débits de boissons, de s’abstenir du trafic des chevaux, de ne pas acquérir des biens volés". En outre, en France et en Allemagne, le bas clergé vit à la fin du XVe dans une situation matérielle misérable, car beaucoup de curés titulaires, ne résidant pas, se font remplacer par des desservants qui forment une sorte de prolétariat ecclésiastique, et tentent de se tirer d’affaire en "vendant" les sacrements, le baptême et la confession notamment. Jean Huss enseignera qu’un prêtre en état de péché mortel n’est plus un prêtre authentique, et l’affirmation vaudra aussi pour le pape et les évêques. Il s’élèvera contre le système ecclésiastique et le réformateur tchèque… sera brûlé.

Les laïcs et l’église.

La civilisation de l’époque est trop profondément religieuse pour que l’Eglise et l’Etat consentent à délimiter à l’amiable leurs domaines respectifs. Ou bien l’Eglise plie sous le bras séculier, ou bien les souverains cherchent à imposer leur propre puissance à l’Eglise. La défaite de Boniface VIII face à Philippe le Bel, le long séjour de la Papauté en Avignon, la résistance de Louis II de Bavière (excommunié) à Jean XXIII, le grand schisme, ont diminué le prestige sacré du Pape. La mainmise de l’Etat sur l’Eglise apparaît chaque jour plus évidente. L’Inquisition espagnole est un instrument dans les mains des souverains et le Concordat de 1516 donne à François 1er une énorme autorité sur l’Eglise. Rien d’étonnant que les anglais acceptent les réformes religieuses décidées par Henri VIII à qui le pape a décerné quelques années auparavant le titre de "défensor fidei". Partout on peut vérifier cette intrusion croissante, à la fin du Moyen Age, de l’élément laïc dans le domaine autrefois réservé à l’Eglise. A plusieurs reprises, en 1498-1499, le Parlement de Toulouse intervient pour contraindre les évêques du Languedoc à consacrer au moins le tiers de leurs revenus à leur diocèse. Dans le siècle qui précède la Réforme, les multiples confréries élèvent hospices et hôpitaux, signe que les ordres religieux ou les chapitres ne s’occupent plus du service des malades avec autant de zèle que par le passé. L’hospice de Beaune est construit à la demande et avec l’argent du chancellier Rollin.

Les mauvais moines dont on se moque, la richesse de l’Eglise qui pouvait paraître excessive, les évêques et les curés qui ne résident pas, mais cumulent les bénéfices, les papes qui se conduisent en princes séculiers et ont de moins en moins de prise spirituellement parlant sur les souverains, l’argent des chrétiens utilisé par Rome à des fins terrestres, les excommunications lancées à tort et à travers, tous ces faits contribuent à dévaloriser le prêtre et à jeter sur lui le discrédit et le doute. En novembre 1431, les Hussistes affichent à la porte d’une église de Bâle, pendant le Concile qui se tenait dans cette ville, un manifeste où l’on peut lire : "Pourquoi Dieu ferait-il plus attention aux prières des prêtres qu’à celles des autres hommes ? Est-ce à cause de leurs grosses lèvres et de leur visage rouge, ou peut-être à cause de leurs vêtements somptueux, éclatants, de leur avarice, de leur luxure ?".

Bible, humanisme et Réforme.

Où trouver une infaillibilité rassurante quand on doute du prêtre ? Ce ne peut être qu’en Dieu lui-même ; n’a-t-il pas confié son message aux auteurs inspirés ? ; la Bible devient l’ultime recours. Les foules ne lisent pas et pour cause, mais les élites qui dirigent la société savent lire et de plus se passionnent pour l’ecrit quel qu’il soit. Cette passion pour l’écrit, qui est à la source de l’humanisme, se trouvera renforcée et diffusée par la découverte de l’imprimerie. Du point de vue religieux, l’apparition du livre imprimé, produira une véritable révolution. On estime à 75% au moins la proportion des ouvrages religieux dans la production typographique entre 1445 et 1520. A ceux qui savent lire mais ignorent le latin, les Ecritures traduites en langue vulgaire deviennent plus accessibles qu’avant. Vingt-deux versions allemandes de la Bible paraissent entre 1466 et 1520 ; la première traduction italienne se situe en 1471, la première traduction hollandaise en 1477. A Paris, le roi de France lui-même (Charles VIII) demande à son confesseur, Rély, de faire imprimer la première Bible française complète qui paraît en 1487. En Espagne une première version castillane est imprimée en 1485. Les traductions de la Bible commencent à se répandre et attisent la soif que les fidèles ont de l’Ecriture. Le besoin est largement supérieur à l’offre. Chaque édition peut varier de 250 à 1600 exemplaires. Il y aurait eu en 1520 quelque 6 600 exemplaires de la Bible allemande en circulation, 13 500 en d’autres langues, plus 120 000 psautiers (réunion de 150 psaumes dits "de David"), et 100 000 livres du Nouveau Testament. C’est encore bien peu, d’où le succès de la Bible de Luther, rédigée dans un allemand accessible à tous.

Le message divin peut être déformé par les mots qui l’expriment, s’ils sont inadéquats. L’humanisme veut purifier le langage par lequel est transmise la parole éternelle, présenter l’Ecriture sous un éclairage nouveau. Il contribue ainsi à la Réforme en mettant en doute l’autorité de la "Vulgate" (version latine des livres saints faite par St Jérôme et comportant des inexactitudes et des contresens). Il introduit la méthode critique dans les sciences religieuses. La passion nouvelle pour le grec et l’hébreu aura pour effet d’éloigner les savants de la traduction latine reçue jusque-là. Pic de la Mirandole pense même que la Bible offerte aux chrétiens de son temps est incomplète et qu’une partie de révélation divine a échappé à l’Eglise. Suivant l’exemple et les méthodes d’Erasme, Luther approfondira ses connaissances en grec et en hébreu pour traduire la Bible en allemand. Dans l’ensemble cependant, les humanistes ont été des esprits religieux mais indépendants. (citons au passage le livre antichrétien de l’époque, "le Prince" de Machiavel écrit en 1513, édité en 1531). Redécouvrant l’Antiquité, devenus lecteurs de Platon et de Plotin, aimant à se plonger dans les écrits ésotériques (réservés aux initiés) attribués à Hermès Trismégiste (Thot, dieu lunaire des égyptiens, dont les grecs firent un ancien roi d’Egypte auteur de livres secrets sur la magie, l’alchimie, l’astrologie, et qui ont tenu une grande place dans les polémiques religieuses), ils évoluent le plus souvent vers une conception optimiste de l’homme, commune à Nicolas de Cues, Marsile Ficin, Pic de la Mirandole, Thomas More, Erasme et à Rabelais. Ils découvrent dans l’âme humaine une aspiration naturelle vers Dieu et décèlent dans chaque religion une manifestation au moins partiellement valable de cet élan vers le divin. Les humanistes ne nient pas le péché originel, mais ils n’insistent pas sur lui et ne vont pas à Dieu par le chemin du désespoir qui est celui de Luther. Ils accordent trop de crédit à l’homme pour accepter, lorsque l’heure du choix est venue, la doctrine protestante du "self arbitre" (déterminisme moral). Messagers d’une doctrine de paix, ils désapprouvent souvent la violence et le schisme. On comprend pourquoi les représentants les plus notables de la philosophie de la Renaissance, John Fisher, Thomas More, Erasme, Budé, Rabelais, Reuchlin, Lefèvre d’Etaples refusent de passer dans le camp réformé. Mélanchthon et Zwingli sont des exceptions. Certains autres humanistes comme Franck, Servet, Castellion, Fausto et Sozzini se retrouvent rapidement mal à l’aise à l’intérieur des orthodoxies protestantes et évoluent vers des positions de plus en plus dissidentes. Ils se font champions du libre arbitre, de l’antidogmatisme et de la tolérance. Le Luthérianisme et le Calvinisme ont été, quant au fond doctrinal, un anti-humanisme. L’humanisme a préparé la Réforme de deux façons : il a contribué à ce retour à la Bible qui est une des aspirations de l’époque, et il a mis l’accent sur la religion intérieure, dévaluant en même temps la hiérarchie, le culte des saints et les cérémonies. Mais sa conception de l’homme s’accorde mieux avec le catholicisme qu’avec le pessimisme luthérien et calvinien. Par sa philosophie la plus profonde l’Humanisme est adogmatique et conduit à un refus de la théologie : ce contre quoi réagissent et les orthodoxies protestantes et la Réforme catholique. Il engendrera le déisme du siècle des lumières. Aux angoisses de leur temps Erasme et ses amis apportent une solution insuffisante ; le moralisme qu’ils préconisent peut convenir à des âmes d’élite. La solution humaniste suppose en chacun des fidèles une grande force intérieure, cette "générosité" stoïcienne que vantera Descartes au siècle suivant. Si les hommes de la Renaissance sont capables dans l’action des plus grands héroïsmes, rien ne leur est plus étranger que la patiente conquête de soi-même. Il faut donc que la théologie vienne à leur secours, sacrements de l’Eglise romaine, ou justification par la foi de la Réforme luthérienne. Mélanchthon écrit : "Que demandons-nous à la théologie ? Deux choses. Des consolations contre la mort et contre le jugement dernier. Luther nous les apporte. Un enseignement de morale et de civilité, c’est l’affaire d’Erasme."

On comprend l’insuffisance des améliorations partielles qui se sont produites dans l’Eglise au cours du siècle qui a précédé la révolte de Luther. On n’en finirait pas d’énumérer tous les efforts de redressement accomplis ici et là. Rome a canonisé 90 personnages qui ont vécu entre 1400 et 1520. Durant cette période, il y a eu des réformes, mais non une réforme. Seul l’ébranlement du schisme a conduit Rome à repenser sa théologie, à clarifier sa doctrine, à revaloriser le prêtre et les sacrements. Luther, Calvin et tous les Réformateurs sont persuadés de la décadence irrémédiable de l’Eglise romaine, en quoi ils se trompent. Mais le redressement de celle-ci a constitué une extraordinaire surprise. En tous cas les deux réformes ennemies ont correspondu à un même sursaut de la conscience chrétienne.

La Réforme Catholique

En dépit des aspirations des fidèles et de quelques réussites isolées, l’Eglise Romaine s’est révélée incapable de promouvoir et d’opérer elle-même la profonde réforme religieuse tant souhaitée : celle-ci s’est faite en dehors d’elle et contre elle. Rome s’est pourtant décidée à enfin réagir à partir de 1535 environ. L’oeuvre entreprise est à la fois contre-réforme et réforme catholique. Contre-réforme, c’est-à-dire réaction de défense (non seulement doctrinale, mais souvent violente) face aux positions protestantes ; réforme catholique, c’est-à-dire réponse originale apportée à l’attente des fidèles et comparable en cela aux différentes reformes protestantes.

