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La communauté rurale de Sommières de 1850 à 1914 – Site de Sommières et Son Histoire

"Rien de très extraordinaire, cependant : une petite ville avec son pont romain, deux modestes fabriques, un château, d’im¬menses vignobles alentour… Mais, conditions pour le calme et le bonheur." [] Voici une définition de Lawrence DURRELL qui cor¬respond à merveille à l’étonnante ville de Sommières.
Elle se dresse, sous le soleil chaud méditerranéen, au bord du "Seigneur Vidourle" aux rives bordées d’arbres. Vidourle, personnage capricieux, étroitement lié à la vie quoti¬dienne, change brusquement d’humeur et provoque d’innom¬brables inondations.
Adossée à la colline, la ville s’étend sur les rives de Vidourle. Il lui apporte la fraîcheur lors des longues journées esti¬vales et les alluvions nécessaires à la culture de la terre. Sommières se situe dans la dépression de la Vidourlenque. C’est un vaste bassin, qui depuis Alès, s’étend vers Sommières.

Sommières, petite ville située dans la garrigue gardoise, sert de point de contact entre la basse plaine méridionale au sud et les montagnes cévenoles au nord. Les influences maritimes et cé¬venoles rythment la vie de la population.
A mi-chemin entre Montpellier et Nîmes, elle retire de son emplacement géographique des avantages commerciaux. Sa situa¬tion privilégiée lui donne accès aux Causses et aux Cévennes.
Sommières est le centre d’un vaste espace géographique. Son aire d’attraction est contrée au sud-ouest par Lunel et Montpellier, à l’est par Nîmes et au nord par les Basses-Cévennes.

"Sommières se trouve située au centre d’une belle région dont les terrains sont très fertiles, bien que de nature géologique assez différente, cultures cévenoles au nord, cultures méditerranéennes au sud, cette ville était naturellement appelée à servir d’intermédiaire entre ces deux régions de production dissem¬blables ; pays de transition entre la plaine et la montagne, elle devait devenir un lieu de rendez-vous et d’échanges." [
Chef-lieu du canton de l’arrondissement de Nîmes, il comprend de nombreux villages dynamiques appartenant à La Vaunage, centre agricole très fertile. Le Sommiérois et La Vaunage constituent un riche terroir agricole au milieu des garrigues pier¬reuses.

Défendue au levant par son château, au couchant par les créneaux du pont et ceux de Vidourle, Sommières est, au cours des siècles passés, toujours au centre des évènements politiques, religieux, économiques et sociaux.

"Le berceau de Sommières est sur le haut de la colline, qui le domine au levant, sur le terrain occupé actuellement par le village de Villevieille, et par les vignobles et les fertiles plantations d’oliviers qui couronnent le plateau de la Coustourelle." [

Une tradition orale transmet l’idée que "Sommières a été fondée sur le haut de la colline, et que des corroyeurs qui, pour leur commodité, voulurent se rapprocher de la rivière, en établis¬sant leur habitation sur le penchant ou au pied de cette colline, aient été cause qu’insensiblement après la destruction de l’ancienne ville, il se forma sur l’emplacement actuel de Sommières, une autre ville qui conserva le nom de la première." [

Sommières doit sa naissance au pont construit par les Romains au premier siècle de notre ère. Il permet ainsi aux rela¬tions commerciales de se développer.
Au Moyen-Age, la ville s’établit dans le lit majeur de Vidourle. Les constructions se font sur les arcades du Pont Romain pour éviter les nombreuses inondations. L’agrandissement de la ville se fait selon un plan précis. Les rues sont perpendiculaires les unes aux autres. Elles aboutissent à deux places rectangulaires.

Au XIème siècle, Bernard III d’Anduze est le seigneur de Sommières. Titre auquel il faut ajouter ceux de marquis de Gothie et d’Anduze, comte d’Alais, seigneur d’Uzès, prince et satrape de Sauve.
C’est sous la domination de la Maison d’Anduze que l’importance de Sommières se précise. Cette prospérité est grave¬ment atteinte au début du XIIIème siècle par les guerres de la croi¬sade des Albigeois.
Sommières, avec ses seigneurs les Bermond, ayant épousé la cause des Albigeois, solidaires du comte de Toulouse Raymond VII, subit son premier siège en 1226. "Après la révolte de Trencavel de Béziers en 1240, qui valut à Pierre Bermond VII son excommunication par l’archevêque d’Arles, ce dernier sei¬gneur perdit, en 1243, au profit du roi, la majeure partie de sa puissance et les territoires qu’il possédait (…) Saint-Louis échan¬gea en 1248 avec Bermond de Sauve, coseigneur de Sommières, ce que ce dernier détenait encore dans la ville contre le château du Caylar (…) L’acte de 1248 eut pour conséquence l’entrée de la ville dans le Domaine royal." [] Saint-Louis dote la ville d’un seigneur, de juridictions royales, et de privilèges qui reflètent les libertés anciennes acquises lors de la charte d’affranchissement accordée aux habitants en 1222.
Les rois s’attachent à confirmer les privilèges, libertés et franchises concédés par les seigneurs d’Anduze.

Jusqu’à la Révolution française, Sommières vit, et subit de plein fouet les crises politiques, économiques et religieuses. La guerre de Cent Ans, la Révocation de l’Edit de Nantes, la Révolte des Camisards sont autant de crises qui bouleversent et gênent l’activité commerciale très florissante de Sommières depuis le Moyen-Age. Les effets se font sentir sur les foires et marchés.

