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LES CRUES DU VIDOURLE – Site de Sommières et Son Histoire

« Ce fut un vendredi premier octobre 1723, environ vers neuf heures du soir, que sans qu’il eut plu en cette ville de Som­mières, ce déluge d’eau vint presque tout-à-coup, enfonça la porte du Bourguet, et entra dans la ville avec une horrible impé­tuosité … Toutes les boutiques de la rue Droite furent couvertes et la plupart enfoncées par la violence de l’eau qui courait aussi impétueusement dans les rues qu’au plus fort de la rivière … Nous vîmes passer sous nos fenêtre des hardes, des meubles, des ânes, des mules, des bœufs, des chevaux morts ou demi-noyés. … La plus grande partie du vin et de l’huile fut perdue … On ne saurait croire la désolation que causa ce débordement en cette ville … A cela succéda une famine de quelques jours ; la ville se trouva dépourvue de pain … Cette inondation fit des ravages infinis … » 1

Le Vidourle est bien connu pour la violence et la rapidité de concentration de ses crues. Ses excès « totalement » imprévi­sibles ont entouré le fleuve d’un certain mysticisme.

Il n’a que 85 kilomètres de long et ne figure pas souvent sur les cartes géographiques. Pourtant ses riverains qui le voient trop fréquemment inonder leurs vignes et souvent leurs maisons, le considèrent comme un personnage étroitement mêlé à leur vie quotidienne : « Vidourle », selon leur expression.

Comment expliquer la crue survenue en décembre 1852 sans qu’il soit tombé une seule goutte d’eau à Sommières ? De même, l’année suivante pourquoi un garçonnet fut-il emporté par les flots gonflant subitement, sous un soleil torride ?

Excès, il y en eut ; les plus anciens dont on ait pu retrouver la mention se sont produits en 1403 et le 15 septembre 1575. Au XVIIe siècle, la crue de 1684 et au XVIIIe siècle celle d’octobre 1723 ont engendré à Sommières de véritables désastres. Le XIXe siècle a été marqué par celle du 17 septembre 1858 qui atteignit 7mètres à l’échelle du pont de Sommières. Au XXe siècle enfin :1907, le débit du fleuve atteignit 1800 mètres cubes par seconde2 ; 1933 pire encore le fleuve passa 10 centimètres au dessus du pont romain de Sommières ; 1958 enfin où l’eau monta de 6 centimètres par minute et le pont de Sommières fut une nou­velle fois submergé.

Des raisons à de tels phénomènes il y en a. Les facteurs qui déterminent le régime d’écoulement des fleuves et des rivières sont toujours les mêmes :

 les conditions climatiques,

 la morphologie du bassin versant hydrographique1,

 la géologie du bassin versant hydrogéologique2.

Ce sont les particularités de ces différents facteurs qui font les exceptions. L’énormité et la rapidité foudroyante des crues du Vidourle est la conséquence d’une originalité climatique, mor­pho­logique et géologique ; les débordements sont alors,tout à fait concevables.

Les conditions climatiques

Ce sont les précipitations (pluies) qui conditionnent les écoulements. En climat méditerranéen les pluies les plus abon­dantes ont lieu dans la saison froide ; cependant dans notre région règne une sous catégorie climatique avec maxima pluviaux en automne, et grosses pluies assez fréquentes dès septembre.

Le Vidourle traverse plusieurs régions entre lesquelles les caractères climatiques diffèrent ; leur seule unité est le maximum pluvial d’automne :

 Le bassin supérieur, formé par les versants de la Montagne de la Fage, de la source à Saint-Hippolyte-du-Fort, est considéra­blement arrosé : 1400 millimètres par an.

 Le bassin moyen de St. Hippolyte à Grand-Gallargues, corres­pond aux plateaux des Garrigues et reçoit en moyenne 850 millimètres par an.

 Le bassin inférieur situé dans la plaine littorale du Bas-Lan­guedoc, peu arrosé avec une moyenne de 450 millimètres par an.

La lame d’eau moyenne est donc de 900 millimètres par an3 ; elle permet d’évaluer le débit moyen annuel du Vidourle.

La figure n°1 montre le régime des eaux météoriques4 et permet d’esquisser de façon schématique celui de l’aquifère5.