Rôle des ordres religieux :

Les efforts de réforme concernent notamment certains ordres religieux anciens. En 1528, le franciscain italien Matteo BASCHI fait approuver par le pape une réforme qui donne naissance aux CAPUCINS voués spécialement à la prédication dans les milieux populaires. En Espagne, Thérèse d’AVILA ( 1515 – 1582 ) , grande mystique et organisatrice hors pair, ramène la règle du Carmel à sa pureté primitive. De nouveaux ordres sont créés. En 1524, Gian Pietro CARAFA (futur pape Paul IV) crée les "Théatins", congrégation de clercs réguliers. En 1564, Philippe NERI établit à Rome une société de prêtres séculiers, érigée en congrégation de l’Oratoire. Mais la création la plus importante est celle des Jésuites par Ignace de LOYOLA. (1491 – 1556).

L’oeuvre du Concile de TRENTE

Clément VII, pape de 1523 à 1534, artiste et indolent, mesure mal le péril luthérien et laisse passer les dernières chances de réforme de l’Eglise. Son successeur Paul III (1534 – 1549), un Farnèse est convaincu de l’urgente nécessité de prendre des initiatives. En 1542, il crée la Congrégation du Saint Office, tribunal chargé de juger sans appel les causes d’hérésie. Dès le début de son pontificat, il décide la réunion d’un Concile oeucuménique. La guerre entre François Ier et Charles Quint, les négociations pour tenter d’amener les protestants à venir exposer leurs thèses retardent de plus de dix ans l’ouverture de celui-ci. Elle a lieu à TRENTE en décembre 1545. Mais les protestants sont absents, donc pas de compromis. L’oeuvre du Concile de Trente porte sur le dogme et la discipline. Dogme : le Concile réfute les thèses protestantes : l’homme est libre d’accueillir ou de refuser la grâce divine et les oeuvres sont nécessaires au salut autant que la foi ; la Tradition est à côté de l’Ecriture sainte un élément de la révélation ; le sacerdoce est sacré et d’institution divine ; les sacrements au nombre de sept sont, également d’institution divine ; le Christ est présent dans l’eucharistie ; les saints et la Vierge sont des intercesseurs aux-quels il faut s’adresser ; l’existence du Purgatoire et la valeur des Indulgences sont réaffirmées. Discipline : le Concile dresse un catalogue ou Index des livres interdits aux fidèles, condamne les abus de la non-résidence et le cumul des bénéfices, maintient le célibat ecclésiastique et le latin comme langue liturgique, interdit les mariages clandestins et recommande la création d’un séminaire dans chaque diocèse.

L’action des ordres nouveaux, la répression menée par le Saint Office et les tribunaux de l’Inquisition, permettent à l’Eglise romaine de regagner dans la seconde moitié du XVIe siècle une partie du terrain perdu et de stopper l’avancée protestante. Mais la condamnation sans appel du protestantisme prononcée par le Concile de TRENTE et l’autorité accrue que retire la papauté du succès de celui-ci, achèvent de consacrer la division de la chrétienté occidentale. Vers 1565, à une Europe restée catholique s’oppose une Europe protestante sous la forme soit luthérienne, soit calviniste, soit anglicane. Cette division entraîne de sanglants affrontements en Europe jusqu’au milieu du XVIIe siècle. La déchirure va marquer la sensibilité des peuples européens selon qu’ils sont catholiques ou protestants. Le protestant est l’homme du contact direct avec Dieu par la lecture personnelle de la Bible, sûr de sa foi et de son élection. Le catholique est soumis à un clergé qui, sous l’autorité du Pape, encadre étroitement le "peuple chrétien". Pourtant, ces différences profondes n’empêchent pas d’importantes convergences entre les Eglises issues des différentes réformes du XVIe siècle : foi commune en la divinité du Christ et en l’Evangile, même souci pastoral de mieux transmettre cette foi par le cathéchisme et la prédication et, par là même, de mieux christianiser des fidèles qui ne le sont souvent que superficiellement.

La Réforme dans notre région

Les attitudes religieuses ont pesé lourd dans l’histoire moderne et contemporaine de notre région (Nîmes, Sommières). L’adhésion d’une partie de la population au calvinisme a été suivie de conflits sanglants. Les affrontements entre réformés et adeptes de la vieille religion ont marqué non seulement la période qu’il est convenu d’appeler "Guerres de religion", mais, sous d’autres formes, la vie politique à l’époque révolutionnaire et au XXe siècle.

Un religieux franciscain, François Lambert crée le premier scandale en abandonnant son couvent d’Avignon pour rejoindre Luther à Wittemberg. Ce départ a un écho à Nîmes où l’on est certainement au courant de la polémique engagée autour des thèses luthériennes qui passionnent l’élite culturelle. La période de crises de 1526 à 1533 (traité de Madrid ; François 1er quitte l’Espagne laissant ses deux fils comme otages. 1528 Déclaration de guerre à Charles Quint. Crise des finances. Traité de Cambrai) est marquée par le développement de la propagande réformée. En 1534, le religieux augustin qui a prêché le Carême à Nîmes, où les disciples de Luther "avaient déjà fait un certain nombre de sectateurs", est dénoncé pour hérésie et arrêté sur ordre du Parlement de Toulouse. En 1537, deux réformés nîmois sont exécutés et, en 1541 François Ier évoque à Nîmes "le pullulement d’hérésies, erreurs, sectes nouvelles et fausses doctrines" dans la sénéchaussée de Nîmes, ordonnant aux magistrats "d’extirper cette malheureuse secte luthérienne". Malgré la répression, le zèle des réformés contre les "superstitions papistes" donne lieu deux ans plus tard à la lacération d’un tableau de la Vierge dans la cathédrale : premier acte d’une violence iconoclaste qui sera un trait distinctif du protestantisme nîmois dans ses moments paroxystiques. La voie de pénétration la plus efficace est l’institution scolaire qui se développe considérablement en cette première moitié du XVIe siècle. C’est autour du recteur PECOLET que se constitue vers 1537 le premier embryon d’église réformée nîmoise. Dix ans plus tard, la cohésion de la jeune communauté réformée s’affirme dans une lettre adressée à Calvin par les fidèles "qui sunt in nemausensi ecclesia". Les années 1550-1560 sont déterminantes pour l’implantation de la réforme. En 1551 un prêtre cévenol est brûlé. En 1554, DEYRON, dominicain, docteur en Sorbonne, est chargé d’accompagner jusqu’au bûcher dressé place de la Salamandre, le prédicant Pierre DELAVAU pour l’exhorter à revenir au catholicisme. En fait, il l’engage à mourir dans le calvinisme, puis quitte Nîmes pour Genève. La répression menée par Henri II s’avère de plus en plus inefficace. En 1557, l’ancien cordelier alésien Claude ROZIER est "brûlé à petit feu au-devant de la Fontaine". Deux ans plus tard un "ministre" est envoyé à Nîmes pour "dresser" l’église locale. Ce pasteur, Guillaume MAUGET que Ménard qualifie de "vif, plein d’esprit, assez éloquent, mais surtout ardent et zélé au dernier point pour sa doctrine", arrive à Nîmes en septembre 1559. Il y rencontre un si grand nombre de fidèles qu’il écrit à Calvin : "Notre Seigneur bénit tellement cette église par sa bonté qu’il est impossible que j’y suffise à moi seul". Le consistoire (tribunal ecclésiastique) de Nîmes est établi le 23 mars 1561. Nîmes et sa région vont rentrer dans les guerres de religion.