La communauté sommiéroise est détachée du Domaine royal par l’Acte d’Echange de 1772. Louis XV, pour acquérir la principauté des Dombes, donne au comte d’Eu divers territoires lui appartenant parmi lesquels se situe la ville de Sommières.
La communauté sommiéroise, réunie à la Couronne depuis 1248, proteste vivement quand son nouvel seigneur prétend s’approprier le revenu des droits patrimoniaux qui appartiennent à la ville depuis plusieurs siècles.

Quand la Révolution éclate en 1789, Sommières est encore en lutte avec son dernier seigneur, Monsieur de Joubert.
La Révolution française est l’opportunité offerte à la communauté sommiéroise de se libérer d’une mainmise seigneu¬riale. Cependant, les effets du nouveau régime n’ont pas l’in¬fluence bénéfique de l’administration royale sur la ville. Sommières ne bénéficie plus des privilèges accordés par les rois.

Après un passé aussi prospère, les industries sommiéroises stagnent dans la première moitié du XIXème siècle. L’agriculture est également en crise. Un regain d’activité semble naître vers 1850.
Les industries sont complémentaires à l’activité agricole. Les laines proviennent des moutons, l’huile des olives, les cuirs des animaux élevés dans le pays. Sommières et les villages envi¬ronnants, par l’importance de leurs activités agricoles, peuvent ainsi avoir des industries dynamiques.
L’étude de la communauté rurale de Sommières de 1850 à 1914 a pour intérêt de découvrir ce qui se cache derrière le tableau dressé par Lawrence DURRELL.

Devant cette tranquillité apparente, une population com¬merçante, industrielle et agricole s’active. La communauté rurale comprend toute la population qui habite à la campagne. La com¬munauté rurale regroupe diverses branches d’activité : l’agriculture, le commerce et l’industrie. La population de ces secteurs forment la communauté rurale sommiéroise. Elle vit directement ou indirectement de la culture de la terre. Nous définissons le terme rural selon la signification donnée au XIXe siècle. Des rapports de police de l’époque attestent l’application du terme rural à la ville de Sommières. Nous justifions ainsi l’utilisation du terme de communauté rurale sommiéroise pour l’étude de cette période. Nous écartons volontairement la définition actuelle selon laquelle les communautés rurales comprennent moins de 2000 habitants.

Le but de ce travail est de comprendre comment la com¬munauté rurale de Sommières de 1850 à 1914 subit les mutations économiques et sociales. Quelles sont les répercussions des crises nationales sur cette population ? Un compatriote d’Emile Boisson, géologue sommiérois, pense que "l’histoire locale touche par mille points aux faits généraux de l’histoire." [] C’est à nous de le dé¬montrer.

L’intérêt est d’éclairer, dans la période définie, l’histoire de cette communauté rurale afin de voir si elle correspond à un modèle de communauté rurale caractéristique de la France à cette période, ou si elle présente des particularités propres.

Cette étude doit se rattacher au mouvement d’Histoire rurale qui a marqué l’historiographie. Nombreux sont les historiens qui ont étudié la vie rurale de leurs régions ou pays. Nous pouvons citer en exemple la thèse de Georges LEFEBVRE, Les paysans du Nord pendant la Révolution, (1924), dans laquelle il attribue une place prépondérante aux structures sociales et aux faits économiques. Deux thèses ont marqué l’histoire du Languedoc, LE ROY LADURIE, Les paysans du Languedoc, et SOBOUL, Les campagnes françaises en Bas-Languedoc. La méthode utilisée est la suivante : Les thèses d’Histoire rurale dressent une descrip¬tion du milieu naturel de la région étudiée, puis effectuent l’étude de la démographie historique et de l’économie. L’analyse se fait en fonction des structures agraires qui évoluent selon la conjoncture.

Il s’agit par cette étude locale de faire avancer la recherche au niveau national. L’intérêt de l’histoire locale est grand. Parler d’une terre, de ses habitants, d’un pays, c’est faire perdurer dans le temps les traditions et l’héritage laissés par nos aïeux, la mé¬moire d’un peuple…

L’étude de la période de 1850 à 1914 a un intérêt si elle explique et aide à comprendre le présent. C’est une période char¬nière entre les bouleversements de la Révolution française et les transformations subies après 1850. A la fin du XIXe siècle, notre société actuelle se met en place. Les Révolutions Industrielle et Agricole ont modernisé et dynamisé l’économie et les méthodes de travail. Elles ont entraîné le déclin de l’industrie traditionnelle, notamment celle du textile. Les agronomes veulent développer l’agriculture spécialisée et délaisser la polyculture ancestrale, peu rentable. L’instauration du Second Empire offre le suffrage uni¬versel masculin à toutes les classes sociales. La Troisième République donne le pouvoir, la liberté et l’instruction au peuple.

1850-1914 : période de transition, la communauté rurale sommiéroise est ballottée entre l’héritage traditionnel et le progrès. Elle hésite entre deux dimensions, régionale ou nationale. Dans un premier temps, la communauté rurale vit fermée sur elle-même. Ensuite, elle franchit les frontières régionales. La communauté rurale dure à travers le temps. En subissant les influences de l’extérieur, elle se transforme par l’intérieur. L’histoire d’un pays révèle les forces de la population, les facteurs structurels hérités, les forces conjoncturelles nouvelles.

LES NOUVELLES "OUVERTURES" SOCIALES IMPULSEES PAR LA TROISIEME REPUBLIQUE.

La vie est pensée comme une croissance continue, l’homme passe de l’état d’enfance à celui de vieillesse, et ce faisant, il ac¬quiert l’expérience et la sagesse. A chaque âge correspond un rite de passage et des activités propres à chaque groupe.
Ainsi, au cours du XIXe siècle, les lieux de rencontre se modifient. Désormais, les cafés et les auberges sont le siège de nombreuses discussions animées.
Des fêtes nouvelles laïques sont apportées par la République.
La vie sociale s’anime intensement.

