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L’église Saint Pierre d’Aspères – Site de Sommières et Son Histoire

I. LE SITE ET SON ENVIRONNEMENT

D. MAULANDI

1. Situation générale : (fig. 1)

Le site de l’ancienne église St Pierre d’Aspères se trouve sur la commune d‘Aspères dans le secteur nord-ouest du pays de Sommières, à la limite du Gard et de l’Hérault.

Ce pays qui appartient à la petite région des garrigues de Nîmes à Quissac, est constitué d’un ensemble allongé sud-ouest nord-est de collines et de plateaux calcaires avoisinant les 150-250 mètres, et séparés par de larges dépressions et bassins ; il est es­sentiellement drainé vers le sud par le fleuve méditerranéen du Vidourle.

2. Le site et son environnement : (fig. 2)

Le site de l’ancienne église St Pierre d’Aspères domine légè­rement au nord-ouest, à la côte 95 mètres, à flanc des coteaux de garrigues qui descendent en bordure du village.

Depuis l’ancienne église St Pierre d’Aspères, s’étend au nord une zone collinéenne, succession de croupes et puechs d’une cen­taine de mètres séparés par des dépressions et combes étroites, en un paysage de garrigues ligneuses, basses et herbacées, d’an­ciennes friches et de taillis clairs auxquels se mêlent des parcelles de vignes et d’olivettes.

A l’horizon domine le massif calcaire du Bois de Paris, cul­minant en un replat vers 240 mètres, bordé par un fort talus d’une cent cinquantaine de mètres où s’étendent des taillis de chênes verts et parfois de pubescents.

Vers le sud, la vue surplombe légèrement le village d’As­pères en contrebas et s’ouvre en deçà sur le bassin de Sommières, qui se développe en long glacis depuis les coteaux jusqu’aux basses terrasses alluviales de Vidourle. La vigne y domine en al­ternance avec des terres labourables formant là les principaux ter­roirs.

3. Le site et le patrimoine local :

L’ancienne église de St Pierre d’Aspères, outre son intérêt archéologique principal, peut présenter également un intérêt quant à son insertion dans une valorisation du patrimoine communal.

Celle-ci possède une valeur architecturale et historique qui peut en faire un site attractif, renforcé par sa position accessible et proche du village, valorisant du même coup celui-ci.

De plus elle présente un intérêt paysager par les perspectives de vues intéressantes qu’elle offre sur le village et la dépression de Sommières.

En ce sens la création récente d’un sentier de petite randon­née (P.R.) à l’initiative des organismes locaux (Mairie, Comité Départemental de Randonnées) partant du village et passant par le site de l’église St Pierre d’Aspères, devrait favoriser une mise en valeur globale du patrimoine paysager et culturel local.

II. CADRE GEOLOGIQUE

P. FOUCHER

1. Structure : (fig n°3)

Adossée à un contrefort rocheux, le site de l’ancienne église d’Aspères domine une vaste dépression orientée nord-est / sud-ouest. Cette dépression est un ancien fossé d’effondrement, dé­coupé dans des séries Secondaire (Jurassique à Crétacé), par des phases tectoniques1 datées de l’Oligocène.

Synchrone à ces déformations, la cuvette topographique a été submergée par des eaux douces, formant ainsi un lac, qui s’est peu à peu comblé de dépôts fluviatiles et lacustres. La simultanéité des déformations et des dépôts explique la grande variété des sédi­ments qui constituent le bassin de Sommières.

2. Nature des roches :

Les assises du lac Oligocène sont datées du Crétacé, et constituées ici par des alternances de calcaires et de marnes1.

Les dépôts fluvio-lacustres de l’Oligocène sont formés d’al­ternance de calcaires lacustres et de complexes fluviatiles à trois termes qui sont des argiles, des grès et des conglomérats2. En bordure occidentale du paléolac et en raison de la limite de faille, ces formations sont relayées par des éboulis et des brèches de pente plus ou moins consolidées.

3. Les roches et l’église :

Des fouilles ont mis à jour le substratum rocheux dans deux sondages. Il s’agit de brèches conglomératiques à éléments peu roulés de calcaires crétacés, cimentées par des argiles carbonatées ocre-jaune. C’est sur ces roches que reposent les premières pierres qui forment les fondations de l’église.