La réforme à Sommières

En 1561, le Consistoire établi à Nîmes, demande à Genève un coadjuteur au ministre Mauget. C’est Pierre VIRET (1511-1571) ; il évangélise Lausanne, le Languedoc, puis enseigne à Orthez à la demande de la reine de Navarre. Théologien célèbre c’est un disciple de Calvin et un ami de Farel. Sa mission n’est pas limitée à Nîmes ; il parcourt le pays. Parti le matin de Montpellier le 17 mai 1562 il arrive à Sommières où il demeure deux jours. Il prêche sous les arceaux de la place de la Halle, invectivant le pape, le clergé et les moines, annonçant au peuple qu’à l’avenir il ne paierait plus la dîme ni les impôts. (Ménard T. IV preuves 14). Les sommiérois entendent d’une oreille d’autant plus favorable ce discours, que depuis plusieurs années déjà, l’aristocratie est au courant de ce qui se passe à Nîmes. En ville les choses vont bon train et le 24 septembre 1562 les réformés s’emparent de l’église St Pons, en chassent les catholiques et y font leur prêche. Ils assiègent le château, le prennent facilement et en chassent le gouverneur Antoine BOURDIN qu’ils remplacent par Claude VERGIER, sieur du ROZIER. Les catholiques sont obligés de faire construire à la hâte, une petite église ou chapelle, au quartier du Plan de l’Oly. (emplacement actuel du couvent des Ursulines). Bien évidemment " tous ces changements ne purent se faire sans violence et sans excès". Les catholiques devenus minoritaires sont contraints à aller au prêche. Quand ils s’y refusent on leur crie : "gara, gara l’espoulsetta" et le dénommé Durand, fervent catholique fait l’expérience des grands coups de bâton. Les monastères sont pillés, les religieux dispersés, certains massacrés, tels deux frères cordeliers et sept pélerins espagnols qui se trouvent dans leur couvent. La nouvelle religion s’impose dans toute la région. Toutefois il faut remarquer que la rive droite de Vidourle demeure catholique. Une fois de plus, le fleuve constitue une frontière politique, puis religieuse. (consulter les travaux de Didier Poton). La mort du duc de Guise, assassiné par Poltrot, amène la première paix entre les deux partis ; elle est publiée par un édit de Charles IX donné à Amboise le 19 mars 1563. Il porte amnistie pour le passé, liberté pour les protestants d’avoir un temple dans les villes où ils sont maîtres, restitution aux catholiques de leur église et de leurs biens aux ecclésiastiques. La paix est mal observée et il faut l’arrivée du maréchal de DAMVILLE comme gouverneur du Languedoc pour permettre aux catholiques de "respirer" un peu. Il remplace Claude Vergier, gouverneur du château par Jacques de la CROIX, baron de CASTRIES. (1564). Henri 1er de Montmorency, comte de Damville, puis en 1579 duc de Montmorency, connétable de France (Chantilly 1534, Agde 1614) fils du connétable et maréchal de France Anne de Montmorency, succède à son père dans le gouvernement du Languedoc à l’âge de 29 ans. Brutal, roublard, illétré, jouisseur, son attitude évolue peu à peu, de la répression au compromis et au modérantisme, au rythme des succès et des échecs qu’il enregistre en Languedoc où il exerce une véritable vice-royauté, mais aussi en fonction du degré de faveur que la couronne accorde à sa maison. Maréchal de France en 1567, ennemi des Guise, il combat la Ligue en 1575, mais se rallie à Henri IV qui le fait connétable en 1593. C’est grâce à sa vigilance que le Bas-Languedoc échappe au massacre de la St Barthélémy ce qui lui ouvre un crédit de confiance chez les Huguenots. Il tient tête au roi Henri III en créant "l’Union des catholiques et de ceux de la religion", proclame le liberté de conscience et de culte, crée des chambres de justice à Montauban, Millau, Castres et Mazères. Joyeuse assiège vainement Montpellier défendue par Damville (1577) jusqu’à ce que la paix de Bergerac en fasse une place de sûreté protestante pour six ans. Il repousse une attaque espagnole contre Leucate et Narbonne, puis choisit le parti de la légitimité. Roi sans couronne du Languedoc il sera récompensé par Henri IV. Le 30 septembre 1567, jour de la St Michel, a lieu à Nîmes la "michelade" au cours de laquelle des catholiques sont égorgés, parmi lesquels le vicaire général Jean de PABERAN, des notables dont le premier consul, des soldats et des gardes albanais du gouverneur du Languedoc. L’évêque, Bernard del BENE réussit à s’enfuir. A la tête des massacreurs se trouvent des personnalités protestantes tels Vidal d’ALBENAS ou François de PAVEE, gros acquéreurs de biens ecclésiastiques. On estime le nombre des victimes à une centaine. C’est le début de la deuxième guerre de religion. Sommières n’a pas eu à déplorer de tels incidents bien qu’il y ait eu quelques vexations ou règlements de comptes individuels. Les consuls impuissants à les empêcher, réclament au roi l’administration de la police qu’ils n’arrivent plus à assurer. Charles IX, par lettres patentes datées de Fontainebleau le 10 avril 1569, les rétablit dans l’administration de la police, avec pouvoir de punir les infractions à leurs ordonnances, par des amendes destinées à la nourriture et l’entretien des pauvres. La deuxième paix, dite de Longjumeau (mars 1568) et qui renouvelle l’Edit d’Amboise de 1563, ne dure pas. Le 25 juillet, les catholiques constituent la "Sainte Ligue" ; le 23 août, les protestants relancent la guerre ; le roi révoque toutes les faveurs accordées aux calvinistes et un édit du 25 septembre tente de rétablir une seule religion dans le royaume. A Sommières, le parti calviniste étant le plus fort, les catholiques ne bougent pas et cette situation particulière laisse pendant quelques années la ville en dehors des agitations et désordres qui suivent cette troisième guerre civile. Elle se termine par l’édit de Saint Germain-en-Laye du 8 août 1570 qui, pour la première fois, accorde des places fortes aux protestants. Le 24 août 1572, vers quatre heures, débute à Paris, par l’assassinat de Coligny, la journée connue sous le nom de "massacre de la St Barthélémy" ; le 25 au matin, le massacre cesse, mais la chasse aux protestants s’étend jusqu’au 3 octobre. Il semblerait que les sommiérois aient fait preuve de sagesse et ne se soient pas laissé aller à de telles exactions. Souvenons-nous aussi que le clan catholique est largement minoritaire. La situation est à quelque chose près la même que celle de Nîmes dirigée par un consulat "mi-parti" entre les deux religions ; l’atmosphère est assez détendue et, est-ce le fait des modérés, ou la conscience de leur faiblesse de la part des catholiques, la St Barthélémy est sans effet. La résistance protestante à la nouvelle politique royale trouve son centre de gravité dans le sud de la France et donne lieu à la constitution d’un "contre-état" financé par des impôts royaux détournés et des revenus confisqués à l’église romaine. Nîmes va jouer un grand rôle dans la mise sur pied de cette organisation et sur le plan local les réformés auront la situation bien en mains d’autant plus que l’Etat huguenot jouit du soutien intéressé du gouverneur du Languedoc, Henri de Montmorency-Damville. A l’image de Nîmes, les protestants sommiérois s’organisent. Ils s’assemblent en armes place du Marché où ils établissent un corps de garde, puis s’assurent de la ville. Ceci n’empêche pas le viguier, un jeune homme nommé le capitaine Pouget, aidé de quelques catholiques de s’emparer du château et de s’y enfermer, non sans avoir fait avertir de la situation le vicomte de Joyeuse lieutenant général du Languedoc, alors à Montpellier. Henri duc de Joyeuse, comte de Bouchage, (1567 – 1608), à la mort de sa femme Catherine de la Valette, il prend à Paris l’habit de capucin sous le nom de "père Ange". (1587). En 1592, il entre dans le monde et devient lieutenant général du Languedoc (représentant du roi dont il détient une grande partie des pouvoirs) sous le cardinal son frère. (François, archevêque de Narbonne, puis de Toulouse, négocie la réconciliation de Henri IV avec la cour de Rome). En 1593 il se met au service de Montmorency donc de Henri IV qui récompense très chèrement ce ralliement (pardon, titre de maréchal, gouvernement de Narbonne, Carcassonne et autres châteaux, garde de trente arquebusiers à cheval etc…). En 1599 il retourne chez les capucins. Il envoie à Sommières, sous le commandement du capitaine Montpeyroux, une compagnie de gendarmes et des soldats qui n’ont aucune peine à reprendre la ville : les protestants avertis de leur arrivée, se sont enfuis à Sauve, Anduze et dans les Cévennes. Pourtant, jugeant Sommières comme une place de très grande importance pour eux, "à cause qu’elle servait de porte de communication de Montpellier aux Cévennes, leur retraite ordinaire", ils vont tenter de la reprendre. Ils réunissent cinq cents hommes sous les ordres d’Antoine Dupleix, seigneur de Grémian. Ce dernier a épousé une fille de Sommières, Françoise de Bérard, dont la famille jouit d’une grande réputation. Vers minuit, Grémian cache ses hommes près du château (quartier de la Grand Font) ; un maréchal-ferrant et un serrurier aidés de l’intérieur par des complices forcent une petite porte de secours située à l’est. Au matin quelques soldats pénètrent dans la forteresse. Pouget pris à l’improviste court s’enfermer dans la grande tour du haut de laquelle il appelle au secours. Montpeyroux qui commande toujours la ville, suivi de quelques hommes de sa compagnie et de quelques catholiques accourt au château ; mais il arrive juste pour y voir tranquillement entrer les protestants. Pouget, ne voyant venir plus aucun secours est bien obligé de se rendre. Enfermé pendant huit jours dans une pièce du château, il est enfin libéré et gagne Fontanès dont le seigneur du lieu est le baron de Combas. Maîtres du château, Grémian et ses hommes descendent en ville et pillent les maisons des catholiques. Ribot, le maréchal-ferrant qui a ouvert la porte, outre sa part, reçoit un cheval qu’il revend trois cents écus ; plus tard il obtiendra le commandement du château. Des scènes de désordre se déroulent en ville ; nous en connaissons l’existence grâce au témoignage de Giry qui a failli laisser la vie dans l’affaire. Bachelier "ès droit" et habitant de Sommières, il fait imprimer à Lyon en 1578, l’histoire des deux sièges de cette ville en 1573 et 1575. Il est aussi particulièrement intéressant d’étudier le dessin représentant le premier siège "fait à Lyon par Jehan le Feure, tailleur d’histoires en rue Thomassin à l’enseigne des trois craxant (croissants )". L’original est à la B.N. François Roussel, juge de la ville donne à dîner ce jour-là. Pour défendre l’entrée de sa maison, il sort armé d’une vieille hallebarde ; se trouvant en minorité, il fuit dans la maison voisine d’un avocat. Il est dénoncé par une femme qui l’a vu entrer. Les soldats le découvrent, le massacrent et après l’avoir enterré dans un tas de fumier vont piller sa maison. Giry lui-même poursuivi par des soldats se réfugie dans la maison de l’un de ses amis de religion réformée et ne doit la vie sauve qu’à l’intervention de cet ami auprès de Grémian. Quant à Montpeyroux, il n’a pas le temps de faire retraîte et, avec une cinquantaine des siens, il se réfugie dans la tour de l’horloge (beffroi). Mais les protestants leur tirent dessus depuis les maisons voisines et surtout allument un grand feu sous la voûte de la tour. Au bout de trois jours, près de l’asphyxie, Montpeyroux et quelques autres, sautent dans les braises, courent au pont, se laissent glisser sur les ancoules, se jettent à Vidourle et à travers la campagne regagnent le château de Fontanès. Ceux qui sont restés dans la tour se rendent à Grémian, qui, après les avoir désarmés, les laisse partir. L’affaire arrive aux oreilles du roi qui envoie DAMVILLE (le voilà catholique) gouverneur de la province, pour y remédier. Dès janvier 1573, la reprise de Sommières est décidée ; mais auparavant celui-ci attaque le château de Calvisson qui se rend rapidement, pille le village dont la majorité des habitants se retire à Sommières ou à Montpezat qui à son tour est pris ; le jeune baron sauve de justesse sa tête et la place est démantelée sur ordre de Joyeuse. Après la prise de Montpezat, l’armée composée de quinze à vingt mille hommes, huit pièces de canon, six grosses couleuvrines, quelques mousquets, trois pièces montées sur roues, vient investir Sommières le 11 février 1573. La place est défendue par trois braves capitaines : Grémian, Pierre Senglor, le sieur de Porqueirès. Damville leur fait des propositions afin qu’ils se rendent. Ils refusent, Damville prépare le siège et dispose son artillerie sur le plateau de Villevieille. La tour construite par Louis IX est prise sous le feu de sept pièces de batterie qui tirent sans arrêt pendant un jour et demi. Le jeudi 10 février, à dix heures, elle s’effondre d’une seule pièce. L’assaut est donné, commandé par Montpeyroux, sous les yeux du maréchal de Damville, de son épouse et de quelques autres dames. Montpeyroux, Limans et Autremencourt périssent. Ce dernier est enterré à Montpellier, Limans pendu à un créneau ; quant à Monpeyroux il reçoit les honneurs de la part des assiégés. Malgré l’héroïsme de la défense, les assiégés manquent de viande, d ‘huile, se nourrissent de pain bouilli ; les munitions font cruellement défaut. Des transactions qui n’aboutissent pas sont entreprises avec le maréchal de Villevieille. Des renforts tentent en vain de pénétrer dans la place. La tour construite à l’angle N.E. de la Vignasse, après plusieurs jours de batterie, s’effondre entraînant avec elle plusieurs longueurs de muraille. La Vignasse est alors prise sous le feu de plusieurs couleuvrines. Battus de toutes parts, sans vivres et sans munitions, les assiégés décident alors de se rendre. Le jeudi 9 avril, ils remettent la ville et le château à Damville qui y fait son entrée accompagné de Joyeuse, d’Antoine de Semeterre évêque du Puy, installe un gouverneur, puis va coucher au château de Villevieille. Après avoir séjourné plusieurs jours dans la ville , il rétablit le culte catholique, y laisse deux compagnies d’infanterie et beaucoup de soldats puis se retire à Montpellier. Quant aux protestants, sous la conduite de Grémian, par une pluie battante et un temps affreux, ils se retirent dans les Cévennes.