A. Les lieux d’échange se multiplient

La société des hommes se différencie de celle des femmes. Chacun possède ses lieux. La femme gère l’espace domestique et y accueille ses amies. Elles se rencontrent sur la plage de galets au bord de Vidourle lors de la lessive.
Les hommes se réunissent sur la place ou le long des quais de Vidourle. Cependant, le point de rencontre habituel est le café et les cercles.
Hommes et femmes se regroupent lors des fêtes.

1. Les cafés
et les auberges.

Le café est un lieu exclusivement masculin. Le vin est la boisson la plus consommée. Parfois, des denrées, comme le poivre, le sel, le café et le sucre, sont en vente dans les cafés.
Au milieu du XIXème siècle, au sein de la communauté ru¬rale s’affrontent deux cultures, celle qui est traditionnelle, et celle venue de la ville. Le lieu de la tradition, c’est la veillée, son anti¬thèse, c’est le café.

Frédéric Mistral, dans Mémoires et récits, évoque avec nos¬talgie cette évolution. "En ce temps-là (1874) la mode de ces ré¬unions joyeuses (les veillées) était loin d’être perdue ; elles se te¬naient en général dans les étables ou dans les bergeries… Aujourd’hui, (vers 1900) dans nos villages les paysans, après souper vont au café faire leur partie de billard, de manille ou d’un jeu de cartes quelconques…" [
La veillée évoque l’isolement des paysans au sein de la po¬pulation. Les réunions se font autour d’un travail commun. Le café évoque l’ouverture du paysan vers le monde, à la rencontre d’autres personnes d’un milieu social diffèrent. Là, les discus¬sions sont animées. Le paysan s’intéresse à la politique grâce aux échanges d’idées qui ont lieu dans les cafés. Les journaux se mul¬tiplient avec les lois de 1881, qui offrent une charte de la liberté d’expression.

En 1867, on compte 19 cafés à Sommières []. Ils se situent à des emplacements stratégiques, sur les quais, place de la Halle, place du Marché, rue du Pont, rue de la Grave, rue du Bourguet… Ce sont les lieux les plus dynamiques de la ville.
Lors du grand marché hebdomadaire, les habitants des communes environnantes viennent effectuer leurs achats. Les hommes profitent de cette occasion pour boire un petit coup au café. Ainsi, ils rencontrent des personnes de connaissance. Ils échangent les nouvelles du Pays. Ils s’ouvrent à la vie sociale. Les cafés sont parfois le siège d’associations ou de cercles.
Lors des représentations théâtrales sur les promenades, trois cafés sont ouverts exceptionnellement.

L’existence de dix hôtels et auberges montrent l’importance de la ville [].
Ces lieux sont l’objet d’une surveillance étroite par la police car ils sont considérés comme un lieu de débauche.
"Les débits de boissons, divisés en buvettes, cafés et casino sont assez fréquentés." [10

Dans les rapports de police, les cafés sont de plus en plus souvent au centre des observations. "Les buvetiers, pendant la du¬rée de la foire s’étaient tous pourvus de femmes galantes pour le service de leur clientèle…" Le commissaire de police a dressé 9 procès verbaux de contravention contre les industriels qui les em¬ployaient, pour contrevenir chaque jour à l’arrêté municipal du 8 décembre 1888, qui interdit à tout débitant de boissons d’employer au service de sa clientèle des femmes de mauvaise vie ou des filles étrangères à sa famille. Les contrevenants ont été condamnés au¬jourd’hui chacun à un franc d’amende." [11

Le 17 novembre 1894, le commissaire de police dresse un constat [12] sévère sur les buvettes de la ville qu’il nomme "établis¬sements malsains" car ils sont tenus par des personnes étrangères au pays. Le service est fait par des "bonnes" de mauvaise vie. La prostitution est présente. Il note que "des filles qui ont déjà couru les principales villes de notre région se livrent à la prostitution en plein, je dirai presque au vu et au su de tout le monde." C’est considéré comme un danger permanent au point de vue de l’hy¬giène et pour l’avenir de la jeunesse. "Plusieurs jeunes gens sont contaminés et trois ont déjà succombé, dans une période fort rap¬prochée, des suites de maladies secrètes." [13] L’Eglise condamne ces lieux de débauche.
Les cafés et les buvettes sont des lieux d’échanges, de com¬munication pour la population rurale. Mais, seuls les hommes y ont accès.
La communauté rurale, par la discussion et la confrontation des idées, ouvre les remparts de sa ville vers les évènements na¬tionaux. Ils sont de plus en plus sensibles à la politique.
Un journal socialiste, La Bataille, est créé à Sommières le 4 juin 1910. Il se fait "le défenseur de la classe ouvrière et des mili¬tants, le propagateur de l’Idéal Socialiste, le semeur de la doctrine marxiste au sein du prolétariat rural inspirant vers plus de mieux être, en marche vers son émancipation économique." [14
La crise économique, dans laquelle se trouvent l’industrie et l’agriculture, oblige les Sommiérois à s’intéresser à la politique. L’Eglise perd son influence. Cependant, le commissaire de police note dans un rapport de 1891 que "les cérémonies religieuses sont très fréquentées, même par les hommes à l’époque des fêtes prin¬cipales. Aux sermons du carême, il n’est pas rare de compter un auditoire de quatre cents hommes." [15

2. Les cercles

Ils favorisent l’instauration de "groupement qui, intégrant la jeunesse font office de comité des fêtes, de tribune politique, de cabaret clandestin." [16] Seuls les hommes y ont accès.
Les cercles se multiplient à Sommières.
Le premier mentionné se nomme Le Cercle du Nord. Il se forme en 1865. Son but est de "se réunir journellement dans un lieu réservé, qui ne serait en quelque sorte qu’un café où le public ne serait pas admis. Ce cercle doit se composer d’une centaine de personnes appartenant à diverses classes de la société différant entre elles par la position de rang et de fortune, mais toutes d’une moralité incontestable, animées du meilleur esprit et n’ayant donné sans cesse la preuve de leur soumission à l’autorité locale et par conséquence de leur sympathie pour notre gouvernement." [17] Le siège de ce cercle se trouve au premier étage du Café du Nord.