3.1. Nature des pierres constituant les murs de l’église :

La base des murs est formée par des blocs grossièrement taillés, de grande dimension, issus de terrains oligocènes et mio­cènes. Ce sont des calcaires lacustres plus ou moins silicifiés, ta­raudés, appartenant à l’Oligocène supérieur (formation appelées lo­calement “Calcaires de Salinelles”) pour les éléments oligocènes, et des molasses3 calcaires appartenant au Miocène (Burdigalien su­périeur).

On observe au maximum deux rangées de ces pierres. Viennent ensuite les murs, constitués d’un parement extérieur et intérieur, réalisé à l’aide de calcaires crétacés (Berriassien infé­rieur). C’est une roche gris-cendrée à bleue, à intercalation de ni­veaux marneux gris rouille. C’est un calcaire granulaire à nodules cryptocristallins4 rendus très visibles par la taille, en donnant des éclats à surface lisse, ou cassure conchoïdale5.

Le remplissage interparements est effectué avec les débris des blocs taillés, et les calcaires avoisinants de différentes natures [Crétacé inférieur (Valanginien – Hauterivien) et Oligocène].

3.2. Provenance des différentes roches :

3.2.1. Parements des murs : [Crétacé inférieur ; Berriassien]

Il existe un affleurement de ces roches à quelques centaines de mètres de l’église au sud-ouest de celle-ci, ce qui laisse suppo­ser que l’on a extrait la pierre de cet endroit.

3.2.2 Fondations : [Oligocène]

Ces calcaires lacustres affleurent sous le village d’Aspères et sont développés jusqu’à Salinelles d’où leur dénomination locale (Calcaires de Salinelles). La distance par rapport à l’église pour les affleurements les plus proches est de 500 à 1000 mètres.

3.2.3. Fondations : [Miocène]

Les molasses calcaires du Burdigalien inférieur affleurent dans la région à l’Est du Vidourle et forment les plateaux qui do­minent la vallée. C’est un calcaire très exploité régionalement de même nature que la roche appelée “Pierre du Gard”. La distance des affleurements par rapport à l’église, est de 5 à 6 kilomètres à vol d’oiseau.

III. LA VIEILLE EGLISE D’ASPERES

A. JEANJEAN

A l’ouest du village, à mi-pente de la colline se dressent en­core quelques murs cachés par les chênes verts et les pins. Ce sont les ruines de l’ancienne église Saint Pierre d’Aspères, attenantes à un cimetière désaffecté où reposent les anciens du village.

L’origine de la construction de cette église nous est inconnue bien qu’il soit généralement admis, par Goiffon lui-même, que les Bénédictins de Psalmodi en soient les auteurs au IXe siècle.

Un modeste prieuré primitif se serait substantiellement déve­loppé à la suite d’importantes donations telles celle de Dadila en 815, à tel point que Psalmodi et Aniane le revendiquèrent comme une filiale leur appartenant. L’affaire fut même portée devant le Pape Eugène II (827). Plus tard les bénédictins furent confirmés dans leurs propriétés le 1er mai 1099 par une bulle du Pape Urbain II à la suite d’une contestation entre Psalmodi et St Victor de Marseille.

Psalmodi, alors à son apogée, était à la tête de nombreux domaines, terres, maisons et églises, épars des Cévennes aux Alpes méridionales, du diocèse de Béziers à celui de Sisteron.

Mais il semble que cette politique d’expansion amena Psalmodi à s’endetter et c’est avec une institution décadente que Louis IX traita lorsqu’il fonda Aigues-Mortes en 1248.

Il est vraisemblable que les moines s’étaient installés de bonne heure à Aspères qui devint un prieuré et furent seuls chargés du service paroissial.

Les statuts de Psalmodi, publiés par Bondurand en 1882, énumérant en 1409 les dignitaires de l’Abbaye, citent tout de suite après l’abbé, le prieur claustral d’Aspères, alors Jean de Serves qui fut délégué au Concile de Pise.