Après le siège, la ville se trouve dans un triste état : maisons ruinées, cadavres en décomposition qui provoquent une épidémie cause de nombreux décès. Mais les malheurs des sommiérois ne s’arrêtent pas là : Damville nomme comme gouverneur le capitaine Raynaud, vieil officier dur, cruel, rigide qui tourmente les habitants pour leur faire réparer les brèches aux murailles. Il commande aussi à Villevieille un détachement de trente hommes qu’il laisse piller, violer, battre, assommer les habitants à la moindre résistance. Ceux-ci se plaignent à Damville qui envoie Raynaud en prison à Beaucaire et le remplace par le capitaine la Véochette. Plus humain, il se montre par contre plus avare et ramasse beaucoup d’argent au moyen de contributions qu’il lève sur Sommières et les villages voisins. Mais Damville devient suspect à la cour ; le roi et la reine mère décident de s’assurer de lui. Malheureusement, le courrier qui en porte l’ordre est arrêté, les dépêches lui sont remises. Il prend ses précautions, en particulier, il nomme gouverneur de Sommières le capitaine Goult, ancien page de son père, entièrement à sa dévotion. Charles IX avant de mourir ayant désigné François de Montpensier comme gouverneur du Languedoc, Damville se range ouvertement du côté des calvinistes qui le reconnaissent comme gouverneur général lors des assemblées de Millau et de Montpellier. Il connaît la valeur de la place de Sommières où il a mis un homme de confiance, tout dévoué ; mais ce dernier est catholique, ce qui le chagrine. Le 26 octobre 1574, il se rend au château et tente de persuader Goult d’abandonner la place. Celui-ci, en fidèle sujet du roi, refuse, critiquant même la politique versatile de Damville qui lui adjoint un lieutenant de la religion réformée. Goult n’est pas décidé de le recevoir. Il fait venir en cachette une troupe de soldats qui, après avoir marché toute la nuit du samedi au dimanche 31 octobre, entrent au château par la fameuse petite porte et renforcent la garnison. Le lendemain, sous prétexte de leur communiquer les ordres de Damville, il convoque tous les habitants qui se réunissent, tant catholiques que protestants, au nombre de plus de deux cents. Il les fait ranger sur deux rangs, catholiques d’un côté, protestants de l’autre et déclare à ces derniers qu’ils sont ses prisonniers. Il les fait d’abord emprisonner dans une citerne puis dans un cachot. Pendant ce temps, malgré les catholiques, les soldats pillent les maisons des prisonniers qui sont enfin relâchés. Le fameux lieutenant annoncé par Damville doit quand même arriver avec une petite troupe. Goult prépare un traquenard. Lorsque celle-ci sera engagée entre les deux tours sur le pont, elle sera attaquée et égorgée. Par excès de précipitation, le coup rate ; les premières personnes arrivant du côté de Montpelier sont tuées : un toulousain qui vient pour un procès et deux sommiérois qui rentrent chez eux. Bien sûr, le lieutenant et les siens rebroussent chemin pour avertir Damvile qui entre dans une grande colère. Le résultat de cette affaire est que la guerre est allumée en ville : protestants sous les ordres de Damville, catholiques sous ceux du duc d’Uzès commandant de la province. Ce dernier envoie un renfort au château. La ville manque de vivres ; le duc d’Uzès oblige celle d’Aimargues à fournir des charges de blé que les sommiérois doivent aller chercher. Mais les protestants sont avertis, attendent le retour de l’expédition, tuent une quarantaine d’hommes, s’emparent du blé et du bétail qu’elle ramène (13 mai 1575). Le duc d’Uzès envoie alors du blé en provenance de la Calmette sous la protection d’une bande de mercenaires que les protestants n’osent attaquer. Hélas ces soldats étrangers coupent les blés semés autour de la ville et les donnent en fourrage à leurs chevaux. L’ambiance dans Sommières est des plus moroses : outre la disette, il faut sans cesse monter la garde car les protestants rôdent autour des murailles. Ils tentent même une escalade du côté de la porte de la Taillade. (mai 1575). Ils sont surpris ; tentent une nouvelle escalade côté porte du Bourguet. En vain. Une expédition à Fontanès chargée de ramener un troupeau de moutons se solde par la perte des bêtes, la pendaison du capitaine qui la commande et la mort d’environ soixante-dix soldats. Ici se place une anecdote assez cocasse (sauf pour certains). Nous sommes à la fin du mois d’août ; les premiers raisins commencent à mûrir. Personne en vue ; une troupe de femmes se hasarde hors des murs. Hélas les protestants cachés veillent, les font prisonnières et les renvoient en ville, "coupant ras du cul les robes des femmes, lesquelles on voyait revenir à la ville couvertes de honte et de confusion, baissant la tête et n’osant regarder personne, tant elles étaient honteuses de se voir en tel état". (Giry).

La pression sur la ville est de plus en plus forte : d’un côté les soldats de Damville, de l’autre les huguenots ; par précaution, le maréchal n’ayant pas voulu mélanger les deux troupes. (suspicion réciproque). Damville envoie une lettre au gouverneur et aux habitants, les invitant à se rendre. Goult ayant répondu qu’il reste fidèle au roi, le dimanche 21 août, le maréchal fait amener à dix heures du soir une pièce de canon qui tire sur une guérite en briques, au sud des remparts, près du fuyant de la Grave. Devant le peu de résultat, les assiégeants transportent le canon face à la tour et a la porte du pont murée en pierres sèches. Une cinquantaine de boulets sont tirés inutilement : on rapporte la pièce à Montpellier. Le duc d’Uzès envoie en ville, par le côté de Villevieille, une dizaine de personnes pour annoncer, dans trois jours, son arrivée avec toutes ses troupes, ce qui redonne un peu courage aux assiégés. Dans la nuit du samedi 10 au dimanche 11 septembre, les protestants mettent le feu à la porte conduisant au château. (porte dite des Frères Mineurs). Pour comble de malheur, le 15, de fortes pluies s’abattent en Cévennes, provoquant une terrible inondation qui renverse plus de quarante pans de murailles. Le 17 septembre, malgré une crise de fièvre, le duc d’Uzès et ses troupes font leur apparition ; ils tombent sur Damvile et les siens du côté de la Condamine, les obligent à s’enfermer dans Villevieille (quartier général de Damville). Le duc ne s’aventure pas à l’intérieur de Sommières, et fait décharger devant la porte de la Taillade du blé, de la farine, du lard, de l’huile et du sel qui n’ont pas été perdus au cours du combat, puis il se retire dans les environs de Calvisson. Il revient le lendemain, est attaqué par Damville qui est encore battu et doit faire retraite à Lunel, laissant de nombreux morts sur le terrain. Mais il ne reste pas en ville : manque évident de confort, mais surtout crainte d’y être assiégé. Neuf jours plus tard, ce sont les huguenots qui, au nombre de trois cents tentent une attaque de la brèche faite par Vidourle. Les habitants veillent, elle échoue. La situation dans Sommières est telle que l’on songe à se rendre après avoir averti le duc d’Uzès et réclamé des otages en garantie. Les consuls se réunissent, rédigent une demande de reddition qu’ils font porter à Damville à Montpellier par le premier consul et deux autres habitants. Ils sont fort bien reçus par le maréchal qui leur accorde tous les articles contenus dans leur supplique. Ses réponses sont écrites en marge de celle-ci. (le texte est connu). Au bout de six jours le duc d’Uzès ne s’étant pas manifesté, le 15 octobre, le capitaine Goult rend la ville et le château à Damville. Celui-ci de retour à Villevieille l’invite à dîner. Après le repas ils se promènent dans la cour du château ; Damville lui reproche l’oubli des bontés qu’il a eues pour lui, confirme que tous les articles de la reddition sont acceptés et l’invite à se retirer avec ses soldats dans la région d’Albaron sur le Rhône. Goult retourne à Sommières, en sort une heure après avec ses compagnies qui se débandent immédiatement car la plupart des soldats sont des villages environnants. Le dimanche 16 octobre, Damville fait son entrée en ville, y établit comme gouverneur le capitaine Senglar, " homme sage et prudent", et rétablit le culte de la religion réformée.

Ainsi se termine l’épisode qu’il est convenu d’appeler "le deuxième siège de la ville de Sommières".