En 1872, apparaît le Cercle de l’Avenir [18]. Les sympathisants doivent se conformer à l’article 2 : "Interdiction de traiter toute question ayant trait à la politique et à la religion" et la non-exécution de cet article entraînerait la fermeture de ce cercle. Dans un rapport de police adressé au Préfet du Gard le 16 novembre 1894, le commissaire note "que le cercle républicain de l’Avenir, formé le premier novembre 1891 comprend 56 adhérents dont chacun paye une cotisation de 10 francs." Ce cercle se tient dans une pièce au premier étage, attenant au Café du Midi, quai du Midi à Sommières. En 1898, il siège au Café Parisien. Les jeux d’ar¬gent sont interdits.

Le Cercle du Progrès est également républicain. Il est "fondé le 28 janvier 1891 avec un effectif de 40 membres" [19]. Il siège au Quai du Nord à Sommières. La cotisation est de 12 francs. Seuls les jeux de cartes et de dominos sont autorisés.
La création du Cercle de l’Orphéon date du 27 janvier 1891. Il compte 40 membres. "C’est le rendez-vous de l’élément clérical intransigeant." [20] Il est situé rue du Pont. La cotisation est 12 francs.
Le Cercle de l’Univers est dit "réactionnaire et fort peu im¬portant." [21] La cotisation est de 5 francs. Les jeux ordinaires sont pratiqués. Il est créé en 1874 et regroupe 20 membres en 1896.
Le Cercle de la Bourse, créé en 1874, est également réac¬tionnaire.
Les deux cercles réactionnaires sont interdits par le Préfet du Gard en 1895. Ils n’ont pas respecté les conditions définies qui réprimandent les discussions politiques et religieuses.
L’entrée des cercles politiques est refusée aux femmes et en¬fants. Les admissions se font sur la présentation de deux membres. Le droit d’entrée est strictement réservé. Ils sont en gé¬néral gérés par les notables de la ville. Mais, de nombreuses per¬sonnes appartiennent aux classes moyennes. Toutes les profes¬sions sont représentées.

Aux cotés des cercles politiques, d’autres ont un but social d’entraide.
Le Cercle de la Musique [22] comprend 50 membres. Il se situe rue du Pont. La cotisation est de 3 francs. Les jeux pratiqués sont les dominos et les cartes.
L’Association Amicale des Anciens Elèves de l’école pu¬blique laïque de Sommières organise le Cercle du Devoir. Les buts sont :
"-d’établir entre tous les associés un centre commun de rela¬tions amicales.
– de favoriser les débuts de ses membres dans les carrières qu’ils auront choisies.

 de développer leurs connaissances par des causeries in¬times, des cours d’adultes et des conférences." [23
En 1898, l’association comprend 100 membres, parmi lesquels nous dénombrons 5 propriétaires, 11 cultivateurs et un fermier. Cela prouve l’intérêt que la communauté paysanne porte à l’enseignement.

Le 17 août 1894, Le Vélo Club Sommiérois est créé. "Le but est d’établir un lien entre les personnes qui s’occupent de la Vélopédie, d’en développer le goût par des promenades, excur¬sions, courses, de préparer des vélopédistes pour l’armée et de participer aux fêtes de bienfaisance." [24] Son siège se trouve au Café de la Renaissance, rue Général Bruguière.

Cette fin de siècle voit la multiplication des cafés, des cercles, et des associations. La population participe davantage à la vie communale. C’est un moyen de s’ouvrir au monde extérieur.

Les idées politiques pénètrent les classes sociales qui jus¬qu’alors ne s’y intéressaient pas. Ainsi, une partie de la population se politise.

3. Les fêtes traditionnelles

Nous écartons volontairement les fêtes religieuses. Le Carnaval et les fêtes de quartier sont des fêtes païennes. Leur im¬portance s’accroît à la fin du XIXe siècle.

a) Le Carnaval

"Carnaval te vese, couflo comme un pése,
Carnaval, je te vois gonflé comme un pois" [25] s’écrit la jeu¬nesse sommiéroise lorsqu’on fête le Carnaval.
Le dernier jour, après le défilé carnavalesque à travers la ville, la population se retrouve à la Grave pour brûler le Carnaval de l’année en chantant :
"Tu t’en vas e ieu demoro… Adieu pauvre Carnaval,
Carnaval sies un ibrougno, as manja tout moun argent. !"
"Tu t’en vas et je reste… Adieu pauvre Carnaval,
Carnaval, tu es un ivrogne, tu as mangé tout mon argent !" [26
Les pouvoirs municipaux s’inquiètent des excès carnava¬lesques. Le maire de Sommières en 1819 adresse de nombreuses recommandations : "Il est défendu à tout individu travesti, déguisé ou masqué de parcourir durant le Carnaval soit en groupe, soit isolément les rues, places publiques, promenades et autres lieux après sept heures du soir… Il leur est expressément défendu de prendre dans leurs travestissements le costume des fonctionnaires publics, des ministres des cultes et de tous les anciens ordres reli¬gieux non plus qu’avec les décorations de divers ordres royaux." [27
En 1849, le maire interdit "toutes les farandoles et les pro¬menades au son du tambour." [28
Le Carnaval est la fête de la jeunesse. Le déguisement assure l’anonymat. On peut se permettre de critiquer la religion et les hommes politiques
Le 17 mars 1912, un Grand Défilé Carnavalesque est orga¬nisé dans les rues sommiéroises avec des Chars Espagnols, Chars de la Ligue anti-alcoolique, Char de la Classe 1911, Char de Peau-Rouge, Char des Trois Joyeux. Une grande bataille de fleurs et de confettis accompagne le défilé.