Les hautes eaux d’octobre doivent présenter en général les plus fortes crues de l’année ; elles sont suivies d’un étiage6 d’hiver, en janvier et février qui peut avoir exceptionnellement une grande amplitude.

Ensuite se produisent les crues de printemps et terminant le cycle, l’étiage d’été très accentué qui s’amorce au mois de mai pour se poursuivre jusqu’en août et septembre.

Les pluies, et par conséquence le débit du Vidourle, varient beaucoup d’une année à l’autre. Les valeurs moyennes mensuelles peuvent être 4 à 5 fois supérieures ou inférieures à celles présen­tées figure n°1. D’autre part de grandes quantités d’eau (averses diluviennes) sont capables de s’abattre en un jour et même en quelques heures. C’est une caractéristique essentielle de ce climat et un facteur capital du régime.

Le réseau hydrographique

Le Vidourle, prend sa source à 500 mètres d’altitude, dans la Montagne de la Fage, en bordure Sud-Est du Massif de l’Ai­goual.

La pente de son talweg7 est de l’ordre de 80 mètres par kilomètre. Il draine un bassin de 35,5 kilomètres carrés à Saint-Hippolyte-du-Fort. Le caractère torrentiel du Vidourle va être accentué par les apports d’affluents à débits de crues extrêmement élevés. Il reçoit à l’aval immédiat de St.-Hippolyte, l’Argentesse qui prend naissance sur le versant Sud de la Montagne de la Fage. La pente de ce torrent est encore plus importante avec 126 mètres par kilomètre.

En aval, avant d’atteindre Sauve, le Vidourle reçoit deux torrents : le Rieumassel et le Crespenou. Le premier affluent, de rive droite vient d’une région peu élevée ; mais le Crespenou qui prend sa source dans les Basses-Cévennes, à l’Est de la Montagne du Liron, ainsi que le Brestalou et la Courme qui débouchent avant Vic-le-Fesq, ont des pentes qui doivent atteindre au moins quelques mètres par kilomètre.

A la sortie du karst1 de Sauve, (altitude 88 mètres) le bassin versant est de 189 kilomètres carrés.

De Quissac à Sommières, la pente avoisine 1,80 mètre par kilomètre. Jusqu’à Lecques, le chenal, comme ceux de tous les tributaires, est dans l’ensemble encaissé.

A partir du bassin de Sommières, la vallée s’élargie, et lorqu’il pénètre dans la plaine littorale son lit majeur devient de plus en plus spacieux. Un seul affluent le rejoint alors au Sud de Sommières, la Bénovie.

Le Vidourle n’a jamais communiqué facilement avec la mer ; autrefois il se perdait dans les marais situés au Sud du village de Saint-Laurent-d’Aigouze. Au XIXe siècle, il se jetait dans l’étang de Mauguio, mais au moment des crues, il rejoignait la grande Roubine d’Aigues-Mortes. De nos jours, le Vidourle s’écoule difficilement et son embouchure artificielle au Grau-du-Roi n’est pas satisfaisante. La superficie totale du basin versant est de l’ordre de 800 kilomètres carrés.

En période d’étiage, le lit ne présente pas d’écoulements :

 depuis les pertes2 du hameau de Pieuzelles (commune de Cros) jusqu’aux sources de Baumel. (station de pompage de Saint- Hippolyte).

 depuis les pertes se faisant entre Saint-Hippolyte-du-Fort et le château de la Roquette jusqu’à la confluence du Crespenou (amont de Sauve).

En hautes eaux, l’écoulement se fait d’une façon continue depuis les sources jusqu’au Grau-du-Roi.

Géologie – Hydrogéologie

Le bassin du Vidourle s’étend sur des régions géologique­ment variées. Les roches perméables apparaissent surtout dans la partie haute du bassin et spécialement dans le secteur compris entre St.-Hippolyte et Sauve. C’est cette zone qui confère à l’aqui­fère ses caractéristiques.

Lors de leur passage dans le karst, les cours d’eau (Vidourle, Crespenou, Rieumassel, Argentesse) voient leur eau se perdre dans le sol, soit en partie en hautes eaux, soit totalement aux basses eaux et à l’étiage.

A l’intérieur du massif karstique, des puits naturels (aven) permettent d’atteindre la zone noyée entre 30 et 40 mètres sous le sol.