Etat de la ville après les sièges

Sommières se trouve dans un état lamentable. Ceux qui ont pu sont partis ; d’autres ont été tués. D’après Giry, il ne reste debout que "trente huit maisons fort pauvres". Le petit groupe des catholiques qui a survécu et qui n’a pas quitté la ville s’est résigné, à quelques exceptions près, à se convertir à la réforme. Mais les incidents sont fréquents et les relations entre communautés assez tendues. Le 25 novembre 1575, les Etats de la Province se tiennent à Béziers : trois membres du Conseil y sont dépêchés. Damville, bien que chef des calvinistes, fait rebâtir les églises de la région et permet la célébration du culte catholique. A Sommières il a lieu dans une église provisoire au Plan de l’Oli (quelque part sur l’emplacement du couvent des Ursulines). L’année suivante (1576) un nouveau traité de paix est signé à Paris entre le prince de Condé au nom des catholiques, et Damille au nom des protestants. Mais il ne fait pas l’unanimité ; considéré comme trop favorable aux protestants, il est à l’origine de la LIGUE. La guerre recommence, pourtant à Sommières tout reste calme. Les protestants, toujours méfiants à l’encontre de Damville, s’assurent de quelques places de la région, dont Sommières et Montpellier (que le maréchal est contraint d’assiéger) Ils n’ont pas tout à fait tort, puisque ce dernier, devenu duc de Montmorency, passe dans le camp du roi Henri III. De nouvelles négociations de paix sont conclues au mois de décembre 1581. Les églises sont restituées aux catholiques dont celle de St Pons utilisée pour le culte protestant. Les réformés cherchent un emplacement où établir leur temple ; Antoine Dupleix seigneur de Lèques et sa femme vendent aux consuls "un casal de maison rue des Baumes, sur lequel fut bâti le temple… de manière que des deux églises, à un voisinage si rapproché, on pouvait aisément entendre de l’une ce qui se passait dans l’autre." Le 18 juillet 1585, Henri III qui a cédé aux ligueurs, par le traité de Nemours, révoque tous les édits de pacification antérieurs, et par là interdit l’exercice du culte réformé. Les ministres (pasteurs) doivent quitter le royaume, les fidèles se convertir ou partir en exil dans un délai de six mois. Les protestants sont déclarés incapables d’exercer aucune charge publique et doivent restituer les places de sûreté. Il engage le roi de Navarre à se convertir. C’est l’heure des catholiques et du duc de Guise. Damville passe dans le camp du roi de Navarre dont la région a pris le parti. (Guise est assassiné le 23 décembre 1589). En 1586 une attaque de peste se produit dans les environs de Nîmes : Sommières, Anduze, Calvisson, Clarensac, Saint Cômes et Castries sont touchés. Le 1er août 1589, Henri III est assassiné par Jacques Clément et Henri de Bourbon, roi de Navarre devient roi de France sous le nom de Henri IV. Il abjure le 25 juillet 1595. (Paris vaut bien une messe). Une fois encore, Damville est dans le bon camp. Les divers édits de pacification ayant créé une chambre mi-partie pour juger des différents entre catholiques et protestants, il convient d’en fixer le siège (1595). Sommières se porte candidate et propose même de faire les frais du transport de l’ameublement du tribunal. Les démarches sont sans succès, mais cela nous laisse à penser que notre ville est très largement en majorité protestante et qu’elle aspire à jouer un rôle important dans la politique du Languedoc. L’Edit de Nantes va la consacrer place de sûreté protestante. (voir L. ANQUEZ : Histoire des Assemblées Politiques des Réformés de France 1573-1622. Paris 1859) Nous savons grâce à "l’Etat des deniers à payer pour la solde des gens de guerre et l’entretien des gouverneurs des places d’otages" que 39 hommes d’armes sont préposés à la défense de la place et que le montant de leur solde s’élevent à 145 écus 40 sols. Les places du Languedoc et généralité de Montpellier sont les suivantes : Castres, Lunel, Sommières, Montpellier, Aigues-Mortes, Fort Peccais, Tour Charbonnière, Gignac, Marvejols, Clermont-Lodève. A celles-ci il faut ajouter pour notre région : Alais, Uzès, Aymargues.

Sommières après l’Edit de Nantes

La vie religieuse et morale des fidèles est, comme à Nîmes, soumise à un contrôle strict. Ils doivent, le dimanche, assister aux prédications et s’abstenir de travailler. Ils sont tenus de communier à Noël, à Pâques, à Pentecôte et en septembre. Le Consistoire est tout puissant. Il faut protéger le troupeau calviniste de toute souillure, pêché de parese ou de luxure, ou de la "pollution papiste". Vagabonds et femmes de mauvaise vie sont souvent expulsés. Disputes, violences, recours à des guérisseurs, paillardise, jeux, mascarades, danse (l’avocat religionnaire Anne Rulman l’appelle la "maquerelle du diable") sont l’objet de la vigilance des anciens et les coupables doivent faire amende honorable devant le Consistoire. Même le jeu de quille ne trouve pas grâce à leurs yeux. Les réformateurs catholiques associent leurs rigueurs à celles des huguenots. Fléchier formule ainsi son bilan à son troupeau "nouveau catholique" : "Mes très chers frères qui êtes sortis de l’hérésie, quand ce ne serait qu’en apparence, n’avez-vous oublié de votre ancienne discipline que la privation des spectacles qu’elle vous avait interdits ?"