b) Les fêtes de quartiers

Elles sont organisées par la jeunesse. Sommières se divise en trois quartiers. Chacun organise sa fête :

 La fête du Bourguet, quartier nord

 La fête du Centre-Midi, quartier centre

 La fête du Faubourg, quartier sud.

– Les courses de taureaux

Les principales animations sont les courses de taureaux. "Le comité des fêtes du centre-midi prie Messieurs les propriétaires d’amener leurs charrettes à la place du marché lundi 21 courant pour la course de taureaux." [29] Elles ont lieu parfois au Bourguet, au Marché, ou aux Aires Communales selon le quartier

On constitue un "rond" formé par un ensemble de charrettes et de tonneaux. Des claies sont reliées entre elles afin d’empêcher les taureaux de s’échapper.
Des mesures sont prises pour interdire les courses, car les accidents sont nombreux.
Par un arrêté du 19 janvier 1841, le Préfet du Gard les in¬terdit car "attendu que des plaintes se sont élevées de toute part contre ces courses, qui, outre qu’elles habituent les populations à des actes de cruauté, plongent chaque année une foule de familles dans le deuil." [30
En 1853, la colère éclate. Le Comité du Faubourg du Pont souhaite le rétablissement de la fête car "l’unanimité des habitants du Faubourg, qui participent à cette fête verrait avec beaucoup de plaisir une course de vaches." [31] Le maire refuse de donner son accord. Alors, "la population s’entendit avec un manadier du Cailar pour conduire dans la ville ses taureaux, sans autorisa¬tion." [32] Le maire, Emile Boisson laisse faire, tout en dressant un procès-verbal de l’infraction… qu’il envoya au Préfet. [33
En 1911, à nouveau "plusieurs projets de lois ont été dépo¬sés, soit à la Chambre, soit au Sénat, et leur adoption par le Parlement pourrait entraîner comme conséquence indirecte la sup¬pression des courses de taureaux." [34
Le conseil municipal demande "aux Pouvoirs Publics de respecter les traditions et les usages locaux, alors qu’ils n’ont rien de contraire à la liberté de chacun, à la morale et à la tranquillité publique." [35
A coté des animations traditionnelles, ces courses constituent un apport commercial : "Les courses de taureaux attirent dans notre pays une affluence considérable de visiteurs, elles sont utiles à son développement et à sa prospérité, et leur interdiction lèverait de multiples intérêts." [36
Encore aujourd’hui, les animations taurines sont remises en cause !
– La Danse des treilles

Au début du siècle, la fête du Centre-Midi est marquée par une manifestation folklorique de qualité.
Après un brillant défilé au son du tambourin et du haut-bois, 150 jeunes gens effectuent La Danse des Treilles sur la place du marché. Lors d’un article paru dans La Bataille, Fernand Troubat décrit cette danse : "Le haut-bois se fait entendre doucement, très doucement d’abord, comme en forme d’appel. Chacun prend place et se met en rang ; les couples coquettement vêtus, portant en cercle au-dessus de leurs têtes des tiges de sarment mûri, garnies de pampre vert et de fruits, arrondies en forme de treille, se ser¬rent, s’alignent, gracieusement enlacés… Les notes deviennent plus vives, la longue file des danseurs s’élance, s’entortille, se dé¬roule, se resserre et s’étend !" [37]
La fête se poursuit avec des jeux et des animations sur les quais : un grand corso, une bataille de Fleurs, des confettis, une distribution de gâteaux, des grands bals, des courses à bicyclettes, un concours de tir à la carabine…
Le jeu de quilles est organisé sur le Jeu de Ballon. Le vain¬queur emporte un mouton ou un agneau.

Les fêtes sont nombreuses à Sommières. Elles permettent à la communauté rurale de se rencontrer. Chacun délaisse ses occu¬pations pour venir à la fête. Les pauvres et les riches participent. La jeunesse est la principale animatrice des fêtes.

Les distractions se multiplient.
Au début du siècle apparaît le Théâtre de la Taillade. D’après La Bataille, on y joue des comédies ou des drames humanitaires comme Un bouquet de violettes. [38
La communauté rurale découvre le cinéma : "deux grandes représentations données par le Gramo-Cinématographique artis¬tique, qui vient d’obtenir un grand succès à Nîmes, avec ses vues animées en noir et en couleurs ; surtout avec ses vues chantantes où l’on voit et où l’on entend nos grands chanteurs parisiens." [39] La communauté rurale accepte la modernité.