Au point de vue spirituel l’église d’Aspères dépendait de l’é­vêché de Nîmes, quant au revenu ecclésiastique, il fut versé à Psalmodia jusqu’au rattachement d’Aspères à l’évêché d’Alais.

Les moines avaient à Aspères un domaine rural important comme il apparaît par les contrats de fermage du début du XVIe siècle.

Ils étaient, par la règle de leur ordre, soumis au travail ma­nuel. Mais par suite ils vont s’entourer de serviteurs et de paysans, et ne seront plus que des sortes de régisseurs qui prendront goût aux biens de ce monde.

La sécularisation de Psalmodi (1537) se situe à l’époque où les publications de Calvin à Paris ont beaucoup d’éclat. Dès ce moment, un vent de réforme soufflera, aussi sur Aspères, et le ton montera entre catholiques et réformés, jusqu’au jour où la lutte ar­mée éclatera.

Les chanoines donneront les biens du prieuré à la ferme, ce qui entraînera pour le village des modifications importantes dans le domaine agricole. Les archives du Gard possèdent ces “baux d’ar­rentement” dont le premier en date paraît être consenti à Pons Vedel.

Il n’y aura plus à proprement parler de religieux bénédictins, mais des prêtres séculiers réunis en collégiale à Aigues-Mortes et à Aspères un vicaire à portion congrue.

Nous ne connaissons presque rien de l’histoire d’Aspères à cette époque ; il n’y a pas de doute que les événements qui se sont déroulés dans la région ont eu un écho jusque dans notre village car la population était pauvre et malheureuse.

Les “Monographies Paroissiales” de l’Abbé Goiffon nous donnent les noms des différents vicaires depuis 1605. De plus les archives communales possèdent un vieux recueil des actes de l’Etat civil du village, couvrant la période 1618 à 1715. Malheureusement il ne nous renseigne que sur la population catho­lique.

Toutefois il est fort intéressant car des divergences existent avec Goiffon, et il nous permet de constater le développement ra­pide des conversions, plus ou moins sincères, sollicitées, favori­sées voire achetées. Nous connaissons les résultats d’une telle pra­tique.

Le 17 mai 1694, Innocent XII, démembrera l’évêché de Nîmes et érigera Alais en évêché qui comprendra Aspères.

Faisons retour en arrière. En 1664, vingt deux habitants étaient catholiques, “le service se faisait dans le corps de la vieille église au milieu des champs et dans un réduit séparé par une mu­raille” . Lorsque le 26 mai 1671 Monseigneur Séguier vint à Aspères “seule la nef de l’église subsistait, la voûte du chœur était abattue ainsi qu’une grande partie de la muraille”. Des réparations furent effectuées à l’église (juin 1683) et l’on procéda à sa béné­diction. Messire Monard fut délégué à l’inauguration par la collé­giale d’Aigues-Mortes.

Monseigneur Fléchier, à son tour rendit visite à Aspères le 31 mai 1694 qu’il quitta pour le village voisin après avoir donné des ordres précis. Furent-ils exécutés ?

Nous l’ignorons. Quoi qu’il en soit, quelques années plus tard, en 1703, l’église sera incendiée par les Camisards de Jean Cavalier.

C’est en 1727, par “suite de l’humidité” que la tour et une partie des voûtes s’écrouleront. Elles seront réparées, mais la cou­pole ne sera pas redressée.

Joseph de la Rue, dernier curé, refusera de prêter le serment constitutionnel et mourra déporté en Guyane. La cure sera suppri­mée et la paroisse fera partie de celle de St Clément puis de celle de Salinelles.

Il faudra attendre la construction d’une nouvelle église, après bien des péripéties, pour que la succursale soit érigée en cure le 15 août 1854.

La vieille église achèvera lentement d’agoniser, elle qui pen­dant plus de dix siècles aura été témoin de sombres pages de notre histoire.

IV. ETUDE ARCHITECTURALE

G. DURAND

L’église Saint Pierre d’Aspères bien qu’en partie détruite nous livre cependant les éléments essentiels pour reconstituer son plan et son élévation.

Son plan comporte une nef unique, un transept débordant et à l’est une abside centrale aujourd’hui totalement disparue, canton­née par deux absidioles.