L’Edit de Pacification est signé à Nantes le 13 avril 1598 ; il est déclaré perpétuel et irrévocable. On y mentionne les droits et privilèges des protestants français, la liberté de conscience leur est concédée dans toutes les villes ou lieux du royaume et pays de l’obéissance du roi ; toutes les charges et dignités leur sont accessibles ; ils obtiennent pour huit ans une centaine de places de sûreté. La religion catholique est rétablie en tous lieux où son exercice "a été interdit" (art. 3). "Si donnons en mandement aux dits gens de nos dites cours de parlement, chambres de nos comptes et cours de nos aides, baillifs, sénéchaux, prévôts et autres nos justiciers et officiers qu’il appartiendra, et à leurs lieutenants qu’ils fassent lire, publier et enregistrer cestui notre présent édit et ordonnance en leurs cours et juridiction, et icelui entretenir, garder et observer de point en point, et du contenu en icelui faire jouir et user plènement et paisiblement tous ceux qu’il appartiendra, cessant et faisant cesser tous troubles et empêchements au contraire, car tel est notre bon plaisir… (art. 95). Il apporte une vingtaine d’années de paix qui permettent un renouveau du catholicisme. Cette renaissance suscite souvent l’inquiétude et la mauvaise humeur des réformés. Les habitudes de coexistence prises à l’époque de Damville persistent malgré tout. Citons simplement en 1599, Abdias de Chaumont, seigneur de Bertichères, zélé protestant que nous retrouvrons en 1621, qui s’empare du château où il se fortifie. Il accepte de s’en retirer moyennant une somme de 1300 écus sur le sel, consentie par les Etats de la Province réunis à Pézénas cette année là. Bertichères aura des problèmes avec la communauté de Sommières à propos de droits seigneuriaux appartenant au roi sur la baronnie de Montredon. La prépondérance protestante est à la fois démographique, économique et politique. Si l’on se base sur Nîmes les protestants forment la partie la plus riche de la population, les marchands et la fraction la plus aisée de l’artisanat. Selon Le Roy Ladurie les ruraux ou semi-ruraux, travailleurs, bergers sont plus nombreux chez les catholiques. Les protestants dominent aussi politiquement la cité. (Nîmes n’est pas place de sûreté, mais elle est tenue militairement au moyen de milices bourgeoises.) A cette époque l’évêque Pierre de Valernod, évêque résidant, homme de vie intérieure, réformateur d’un clergé souvent scandaleux administre le diocèse de 1598 à 1623 aidé par un vicaire général de grande qualité, son neveu Louis Maridat. On voit apparaître des religieux caractéristiques de la réforme catholique : jésuites, récollets, franciscains. Les nîmois voient avec quelque mauvaise humeur les processions catholiques se dérouler en ville, notamment celles des Rogations. Ils manifestent en organisant des cortèges burlesques parodiant les cérémonies catholiques. Il ne faut pourtant pas croire que les deux camps sont fanatiquement attachés à leur religion au point de n’avoir aucun rapport entre eux. La vie économique met en contact permanent catholiques et protestants, des mariages mixtes ont lieu malgré les inetrdictions du concile provincial de Narbonne (1609) ou des synodes de l’Eglise Réformée. Sur le plan des élites intellectuelles, l’idéal pacifiste des humanistes chrétiens contemporains d’Erasme, marié à l’apport des "politiques" de la fin du siècle se manifeste à Nîmes. Le pasteur Jean de Serres, professeur à l’académie de Nîmes élabore en 1597 un projet pour la réunion des deux religions qui doit tendre à "la concorde de l’Eglise en la vérité et la paix du royaume", tandis que le savant avocat protestant Anne Rulman dédie une de ses oeuvres au nonce du pape et entretient des relations amicales avec ses confrères catholiques. Il aspire, sous le régime de l’Edit de Nantes à un véritable âge d’or. Dans un discours prononcé en 1604 il affirme que les deux religions sont "si bien apprivoisées ensemble" que "tout l’assaisonnement de leurs désirs et de leurs espérances, git en l’amour de la royauté". L’optimisme d’Anne Rulman sera cruellement démenti par les guerres civiles qui vont reprendre dans les années 20. L’irénisme des uns (attitude pacificatrice faite de compréhension et de charité), l’indifférence des autres ne doivent pas nous faire oublier le militantisme agressif des zélateurs des deux réformes : au début du XVIIe siècle les protestants enregistrent de nouvelles conversions ("l’église de Dieu plantée en cette ville accroissant de jour en jour le nombre des fidèles" pasteur Olivier). Inversement des conversions de protestants ont lieu pendant cette période du fait des jésuites. Les deux exemples les plus remarquables à Nîmes sont ceux de Plantavit de la Pause professeur au collège qui deviendra évêque de Lodève, de Guillaume de Reboul qui lancera après son abjuration des pamphlets violents, haineux et injustes contre ses anciens coreligionaires ; En 1613, la conversion du pasteur Jérémie Ferrier provoque une véritable émeute populaire contre l’apostat qui doit se réfugier à Paris. A Sommières la vie s’écoule à peu près calmement, le quotidien restant la préoccupation première des habitants. Au mois de décembre 1614 Louis XIII confirme à son tour les privilèges de la ville (lettres patentes du 2 avril 1615). Monsieur Louis de Baschy seigneur d’Aubais est alors propriétaire du droit d’encan de toutes les choses mobilières qui se vendent dans la ville. En 1607, les prudhommes et arpenteurs nommés par Mr Pons Malbois juge, député par la cour des Aides de Montpellier commencent, le premier février, un nouveau compoix de la ville et territoire de Sommières ; il est terminé le 2 décembre de la même année, et le 7 du même mois il est rendu exécutoire. Ce compoix servira de base pour l’assiette des impositions jusqu’en 1791. (Archives communales CC 4). Les guerres vont reprendre au printemps 1621 lorsque, après l’expédition menée par louis XIII en Béarn pour y rétablir le catholicisme, l’assemblée de la Rochelle appelle aux armes. Dès 1620 dans la région de Sommières les protestants procèdent à des levées de troupes. Dans une délibération du conseil de la communauté du 23 avril, le premier consul en avertit ses collègues et il est décidé que "attendu qu’on ne connait pas dans l’intérêt de qui se font ces levées, et pour empêcher toute surprise et insulte à l’encontre de la ville de la part des ennemis de l’état, il sera fait bonne garde, tant de jour que de nuit pour conserver la place au service et obéissance de sa majesté". Sommières possède à cette époque un pasteur de grand renom, Jean Chaune que Nîmes et Montauban lui disputent. Le synode national des Eglises Réformées d’Alais, en novembre 1620, le conservera à son église "à cause de la connaissance qu’il en avait et des bénédictions que, par la grâce de Dieu, il y avait répandues". Des troupes rôdent autour de la ville, pillant les villages ; en conséquence on décide d’armer les habitants et pour cela le conseil décide l’achat de deux cents mousquets. Le 4 avril 1621 une alerte a lieu. Le gouverneur de la ville et du château, Mr de Saurin, met immédiatement ses soldats sous les armes, mais ils manquent de poudre. Il est donc obligé d’en demander aux consuls qui ont leur réserve dans la maison commune. Ceux-ci daignent lui en donner 25 livres "en raison des services par lui rendus à la communauté". On se demande ce qui se serait passé s’il y avait réellement eu une attaque. C’est pourquoi, devant la situation, on envoie en renfort à Sommières quatre compagnies du régiment de son gouverneur, et les habitants montent la garde jour et nuit. Mais la population pauvre se plaint et tient des propos séditieux disant "qu’on ne faisait faire la garde qu’aux pauvres, qu’il fallait couper le col aux riches et qu’on aurait après leurs biens". L’histoire se termine devant la justice. Mais nous approchons des moissons. Alors on décide de faire monter la garde par les riches "afin de laisser aux gens de travail le moyen de gagner quelque chose pour se nourrir eux et leurs familles" ; ils sont même dispensés de travail aux fortifications du côté du Bourguet jusqu’après l’enlèvement de la récolte. A propos de ces travaux, en six mois, plus de trente délibérations sont prises par le conseil. A Nîmes les choses se passent assez mal : la ville tombe sous la suprématie des plus intransigeants derrière le baron de Brison gouverneur, les militaires, appuyés sur la masse des artisans, aux dépens des marchands et des notables que l’esprit politique autant que celui des affaires pousse à la modération. Ce sont ceux que la masse huguenote qualifie de "descambarlats" (un pied dans chaque camp). C’est le moment où le duc de Rohan est reconnu chef des églises réformées de la province (Bertichère est son second). Henri II duc de Rohan est né à Blain en 1579. Huguenot élevé dans l’austérité, il se distingue auprès de Henri IV au siège d’Amiens en 1597. Il épouse la fille de Sully. Après la mort de Henri IV il devient chef des huguenots et s’oppose à la politique de Marie de Médicis. Il s’empare de Montauban, puis se soumet. Lorsque la religion catholique est rétablie dans le Béarn il rejoint les protestants révoltés et s’empare de plusieurs villes. Le traité de Montpellier en 1623 lui donne satisfaction, mais il n’est pas appliqué. Les combats reprennent alors que Richelieu assiège la Rochelle. En 1629 Rohan doit accepter la paix d’Alais, s’établit à Venise où il écrit ses mémoires. Rentré en grâces, il est nommé embassadeur en Suisse ; mais Richelieu qui se méfie de lui, l’envoie combattre auprès de Bernard de Saxe-Weimar ; il est mortellement blessé en 1638. La guerre civile un moment interrompue en 1622 reprend en 1625 et se termine en 1629 par la paix d’Alais le 28 juin. Cette décennie de crise ruine l’effort de restauration catholique de la période précédente. Revenons en arrière. Fin 1621 la cathédrale de Nîmes est à nouveau abattue de même que le couvent des Récollets ; il n’y a pas de massacre mais on s’acharne contre les croix et les crucifix. Le bourg catholique de Marguerittes est mis à sac, d’autres exactions ont lieu à Calvisson, Nages, Congénies, Gavernes, Villetelle. Le culte catholique est aboli à Nîmes et les adeptes sont conduits à des abjurations d’une sincérité aussi discutable que celle des protestants, un demi siècle plus tard, lors des persécutions "louis quatorziennes". A Sommières le service catholique est interrompu, l’église mutilée "enlevée à sa destination et mise dans l’état le plus déplorable". Voici deux anecdotes datant de 1622. La garnison du château de Montlaur commettant des exactions dans tout le secteur, mais surtout menaçant la sécurité de la route Monpellier les Cévennes, Rohan décide d’assiéger le château. Il le fait battre par quatre pièces d’artillerie qui ouvrent une brèche suffisante pour que l’assaut soit donné. Le seigneur de Montlaur soutient l’attaque et oblige les assiégeants à abandonner, laissant sur le terrain une centaine de morts et de nombreux blessés. Le lendemain Rohan élargit la brèche et se prépare à attaquer. M de Montlaur envisage alors de se rendre. Pendant qu’il parlemente, des soldats huguenots en profitent pour escalader la muraille, pénétrer dans le château. Rohan le fait prisonnier avec treize personnes de son entourage ; toutes les autres sont massacrées et le château pillé puis démoli ainsi que celui de St Christol. Celui de Castries est saccagé. Cette victoire coûtera cher à Rohan qui devra faire soigner à Sommières, pendant plus de deux mois, et aux frais des habitants, quelques cent cinquante blessés. C’est la même année que Louis XIII à la tête de son armée se rend en Languedoc. Commandent sous ses ordres le prince de Condé (Henri II, père du grand Condé) et le comte de Schomberg. Ils prennent Marsillargues et Lunel, puis viennent mettre le siège devant Sommières. (août 1622, voir l’Histoire générale des guerres sous Louis XIII). Voici le texte : "…Pour ne laisser derrière aucune place importante qui put incommoder l’armée et divertir le juste dessin de sa Majesté, elle voulut que la ville de Sommières fut assiégée, pour en dénicher ceux que le duc de Rohan y tenait." Monsieur le Prince en reçut le commandement ; pour cet effet il fit acheminer l’armée de ce côté là, et alla loger à Villevieile, qui n’est qu’à mille pas de Sommières, sur la montagne, menant avec lui le régiment des gardes, ceux de Piémont,Navarre et Estissac qui se saisirent de tous les passages des montagnes, et en ce faisant serrèrent la ville et le château de ce côté là. Le duc de Montmorency ayant les régiments de Picardie et de Languedoc, les campa entre la montagne et la rivière, vis-à-vis de la nouvelle ville, que les ennemis fortifiaient en diligence, pour être à l’avenue des Cévennes. Le duc d’Alwin, avec ses lansquenets, se logea au-delà de l’eau, autour du faubourg que les rebelles avaient enfermé de trois bastions. Aux approches, il fut blessé d’une mousquetade à la jambe. Par après, MM. de Schomberg et de Praslin furent reconnaître la place, et étant retournés chez M. le Prince, lui firent rapport de ce qu’ils avaient observé ; sur quoi, le conseil décida deux attaques, l’une à main droite au quartier du duc de Montmorency, l’autre à gauche vers le château. Les deux premiers jours furent employés par les gardes à gagner plusieurs postes que les ennemis tenaient au-devant d’un fort qu’ils avaient fait sur la montagne pour couvrir le château. Le duc de Montmorency fit faire de son côté, ses approches par des chemins couverts et quelques fossés, autant qu’il fut possible de s’en servir. Il y eut ces deux jours-là de grandes escarmouches, car les ennemis défendaient les moindres avantages qui les pouvaient couvrir. Il fut reconnu qu’entre les fortifications et la montagne il y avait entrée dans le faubourg qui était lors la nouvelle ville, par où les ennemis se retirèrent et où il n’y avait ni pont-levis ni porte ; le conseil résolut qu’il fallait prendre cette nouvelle ville par ce côté là, dès la nuit suivante. Pour cet effet, on ordonna que les lansquenets feraient mine de donner aux fortifications de la rivière avec grand bruit ; que le marquis de Portes, avec le régiment de Languedoc, donnerait au deçà droit au bastion de main droite, le sieur de Marillac avec celui de Picardie, assisté du sieur de Liancourt, donnerait au milieu, et que le sieur de Monteson, maistre de camp d’un régiment, avec 500 hommes choisis et plusieurs vaillants officiers, feraient devoir d’entrer par le lieu reconnu pour prendre les ennemis par derrière, pendant qu’ils seraient occupés à défendre leurs nouvelles fortifications. Cet ordre donné, tout fut prêt à marcher au premier coup de canon, qui était le signal. La nuit de bonne fortune se trouva fort obscure, si bien que les troupes s’approchèrent sans être découvertes jusqu’à deux cents pas de la place. Le duc de Montmorency, ayant fait donner le signal, ordonna de tous côtés, avec un grand bruit de tambours, mousquetades et cris de soldats : pendant quoi on se coule couvertement dans la place par cette entrée, que tous les gens de guerre furent dans la grand rue avant qu’on s’en avisât ; les ennemis oyant crier tue, tue à leur dos, tournèrent tête vers la ville pour s’y sauver ; mais les régiments de Picardie et de Languedoc, montés sur les bastions, les poussèrent si rudement, et les 500 hommes qui étaient entrés par derrière en tuèrent un si grand nombre, que peu se sauvèrent. Leurs feux de garde étaient si grands dans les rues, qu’on y voyait clair comme de jour, et surtout dans la grand’rue, qui, étant enfilée des tours qui sont sur la porte, les ennemis y tirèrent grandement… Monsieur le Prince manda nouvelle de cette action au roi comme l’une des plus belles et des plus hardies…il ordonna qu’on fit une batterie de dix canons dès la minuit suivante, à la tête de ce faubourg pris, pour battre la muraille de la ville qui n’était point terrassée. Le lieutenant de l’artillerie y trouva beaucoup de difficultés parcequ’entre les dernières maisons et le fossé, il n’y avait que trente ou quarante pas d’espace tout à découvert. On proposa de faire la batterie dans les maisons , perçant la muraille par derrière pour faire entrer les canons et par devant du côté de la place y faisant des embrasures. Mais les canonniers, ayant reconnu la force des murailles, jugèrent qu’étant affaiblies par ces diverses brèches, le vent du canon les étonnerait dès qu’on aurait tiré tant soit peu, et ferait tomber les planchers sur les canons et sur leurs têtes, enfin on trouva moyen de dresser les batteries…. Le conseil assemblé, on trouva bon de faire sonner la place avant de tirer le canon et leur dire que s’ils se rendaient à présent, il y aurait miséricorde pour eux, mais qu’il n’y en aurait plus lorsque le canon aurait tiré. Le trompette qui fut envoyé à cet effet rapporta qu’ils voulaient capituler, et de fait dans le même jour, la place fut rendue aux mêmes conditions des deux précédentes. Il en sortit deux régiments de Cévennois où il y avait encore douze cents hommes effectifs, le reste ayant été tué dans la nouvelle ville, et le nombre des habitants de trois mille armés. Le roi alla le lendemain voir cette place de réputation et de si grande importance, et chacun s’étonnait de la voir prise en si peu de temps." Cette prompte soumission a donné lieu à une raillerie qui s’est longtemps perpétuée à Montpellier et à Sommières. Et l’on dit encore par un espèce de proverbe "en passent, lo rey prenguèt Someire". En passant, le roi prit Sommières. Ceci est rapporté par d’Aigrefeuille dans son Histoire de Montpellier. Les sommiérois firent preuve, je suppose, d’une grande sagesse, mais surtout ils avaient tiré les leçons des sièges précédents. Les articles de la capitulation, sous réserve d’accord du roi, stipulaient que les privilèges accordés étaient conservés, que la garnison du château sortirait avec armes et bagages, que ceux qui étaient entrés dans la ville pour la défendre auraient la vie sauve et qu’ils en sortiraient un bâton blanc à la main. Lorsque Monsieur le Prince fut dans la ville "il fit faire procès à plusieurs habitants des plus mutins et auteurs de la rébellion, qu’il fit justicier". Le bon ordre et le service divin furent rétablis. Le 17 août, Louis XIII vient à Sommières ; il a le plaisir d’en voir sortir et défiler la garnison. Il dîne, puis retourne à Lunel. Mais il ne ratifie pas les articles relatifs aux habitants : il enlève les libertés municipales et nomme lui-même les consuls. Il n’y a pas de pillage, mais le roi se réserve tous les grains "pour en user selon sa bonté". On procède alors à une sorte d’épuration : beaucoup de protestants sont partis, quant à ceux qui occupent des places ils en sont chassés. On remplace même le meunier de la Grave. N’oublions pas que ce moulin est une des clefs de la ville. La ville est encombrée de troupes ; la maison commune transformée en corps de garde, on craint trop une nouvelle révolte. Mais il faut nourrir tous ces soldats qui vivent à discrétion chez les bourgeois ; et le blé se fait rare. On doit emprunter pour en acheter car la misère augmente à l’approche de l’hiver. Monsieur Jean de la Grandsaigne seigneur de Marsillac "homme sage et bienveillant" est nommé gouverneur ; on n’enlève plus les grains à condition que les habitants réparent les fortifications et apportent au château les boulets qui restent en ville. Pendant dix mois la population supporte une importante garnison qui, au mois de juillet 1623, est réduite à cent hommes pour le château et cent pour la ville. Les conflits sont nombreux entre les habitants et les militaires qui essaient de piller tout ce qu’ils peuvent. Quant aux protestants qui n’ont pas payé la dîme au chapitre de St Gilles, ils sont obligés de s’acquitter du retard et bien que Rohan soit toujours dans la province, ils restent tranquilles jusqu’en 1625.