4. Les Fêtes laïques républicaines

Le 14 juillet devient la Fête Nationale avec l’instauration de la République en 1880.

a) Le 14 juillet

Dans une délibération du conseil municipal du 27 juin 1880, le maire propose l’ouverture d’un crédit de 300 francs pour la cé¬lébration de la Fête Nationale qui "est pour la première fois depuis l’établissement de la République, une Fête Nationale et légale" [40].
Une souscription publique est ouverte dans la localité "qui promet d’être fructueuse" [41]. Le maire souhaite "demander au bu¬reau de bienfaisance une distribution exceptionnelle de bons pains et de comestible" [42].
Le maire arrête le programme de la Fête : "retraite aux flam¬beaux avec la Musique de la Lyre Républicaine, les jeux gratuits, un feu d’artifice, un grand bal sur la place du Bourguet…" [43] sont les principales animations.
Le Gouvernement souhaite que la fête instituée par la loi du 6 juillet 1880 soit célébrée brillamment, dans tous les chef-lieux de canton notamment.
"Les Edifices seront pavoisés aux couleurs nationales. Les Citoyens sont invités à pavoiser leurs maisons." [44
Le 15 juillet 1887, le commissaire de police note que "la Fête Nationale du 14 juillet a été célébrée avec beaucoup d’enthou¬siasme et d’entrain dans toutes les communes républicaines du canton de Sommières" [45].

Les communes sont subventionnées "pour célébrer digne¬ment l’anniversaire du 14 juillet" [46]. Sommières reçoit 80 francs en 1886, 1887, 1888. En 1898, la subvention est de 25 francs.
Ces fêtes sont organisées par la jeunesse. La commission de la Fête du 14 juillet comprend "les cinq plus jeunes membres du conseil municipal" [47].

Une lettre du Préfet invite "toutes les municipalités à célébrer par une Fête digne du souvenir le centenaire du 5 mai 1889, date de l’ouverture des Etats Généraux" [48]. Le maire arrête le pro¬gramme "considérant qu’il y a lieu de célébrer avec tout l’éclat possible la fête nationale du 14 juillet et le centenaire de la Révolution française." [49
Les animations sont nombreuses : "Tous les soirs du 14 au 21 juillet, grand bal" avec pièces d’artifice variées.
La population se distrait. C’est l’occasion des repas de fa¬mille. Les habitants revêtent leurs vêtements du dimanche.
Le succès de la Fête du 14 juillet montre le rattachement et l’adhésion de la population à la République.

2. Le 1er mai

Elle a une grande importance à Sommières dès le début du siècle. C’est une fête illégale.
En 1884, le congrès américain des Trade-Unions décide de considérer le 1er mai comme journée de revendications sociales et syndicalistes. Le congrès international socialiste de Paris prend la même résolution en 1889.

En 1892, le commissaire de police écrit au Préfet au sujet de la fête du 1er mai que "les ouvrières sont de la localité. Les ou¬vrières étrangères en petit nombre viennent du département de la Lozère, sont pauvres de pouvoir faire tous leurs efforts pour contempler leurs maîtres et conserver leur salaire" [50]. Par consé¬quent, aucune manifestation n’a eu lieu.

En 1894, le commissaire de police note dans son rapport en date du 1er mai : "l’ordre le plus parfait a régné dans la circons¬cription du Commissariat de Sommières ; cependant, trois dra¬peaux aux couleurs nationales françaises ont été arborés pendant toute la journée devant la maison du Sieur Griolet Alphonse, âgé de 40 ans, tonnelier en la dite localité, mais personne ne s’est ar¬rêté devant cette maison et le Sieur Griolet qui fait parti du conseil municipal a travaillé toute la journée dans son atelier ; il a la réputa¬tion d’être un travailleur des plus paisibles. On s’accorde à dire qu’il a voulu faire une fumisterie. On en a ri !" [51

Le 17 avril 1909, le conseil municipal invite la population à célébrer la fête internationale du travail. "Considérant qu’élu sur un programme socialiste pour gérer et administrer la commune dans l’intérêt de la classe ouvrière de laquelle il est issu, qu’il est de son devoir d’inviter les travailleurs de la commune à s’associer à la manifestation mondiale en célébrant localement la fête interna¬tionale du travail", le conseil décide de "fêter dignement le 1er mai et pour donner plus d’ampleur à cette manifestation pacifique et donner plus d’éclat à la fête, le lendemain qui est un dimanche de la prolonger jusqu’au soir du 2 mai." [52

En 1911, une grande Fête Internationale du 1er mai est or¬ganisée à Sommières. Le programme prévoit le pavoisement des Edifices Publics, un concert et un bal sur la place de l’Hôtel de Ville pour le dimanche 30 avril. Une distribution de Secours aux Indigents, des jeux divers sur la place de l’Hôtel de Ville, une grande course de vachettes, l’embrasement des Edifices Publics, un grand bal à 9 heures sont prévus pour le lundi 1er mai. A mi¬nuit, les salves d’artillerie annoncent la fin de la fête.
Le maire Gustave Barbut espère que "tous les ouvriers, tous les producteurs, tous les exploités, s’associeront au Parti Socialiste, organisation politique du Prolétariat sur son terrain de classe, pour revendiquer toujours plus de mieux être et le droit à la vie. Plus nous serons nombreux à manifester notre volonté d’en finir avec le régime d’oppression, mieux la classe parasitaire que ses Privilèges seront emportés avec l’action du Prolétarait, quand tous les exploités seront convaincus que : l’émancipation des tra¬vailleurs sera l’oeuvre des travailleurs eux-mêmes. Camarades, tous debout le 1er mai, pour la journée de huit heures et la Paix Européenne, fortement compromise par la Bourgeoisie au pou¬voir, au cri de : Vive l’Internationale Ouvrière !" [53

Malgré son illégalité, la fête du 1er mai est un jour très animé. Beaucoup de Sommiérois se rattachent aux idées socia¬listes. En 1896, le P.O.F, Parti Ouvrier Français, est créé. Il de¬vient, ensuite, le Groupe Collectiviste. [54

L’imbrication de la politique dans la vie sociale se généralise à la veille de 1914. Le maire développe les idées socialistes. Les fêtes laïques montrent la victoire de la République.