Au village de Sauve, une importante résurgence pérenne peut évacuer par ses griffons3 en crue, dans le Vidourle, plus de 30 mètres cubes par seconde. Ces sources à très forts débits de crues, accentuent considérablement celui du Vidourle. La délimi­tation de leur bassin versant souterrain, permet d’expliquer l’im­portance de ces débits. Il comprend :

 Le bassin versant du Vidourle en amont de St.-Hippolyte.

 Le bassin versant de l’Argentesse.

 Les montagnes de Banelle et du Signal de Conqueyrac.

 Une partie du massif de Coutach.

 Une grande zone du Causse jurassique1 et crétacé compris entre St.-Hippolyte, Sauve et Pompignan.

La superficie totale de la zone d’influence des sources de Sauve, s’élèverait donc à 100 kilomètres carrés environ.

Alimentation du bassin versant souterrain

L’alimentation se fait suivant deux processus :

 par les eaux de pluies tombant directement sur les calcaires.

 par les pertes des rivières.

La circulation à l’intérieur de l’aquifère se présente comme un conduit, véritable rivière souterraine, prenant naissance aux pertes du Vidourle à Saint-Hippolyte-du-Fort et se terminant aux sources de Sauve d’après les spéléologues (J. du Caylar et J. Couderc, 1947). Il s’agit probablement d’un karst noyé avec cir­culation en réseaux de fissures et drainage par chenaux.

Les zones d’émergence

La sortie des eaux souterraines se fait aux points les plus bas des calcaires, c’est à dire principalement à Sauve, et accessoi­rement dans le lit du Vidourle en amont de la confluence Vi­dourle- Crespenou.

A Sauve, les eaux émergent par un griffon principal, à fort débit de crue.

En conséquence la montée de la crue à Sauve se fait bien souvent avant celle du Vidourle à Saint-Hippolyte-du-Fort. Ce phénomène se produit dans un espace de temps très court. Il traduit le remplissage du karst directement par les eaux de pluie, avant l’arrivée des apports extérieurs.

Conclusions

Outre la vigueur des averses dans cette région, le phéno­mène des crues violentes et rapides du Vidourle, tient aussi à la nature et à la morphologie des terrains du bassin versant.

Au mois de septembre, les masses d’air chaudes de la Pro­vence et de la Méditérranée sont poussées par les vents du Sud et surtout du Sud-Est, vers les Cévennes. Elles s’élèvent pour fran­chir les sommets et rencontrent en septembre et octobre des courants d’air plus élevés et plus froids venus du Nord, auxquels elles se mêlent.

Il s’établit alors des remous dans l’atmosphère ; les nuages s’amoncellent et les orages éclatent.

L’ampleur des débordements a pour cause entre autres, la puissance des débits qui proviennent des parties supérieures et moyennes du bassin. Dans ces secteurs, les pentes extrêmement élevées et l’absence ou la faible largeur des submersions donnent aux propagations des flots jusqu’au-delà de Sommières, une rapidité d’autant plus impressionnante que les crues les plus for­midables ont pour cause des paroxysmes pluvieux brefs.

Il faut tenir compte aussi de la concentration en entonnoir du réseau supérieur à l’amont de Sauve et, dans une moindre mesure, jusqu’à Vic-le-Fesq, de sorte que les ruissellements si­multanés dus à une même averse, tendent à se rejoindre aux confluences principales au lieu de se poursuivre sans superposi­tion.

Enfin la proportion importante des assises imperméables dans le Haut Vidourle joint son action à celle des terrains per­méables des karsts. Les apports dus au ruissellement fort et très rapide, sur des reliefs à fortes pentes des Cévennes, viennent se joindre à ceux transités souterrainement par les massifs calcaires.

Lors des fortes crues, la surface dénudée des lapiaz1, confère au karst un fort pouvoir d’infiltration. Les grandes masses d’eau atteignant le réseau souterrain s’accumulent et résurgent aux points bas, sur le Vidourle près de Sauve.

Ainsi, à l’onde superficielle se joint un très fort débit souter­rain qui provoque un encombrement du cours d’eau, avec montée rapide de la crue, et inondations catastrophiques.