Nouvelles agitations

Rohan est à nouveau reconnu chef et commandant de la Ligue protestante. Mais il semble que les habitants de Sommières, de même, semble-t-il, que ceux de Nîmes, résistent aux sollicitations des députations venues de la Rochelle, Montauban et Castres qui parcourent la région. Marcillac, le gouverneur conclut une sorte de marché avec les habitants : ou bien il fait venir des troupes qu’il faudra entretenir et supporter, ou bien les habitants acceptent de monter eux-mêmes la garde. Bien que cette transaction ne plaise pas à tout le monde, elle est acceptée : on s’arme donc et une fois encore on effectue des travaux aux portes et aux murs de la ville. Rohan, le 25 juin 1625, tient une assemblée à Anduze, au cours de laquelle la prise de Sommières est décidée. Le 5 juillet , accompagné de 700 mousquetaires, il arrive davant la ville dont il s’empare grâce, une fois de plus, aux intelligences qu’il y a, mais il ne peut se rendre maître du château défendu par trente-deux hommes. Le gouverneur de Lunel averti de cette attaque, en informe Mr de Valençay commandant à Montpellier qui détache aussitôt mille hommes sous les ordres de Lavergne son aide de camp. Rohan est attaqué en ville : à dix heures du soir, il doit précipitamment s’enfuir laissant quelques deux cents morts sur le terrain. Comme l’on craint une nouvelle attaque de Rohan, les troupes de Valençay restent en ville et il faut bien les loger, les nourrir et les payer. Si Rohan a pu si facilement pénétrer dans Sommières, c’est qu’il y a des partisans ; ces derniers, craignant des représailles s’enfuient à Nîmes. Certains sont pris. Marsillac décide de punir pour l’exemple : Jean de la Rivoire et Pierre Constant sont rapidement jugés et condamnés à perdre la vie sur une roue pour cause de "rebellion, de trahison et de lèse-majesté". Leur exécution a lieu au pied du mur de la Vignasse, devant l’entrée du château place des Canons. Leurs maisons sont abattues. Le pasteur Chaume, réussit lui, à rejoindre Nîmes ; il est condamné par contumace et ses biens sont confisqués au profit du roi. Cette sévrité intimide quand même les plus agités ; de plus Marsillac est reconnu comme un gouverneur de grande qualité et, à son départ, il sera regretté par toute la population. Une certaine agitation se produit dans la région, surtout l’année 1628 au cours de laquelle Rohan tente quelques coups de mains. Je citerai l’exemple de Gallargues où il installe une garnison d’environ 700 hommes. Montmorency (fils) fait assiéger la place par 4 000 hommes : elle se rend "à discrétion". Les blessés de Montmorency sont envoyés à Sommières pour se faire soigner aux frais de la ville ; une partie des troupes y est aussi logée uniquement chez les habitants de religion réformée. Mais la cour irritée de tous ces soulèvements décide d’en finir. La Rochelle tombe le 28 octobre. Louis XIII et le cardinal de Richelieu (il loge au château de Marsillargues) viennent dans la région bien décidés à la mettre définitivement au pas ; Nîmes, la dernière ville qui résiste, ouvre ses portes au roi le 14 juillet 1629. C’est là qu’est signé l’Edit de grâce ou Paix de Nîmes. Les Sommiérois envoient deux députations : la première auprès du roi à Beaucaire, la deuxième à Marsillargues auprès de Richelieu.

En fait, les guerres de Rohan se terminent, sur le plan national, par un grave échec pour les protestants mais, sur le plan local, la Réforme garde une grande force spirituelle, sociale, économique et même politique. Nîmes reste le centre le plus vivant du protestantisme français : la vue d’un protestantisme affaibli face au catholicisme triomphant est peut-être valable pour Paris, mais fausse pour notre région.

La peste

Dès le mois d’avril 1628 les consuls de Sommières ont été informés de cette maladie dans diverses localités. Au mois de novembre de la même année elle se rapproche. On charge les médecins et chirurgiens de la ville de faire l’inspection des cadavres avant de les ensevelir. (délib. du CM du 30/11/1628). Au mois d’août 1629, plus de doute, la maladie apportée en ville par des étrangers de passage ou des soldats, y sévit terriblement. Un règlement sanitaire est publié : les portes sont fermées pour les étrangers ; mais les sommiérois peuvent sortir vers les villages voisins (où d’ailleurs ils apportent la maladie). Les médecins et le bureau de santé s’enfuient. La ville devient presque déserte. Seuls y restent les consuls et quelques malheureux qui ne savent où aller. Les vivres manquent ; par bonheur un chargement de blé appartenant au baron d’Anduze passe sur la route ; on s’en empare. Lorsque l’épidémie sera terminée le blé lui sera payé. Voici des extraits d’une chronique à propos de l’époque : "… le mal était si violent que ceux qui en étaient attaqués étaient morts en 24 heures ; de façon que lorsque ceux qui s’étaient retirés à la campagne revinrent à la ville, ils trouvèrent que l’herbe avait poussé dans nos rues comme dans un pré. Tous ceux qui n’avaient pas abandonné la ville y périrent. On ne prenait pas la peine de descendre les morts dans les rues, on les jetait par les fenêtres, et les tombereaux conduits par d’impitoyables corbeaux, étaient là pour les recevoir. Ceux qui étaient commis pour enlever les corps … pillaient les maisons et commettaient des maux horribles. Ce désordre fit retirer le bureau de santé : les uns allèrent à Aspères, les autres à Carnas et la ville fut ainsi abandonnée au trouble et à la désolation." La peste cesse, on purifie les maisons, les fugitifs rentrent (certains après un an) et au mois de novembre 1630 "on s’occupa de l’élection des consuls qui eut lieu en la forme accoutumée, c’est à dire par le sort des pommeaux de cire". Les Cordeliers reviennent dans leur couvent qu’ils avaient abandonné depuis soixante-dix ans (leur chapelle est le temple actuel). Evidemment ils vont trouver les bâtiments dans un état déplorable et tous leurs biens dispersés. C’est à cette époque que les Récollets fondent un couvent place du Bourguet. Cette renaissance du catholicisme dans notre ville est peut-être due à la mission que prêche vers la fin de l’année 1631 Jean François REGIS, mission qui obtient un très grand succès. Toutefois avant de quitter Sommières pour les villages voisins, il fonde la confrérie du St Sacrement , mais qui ne fonctionnera pas à cause du peu d’adhérents. En novembre 1631 le premier consul est nommé : il s’agit du sieur de Montgremier (quai Griolet) à qui succèderont des personnages appartenant à des familles fort connues, telles celles des d’Albenas ( entrée de la Taillade ), des Massillan (rue du Pont), des Villevieille (au Bourguet), des Moissac (grand Rue), des Ganges (Taillade). Les sommiérois, pendant toutes ces années de guerre, ont pris l’habitude de se promener armés d’épées ou de pistolets. Ces armes devenues inutiles offrent des dangers et sans doute des incidents graves se sont-ils produits puisque le 9 mars 1632 le conseil communal prend la décision de les interdire ; et comme il se heurte à des réticences, le gouverneur du château prête main forte pour l’exécution de cette mesure.

Contre Réforme et résistance huguenote

Au lendemain des guerres de "Monsieur de Rohan", après le passage de l’armée royale, la disette, la peste, une période plus calme s’annonce dans notre région. Suite à la révolte de Montmorency (Henri II duc de Montmorency, 1595 – Toulouse1632. Amiral 1612, gouverneur du Languedoc 1613, maréchal de France 1630. Il suit Gaston d’Orléans contre Richelieu. Pris à Castelnaudary en 1632 il est condamné par le Parlement de Toulouse et décapité), une personnalité dynamique et combative est placée à la tête du diocèse de Nîmes : Anthime Denis Cohon.