B. La politisation des Municipalités

Napoléon Bonaparte donne à la France une administration ordonnée. La commune est établie avec son conseil municipal et son maire, nommé par le pouvoir.
La loi de 1831 permet l’élection des conseillers municipaux. Mais, les maires et les adjoints sont nommés par l’autorité supé¬rieure. Cependant, ils doivent être choisis parmi les membres du conseil élu.
La Seconde République instaure, en 1848, le suffrage uni¬versel masculin. Désormais, tous les hommes de toute classe so¬ciale confondue, peuvent voter.

1. Les effets du suffrage universel sur la population sommiéroise.

Se débarrassant de l’Assemblée Législative par le coup d’Etat du 2 décembre 1851, Louis Napoléon Bonaparte instaure, par la Constitution du 14 janvier 1852, le Second Empire. Il est établi par le Sénatus-Consulte du 7 novembre 1852, et consacré par le plébiscite du 21 novembre.
A Sommières, une proclamation est faite le 20 novembre 1852 en faveur de Louis Napoléon afin de convier la population au vote. "Ecoutez la voix aimée d’un homme qui vous est venue par son dévouement et son affection pour tous. Elle vous demande de ne pas déserter un pouvoir important dans une circonstance aussi solennelle, de ne pas refuser un vote approbatif à un acte que toute la nation a provoqué elle-même…" [55] Cette proclamation veut in¬fluencer la population à venir approuver le rétablissement de l’Empire. Le commissaire de Police annonce au Préfet du Gard dans une lettre du 23 novembre 1852 que "l’autorité de Sommières n’a rien négligé pour engager les électeurs à se présenter au scru¬tin." [56
A Sommières, sur 1237 électeurs inscrits, 724 ont pris part au vote. Sur ce nombre, 634 ont voté oui et 83 non. Les bulletins blancs sont au nombre de 10. D’après le Commissaire de Police, "il y a près de 500 électeurs qui n’ont pas voté, la majeure partie par indifférence et les autres appartenant à l’opinion légitimiste ou républicaine ardente." [57] Un rapport journalier du 25 septembre 1848 annonce la présence de Légitimistes et de Républicains. Les deux partis sont forts et influents dans cette ville. Les uns et les autres agissent beaucoup. Les premiers en prêchant le retour pro¬chain de Henri IV, les seconds les bienfaits présents et futurs de la République." [58] Le maire ajoute que la raison principale du nombre élevé d’abstentions est le fait que "les électeurs seraient en majorité occupés par la récolte des olives." Mais avec la pluie, le nombre des votants a augmenté. Cependant, "cet esprit d’indiffé¬rence pour un droit précieux qui augmente et gagne du terrain à chaque circonstance où les électeurs sont appelés à l’exercer : c’est déplorable, mais le fait existe partout." [59
La population, à la mi-XIXe siècle, n’est pas politisée. Elle est occupée à vaquer à ses travaux quotidiens. Elle ne s’inté¬resse pas à la politique. Elle n’est pas sensible aux problèmes na¬tionaux. Elle réagit au niveau local.

Instauré avec la Seconde République, le suffrage universel n’a pas rallié toute la population. Seule la classe la plus aisée de la communauté profite de cette liberté d’expression.

Avec le rétablissement de l’Empire, le décret du Prince-Président de la République, en date du 24 juillet dernier, nomme Emile Boisson, maire. Le conseil municipal est entièrement dé¬voué à la mise en place du Second Empire. Emile Boisson donne son soutien au pouvoir dans son discours du 6 mai 1852 : "Nul de vous n’a encore oublié l’état d’anxiété et d’angoisse, où se trou¬vait la Société à la veille du 2 décembre ; nul de vous n’a perdu le souvenir des terribles périls qui la menaçaient de la courageuse initiative qui les a conjurés, et de la main puissante qui a repoussé le spectre du socialisme prêt à nous dévorer, aussi la France éga¬lant la reconnaissance au bienfait, y a répondu par l’honneur im¬mense du vote du 20 décembre." [60

Seuls les plus fortunés sont au conseil municipal. Les plus grosses fortunes sont détenues par les propriétaires rentiers qui sont au nombre de 6 en 1865. Les industriels et hommes d’affaires participent à la gestion de la ville. [61
Sous le Second Empire, nous constatons que le pouvoir municipal est entre les mains de la classe aisée, c’est-à-dire au monde des Messieurs. La portée des prises de positions politiques des paysans et des artisans demeure réduite. Par leur ignorance, ils sont soumis à l’influence des notables et des prêtres. "Là où les paysans sont plus indépendants, propriétaires par exemple, de terres qui suffisent aux besoins et à l’emploi de la famille, leur mé¬contentement s’exprime souvent par un vote républicain." [62
Le taux de participation reste faible, notamment dans les sections du Centre et du Midi. Elles regroupent le centre de Sommières, habité par les classes ouvrières et paysannes. [63

2. "La République sera la République des paysans ou elle ne sera pas." Jules Ferry