L’appareil est uniformément constitué par des moellons de calcaire disposés en assises régulières dont la hauteur varie entre 10 et 20 centimètres. Les joints horizontaux, souvent débordants, sont faits d’une forte proportion de chaux mélangée à du sable. L’on peut encore observer sur le croisillon nord du transept, des joints tirés au fer. De nombreux trous de boulin1 disposés régu­liè­rement tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, permettent de suivre l’a­vancement du chantier. Compte tenu de l’épaisseur des murs, en moyenne 1,25 mètre pour la nef et 1,20 mètre pour le transept, nous pouvons considérer que cette église était entièrement voûtée.

La nef unique, de deux travées barlongues2, était à l’origine couverte d’une voûte en berceau soutenue par des arcs doubleaux3 reposant sur des pilastres4 à dosserets toujours en place.

L’élévation méridionale de la seconde travée possède encore les vestiges d’un arc en plein-cintre appareillé retombant sur une imposte5 constituée par un bandeau et un chanfrein. Nous pou­vons donc en déduire que tous les murs de la nef étaient renforcés par de grands arcs de décharge appareillés selon une formule fort répandue en Provence et dans tout le midi au XIIe siècle. A l’inté­rieur les murs sont lisses.

Il ne semble pas que ce vaisseau ait comporté de fenêtres à l’origine, l’éclairage se faisant essentiellement par une grande porte percée dans la première travée méridionale, et peut-être par une baie située dans le pignon ouest.

La porte de la façade ouest, rectangulaire, aujourd’hui mu­rée, correspond sans doute aux réaménagements de l’église au XVIIIe siècle ou au XIXe siècle. La porte primitive placée dans la première travée méridionale présente encore son piedroit6 oriental (2,80 m. de haut) et le départ d’un arc constitué de trois cla­veaux7 bien taillés. Le mur ayant été entièrement remonté à cet endroit, nous ne connaissons pas son tracé complet. Un bloc de calcaire de forme grossièrement semi-circulaire a été remployé dans ce parement, il s’agit peut-être d’un fragment de tympan.

Le transept en saillie sur la nef était voûté. Le croisillon nord présente encore une partie de son élévation, le mur méridional du croisillon sud a été dégagé lors de la dernière campagne de fouilles. Sur les croisillons s’ouvrent deux absidioles dessinant en plan un demi-cercle de petites dimensions. L’abside totalement disparue, n’a pas encore livré son plan, sans doute en hémicycle.

La croisée du transept est actuellement matérialisée par les deux pilastres ouest qui soutenaient une voûte ou une coupole surmontée d’une tour-clocher. Cette hypothèse semble confirmée par un texte de 1727 signalant l’écroulement de la tour, de la cou­pole et des voûtes.

Nous sommes donc en présence d’un édifice très homogène construit sans doute en une seule campagne. Le plan et les éléva­tions toujours en place présentent une ordonnance d’une grande simplicité. Le plan en forme de croix latine comportant une courte nef et un transept relativement développé ouvrant sur deux absi­dioles et une abside, a été fréquemment utilisé aux XIe et XIIe siècles. L’on peut noter le choix de la nef à collatéraux pour les édifices de plus d’importance ou les prieurés. Le plan de Saint Pierre d’Aspères est cependant celui d’une église de prieuré.

Les absidioles de petites tailles rappellent le dessin des che­vets du premier art Roman.

Quant au parti d’ensemble tant pour le plan que pour la simplicité des élévations, l’existence d’arcatures intérieures ou le percement de la porte dans la première travée sud, il fait aussitôt songer à l’architecture de la Provence. Les points de comparaison sont assez nombreux et nous pourrions citer à titre d’exemple les églises de : Barbara, Saint Côme et Saint Damien de Gigondas,Sainte Marguerite de Montélimar, Notre Dame du Val Romiguier à Mornas ou Notre Dame d’Aubune… pour la Provence Rhodanienne, et les églises : Sainte Marie et Saint Véran de Vaucluse, Saint Martin des Eaux, Saint Eusèbe de Saignon… pour la Haute Provence.

Toute ces données permettent donc de situer l’église Saint Pierre d’Aspères au XII siècle malgré quelques survivances du XIsiècle (absidioles, appareil en moellons…).