Claude de St Bonnet de Thoiras, (1624-1634) successeur de Pierre de Valernod, est comme son prédécesseur, un protégé de la famille des Montmorency. C’est ce qui l’amène sans doute à se lancer dans la révolte armée conduite en 1632 par Henri de Monmorency, gouverneur du Languedoc. St Bonnet s’efforce en vain d’engager Nîmes et la région dans le mouvement. Au contraire, le Consistoire manifeste un total loyalisme à la monarchie, multipliant les démarches auprès des consuls pour qu’ils restent fidèles au roi. Après l’échec de la révolte, tandis que le roi remercie les protestants nîmois de leur attitude, il contraint l’évêque à démissionner. C’est avec son successeur, Anthime Denis Cohon que la Contre-réforme et la Réforme catholique peuvent prendre leur essor. Le nouvel évêque qui va diriger le diocèse de 1634 à 1644 et de 1655 à 1670 est une personnalité très controversée de son vivant et après sa mort. "Ce roturier angevin est tantôt considéré comme un prélat modèle, tantôt comme un aventurier sans scrupules. Il est à la fois politique et mystique, arriviste et réformateur. Il bénéficie surtout de l’avantage d’avoir été distingué par Richelieu. C’est un agent dévoué et efficace du pouvoir royal." En dix ans (1636-1646) il fait reconstruire la cathédrale grâce à une imposition de 80 000 livres, édifier derrière le choeur une chapelle dédiée à la vierge et ornée de statues de Charlemagne, Louis IX, Henri IV et Louis XIII. C’est en ce lieu qu’il place son tombeau. Cohon fait preuve d’une ferme volonté d’assurer aux catholiques les avantages légaux obtenus après la défaite de Rohan essentiellement dans deux secteurs : l’administration de la ville et l’éducation. (premier consul toujours catholique, évêque membre de droit, moitié de places de professeurs aux Jésuites, fondation d’un monastère d’Ursulines). Bien évidemment les protestants ne vont pas rester sans réplique. La communauté réformée enregistre des conversions de catholiques ; plus riche que la communauté catholique, elle fait pression sur la main d’oeuvre qu’elle emploie. De plus l’académie protestante de Nîmes brille d’un vif éclat grâce à un professeur remarquable, David de Rodon. Les protestants vont réussir à se débarrasser de leur adversaire, en dénonçant au gouvernement de la Régence le comportement moral de l’évêque, infidèle aux devoirs du célibat ecclésiastique. Cohon permute son évêché avec celui de Dol. La contre-offfensive protestante est particulièrement efficace sur le plan scolaire. Une grave crise qui trouve son écho à Sommières, éclate à Nîmes en 1650. Un jeune orphelin protestant, élève du collège, se convertit sous l’influence de ses maîtres Jésuites. Le jeune Coutelle se réfugie auprès de l’évêque Hector Ouvrier. Cette conversion et cette retraite d’un enfant de moins de douze ans est en contradiction avec l’esprit de l’article XVIII de l’Edit de Nantes qui interdit d’enlever les enfants pour les faire changer de religion. L’incident suscite des réclamations de la famille de Coutelle et une révolte populaire. Sous la conduite du pasteur Baudan, cinq cents personnes armées envahissent l’évêché et enlèvent Coutelle. L’évêque et son chapitre sont obligés de se réfugier neuf mois à Beaucaire. Un compromis intervient : les protestants rendent Coutelle et une amnistie couvre les auteurs de la sédition. En outre les Jésuites sont obligés d’accepter le dédoublement du collège dont la partie protestante est soustraite à l’autorité du principal. Après la mort d’Ouvrier, Cohon revient ; le 30 décembre 1637 éclate une véritable émeute sanglante à cause de l’accès au consulat de catholiques combatifs. Cohon est obligé d’amnistier les émeutiers. La puissance financière, la résolution militaire, l’action diplomatique des réformés, leur ont permis d’obtenir d’incontestables succès. Craignant un siège, des Cévennes, ils font venir des renforts ; mais le début du gouvernement personnel de Louis XIV va changer la situation religieuse et politique. Le 22 octobre 1657, les sommiérois décident de remplacer la cloche de l’horloge qui est fendue, par une cloche plus importante. Nogaret, l’ouvrier chargé de l’opération, s’y prend mal : les cordes rompent lorsque la cloche est en l’air. En tombant elle fait un enfoncement important au pont, ne se brise pas mais… se fend. C’est la cloche qui est toujours en service à la cime du beffroi.

Les années difficile du protestantisme régional (1661-1750)

La politique de Louis XIV est bien connue : son intolérance systématique réjouit les éléments les plus durs de la communauté catholique de Nîmes. Le notaire Etienne Borelly écrit dans son journal à la nouvelle de la révocation de l’Edit de Nantes (18 octobre 1685) : "Quoique l’on dise, il y a du miracle et ouvrage de Dieu." Le milieu cathoique Nîmois qui a été marqué par l’esprit de la Réforme catholique, s’avère aussi incapable d’absorber les protestants transformés en "nouveaux catholiques" qu’il a été naguère inapte à les convertir. La communauté calviniste ne sera pas plus sensible aux séductions d’une église catholique enfin réformée qu’à la répression gouvernementale. Cohon achève en 1670 sa carrière de champion fougueux du catholicisme. Son successeur, Jacques Séguier (1671-1687) qui est un administrateur zélé, visite soigneusement son diocèse ; mais, sexagénaire à son avènement, il est un évêque terne, ombrageux, mal vu des chanoines et des catholiques nîmois. Son sucesseur, Esprit Fléchier, occupe le siège de St Félix de 1687 à 1710. En 1614 la partie montagneuse de l’évêché de Nîmes constitue l’évêché d’Alais (Aspères en fait partie). Fléchier est un des plus célèbres prélats du grand siècle. Bel esprit, orateur à succès, historien, protecteur de l’Académie locale, fermé à la mystique, il mène une pastorale humaniste et moralisante peu apte à séduire les réformés. Il ne faut pas lui prêter une tolérance qui n’était guère de son temps. Il écrit en 1698 : "La droiture, la charité et l’utilité de la fin (le salut des catholiques récalcitrants ) justifient la petite sévérité des moyens (les punitions que Fléchier préconise pour les contraindre à aller à la messe)." Seront évêques après lui : Hector Ouvrier, Jean César Rousseau de la Parissière et Charles Prudent de Becdelièvre.

Le Concile de Trente avait chargé les évêques de réformer le clergé de leur diocèse. C’est une oeuvre de longue haleine dont les résultats ne se maniesteront que dans la deuxième moitié du XVIIe siècle. Le séminaire de Nîmes est créé en 1667 ; à la fin de son second épiscopat Cohon établit un second couvent d’Ursulines, suivi d’hospitalières de Saint Joseph et de Visitandines. A la fin du siècle apparaissent les soeurs de St Maur et les religieuses du Refuge chargées d’enfermer les filles publiques. (maison des Chassaintes du nom de son bienfaiteur le chanoine Chassaint). En 1754, Becdelièvre fait venir à Nîmes les frères des Ecoles Chrétiennes qui fondent plusieurs classes "de lecture et d’écriture". Toutes ces institutions ont une grande influence sur les catholiques nîmois dont le nombre a augmenté : au début du gouvernement personnel de Louis XIV on compte 8000 catholiques pour 12000 protestants. La population catholique s’est accrue grâce notamment à l’immigration d’artisans provençaux ou comtadins. Le petit peuple manifeste une adhésion enthousiaste aux dévotions les plus détestées par les religionnaires. De plus les décisions royales se succèdent après 1661 ; les plus durement ressenties sont la suppression de l’Académie, pépinière de pasteurs, et le rétablissement de la mainmise des Jésuites sur le collège (1664), l’union de l’hôpital religionnaire à celui des papistes (1667), l’exclusion des protestants du consulat (1679). Ces mesures répressives ne sont pas plus efficaces que les tentatives de séduction. Seuls "les missionnaires bottés" obtiendront la conversion apparente des protestants. Le notaire fanatique Borrely affirme : "il n’y a pas de mission qui en amènent autant que les dragons". De même le très catholique seigneur de Cabrières, Claude de Rovérié, ridiculisant un chanoine écrit peu après l’abjuration générale des religionnaires nîmois : "le moindre soldat du régiment de la Fère ou de Provence a eu plus de part que lui." La résistance protestante se manifeste par l’abstention de la pratique ; à peine 7% des nouveaux convertis font leurs Pâques en 1694. Après six ans d’exil en Suisse, Claude Brousson revient et devient le principal animateur d’une résistance encore assez pacifique. Il est arrêté en 1698 et son martyr sur l’Esplanade de Montpellier a un immense retentissement dans la région. La résistance protestante donnera lieu au prophétisme et à l’insurrection camisarde, mouvement essentiellement populaire et rural dont les succès auront un grand écho à Nîmes. Massacres d’assemblées surprises, déportation aux galères, emprisonnements à la tour de Constance ou à celle de Sommières, ruine économique des Cévennes ne feront pas se démentir la ferveur calviniste. En 1704, lorsque Jean Cavalier viendra s’entretenir à Nîmes avec le maréchal de Villars, il sera "par toute la ville suivi de la populace comme s’il eut été un des plus grands seigneurs". Nommé colonel, il terminera sa carrière comme gouverneur de Guernesey. Le vieux roi se meurt ; août 1715 se réunit près de Nîmes le premier synode du désert animé par Antoine Court. Paul Rabaut, devenu à partir de 1741 le principal ministre du pays nîmois évoque l’allégresse et la ferveur des foules de tous âges, suivies de charrettes d’impotents qui se rendent le dimanche matin aux assemblées tenues au lieu -dit "la font de Langlade". La puissance économique des protestants a survécu à la révocation de l’Edit de Nantes ; l’activité économique a été moins affectée par les conséquences de la suppression du protestantisme qu’on ne le croyait naguère. Elle reste dominée par les marchands religionnaires devenus NC (théoriquement). La bourgeoisie réformée nîmoise ne s’associera pas à la révolte des camisards et sa force financière contribuera à la persistance et au renouveau du protestantisme au XVIIIe siècle.

BIBLIOGRAPHIE

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DOCUMENTS

Archives communales de la ville de Sommières : Registres des délibérations du C.M. (série BB). Affaires religieuses (série GG).