Crues de plus de 3m. à Sommières jusqu’à 1993

Dates Cotes

28 octobre 1723 7 m.30
23 septembre 1821 5 m.50
17 septembre 1858 7 m.
8 juin 1887 5 m.50
21 septembre 1890 5 m.40
21 octobre 1891 7 m.
29 septembre 1900 4 m.60
24 avril 1902 4 m.10
22 octobre 1903 3 m.50
14 septembre 1904 4 m.70
15 juin 1905 3 m.10
26 septembre 1907 5 m.90
27 septembre 1907 7 m.
16 octobre 1907 6 m.60
22 octobre 1907 3 m.50
15 décembre 1908 4 m.05
22 septembre 1909 4 m.80
6 décembre 1910 4 m.05
19 octobre 1911 5 m.80
16 mai 1913 3 m.30
3 octobre 1913 4 m.35
3 novembre 1914 5 m.40
25 juin 1915 5 m.85
18 décembre 1917 3 m.20
1 octobre 1920 5 m.40
9 octobre 1920 4 m.
17 octobre 1920 5 m.
2 décembre 1921 3 m.40
15 novembre 1923 4 m.70
7 novembre 1928 3 m.80
6 novembre 1931 3 m.70
1 mai 1932 3 m.20
20 septembre 1932 4 m.80
11 décembre 1932 4 m.
27 septembre 1933 7 m.70
28 septembre 1933 4 m.20
29 septembre 1933 5 m.50
30 septembre 1933 3 m.50
6 avril 1934 4 m.
7 avril 1934 3 m.70
8 avril 1934 4 m.
3 octobre 1934 5 m.20
1 novembre 1937 5 m.
8 septembre 1938 3 m.45
21 janvier 1941 3 m.20
25 octobre 1943 4 m.30
30 mai 1946 3 m.20
25 mai 1948 3 m.80
28 octobre 1951 4 m.95
14 octobre 1953 4 m.15
4 octobre 1958 7 m.70
10 janvier 1970 3.m.38
17 octobre 1974 3.m.
3 octobre 1988 4 m.30
22 septembre 1992 4 m.65

Personne n’ignore que l’agglomération de Sommières est inondée lorsque le Vidourle atteint 3 m.50 à l’échelle. Or, de 1890 à 1937, douze crues ont dépassé 5 mètres et celle de 1933 a coté 7 m.70.

De 1938 à 1957, aucun maximum n’a atteint 5 mètres, et l’on a eu 4 m.95 au plus le 28 octobre 1951.

 43% des crues maximales annuelles ont lieu en automne (Sept. Oct. Nov.).

 27% au printemps (Mars, Avril et Mai) alors que la fréquence est seulement de 25% en hiver et 7% en été.

Les crues les plus catastrophiques les plus récentes se sont produites en 1858, 1907, 1933, 1937 et 1958.

La crue du 27 septembre 1933 constitue vraisemblablement un maximum historique. Cependant la crue du 4 octobre 1958, rivale de celles de 1933 et 1723 à Sommières, a été encore plus extraordinaire par sa rapidité d’évolution que par sa puissance. A Sommières la montée totale ne dura le 4 octobre 1958 que 3 h.35, de 12 h.30 à 16 h.05, contre 6 à 7h.en 1933.

Si les hommes ont largement contribué à l’aggravation des crues aux cours des siècles (déboisements, aménagements des berges), ils ont aussi cherché à endiguer les flots tumultueux du Vidourle. Après la crue catastrophique de 1958, trois barrages écrêteurs de crues ont été construits :

 Le barrage de Ceyrac sur le Rieumassel (1968).

 Le barrage de la Rouvière sur le Crieulon (1971).

 Le barrage de Conqueyrac sur le Vidourle (1981).

Ces barrages sont chargés de stocker l’eau au moment des crues et permettent de la relâcher ensuite en la contrôlant. Depuis leur création, ils n’ont pas eu à travailler dans des conditions au moins égales à celles d’octobre 1958…

Bibliographie

NOEL S. (1962).- Etude hydrologique du Vidourle. Bull. de la Soc.Lang. de Géogr. 2ème Série. T.XXXIII. Fasc.1-2

DROGUE C. (1964).- Etude hydrogéologique de la région Nord-Montpelliéraine. Mémoire du C.E.R.H. T.I.