La Troisième République trouve dans le vote paysan, la consolidation du régime.
L’ancien maire Jules Roux est maintenu dans ses fonctions de maire. Mais, le conseil municipal nouvellement élu porte adhé¬sion à la République. "Le conseil municipal de Sommières, heu¬reux et fier de se faire l’interprète de la population qui l’a nommé, s’empresse de vous adresser son adhésion pleine et entière à l’avènement de la République, l’ère d’oppression, de honte et d’infamie dans laquelle des mains criminelles l’avaient si long¬temps maintenue." [64
Le conseil municipal condamne le gouvernement de la Commune. L’assemblée nationale élue le 8 février 1871, à majo¬rité monarchiste se réunit à Bordeaux puis à Versailles. Les membres du conseil adressent à l’Assemblée Nationale "l’assu¬rance de leur dévouement et de leur concours le plus sympathique en même temps que l’expression du sentiment de réprobation que leur inspirent les actes de l’insurrection criminelle et démagogique qui oblige la France et opprime Paris." [65

Le taux de participation augmente. En 1878, seulement 114 électeurs, sur 1205 inscrits, ne se sont pas présentés aux urnes. [66
En 1871, des commerçants et artisans sont élus. Leurs for¬tunes s’élèvent à 5000 francs. [67] En 1893, trois tonneliers, un coutelier, un serrurier, un coiffeur… sont élus. [68
Dès 1881, le maire est élu par le conseil municipal. Auparavant, il était nommé par le Président de la République fran¬çaise sur la proposition du Ministre, secrétaire d’Etat au départe¬ment de l’Intérieur et des Cultes.
En 1878, Frédéric Gaussorgues est nommé maire. En 1888, puis en 1892, il est élu maire. Il délaisse cette fonction car son mandat de député du Vigan l’oblige à refuser les fonctions de maire.
A partir de 1896, les tendances politiques apparaissent clai¬rement. Louis Jeanjean est élu maire sous l’étiquette politique de "républicain progressiste". [69] Le conseil comprend "trois républi¬cains progressistes, un socialiste, six radicaux, dix radicaux-so¬cialistes, et trois opportunistes. [70
Les opportunistes souhaitent réaliser progressivement les ré¬formes, en matière politique et scolaire surtout. Les radicaux veu¬lent les précipiter.

En 1900, Hippolite Gaussen, négociant en vin est élu maire. Les conseillers municipaux se disent radicaux-socialistes pour la majorité. Cinq sont socialistes. D’élection en élection, la mairie adhère aux idées de gauche [71].
Ce constat est valable pour l’élection de 1904. Le maire élu est Olivier Guérin, socialiste [72]. "Le conseil municipal de Sommières, dès son installation, adresse au Ministre Combe ses plus vives félicitations pour la politique de laïcisation qu’il pour¬suit avec énergie, l’engage à persévérer dans cette voie et à réaliser sans retard la séparation de l’Eglise et de l’Etat ainsi que toutes les réformes politiques et sociales si longtemps attendues par la Démocratie." [73
En 1908, la municipalité est contestée. Sept conseillers mu¬nicipaux démissionnent. Ils se sont absentés sans motif légitime or l’article 60 de la Loi du 5 avril 1884 oblige la démission des conseillers absents. D’après M.Lauret, conseiller municipal, "ces élus se disent républicains mais sont réactionnaires" [74].
Des élections complémentaires ont lieu le 25 octobre 1908. le maire, Gustave Barbut, tient un discours en l’honneur des nou¬veaux conseillers élus. "Nous sommes heureux de la venue (…) de compagnons de lutte de l’époque lointaine ou le mot Socialisme et le drapeau rouge qui en est l’emblème étaient synonymes d’épouvantail et quelques fois de dérision. Anciens et nouveaux, nous ne devons avoir qu’une légitime ambition : réaliser en com¬mun le programme sur lequel, les uns et les autres avons été élus et ce sera notre orgueil et celui de la classe ouvrière que nous re¬présentons et à laquelle nous appartenons tous (…) Nous travaille¬rons à la transformation de l’état social actuel vers laquelle tendent nos voeux et nos efforts et hâterons selon nos forces et moyens l’avènement de la République Sociale." [75
En 1908, les artisans deviennent majoritaires dans le conseil municipal, tonnelier, serrurier, chaudronnier…Le nombre de cul¬tivateurs augmente. Ils sont ancrés politiquement à gauche et dé¬fendent les idées socialistes [76].
En 1912, Gustave Barbut est reconduit dans ses fonctions. Son conseil décide l’indemnisation du maire. "Considérant que les fonctions publiques ne peuvent être accessibles à la classe ouvrière que si elles sont rétribuées ; que d’ailleurs l’assemblée communale a été élue, le 5 mai, avec un programme sur lequel figurait que les fonctions municipales seraient rétribuées. Le conseil municipal décide que désormais le maire recevra une allocation annuelle de 2000 francs." [77

Toutes les classes sociales sont politisées. Le paysan et l’ar¬tisan votent. Après avoir reçu le droit de vote, ils participent même au conseil municipal. La commune est désormais gérée par le Peuple. Sommières, comme tout le Midi, adhère aux idées so¬cialistes. C’est une "mairie rouge".

3. Les contestations "réactionnaires"

Des Sommiérois réagissent violemment aux idées émises par la Troisième République.

a) Réactions de l’Eglise

Malgré le ralliement de la population à la République, cer¬tains groupes, minoritaires cependant, manifestent leur opposition à ce nouveau régime.

Dans un rapport de police de février 1887, le commissaire note que l’attitude des différents partis politiques est "bonne pour les Républicains, mauvaise pour les réactionnaires qui critiquent de parti-pris tous les actes du gouvernement et ils sont toujours à leur poste de combat. Les socialistes anarchistes, au nombre de 15, n’ont ni influence ni popularité. Les réactionnaires parlent sans cesse de la guerre et disent que c’est la République qui la veut pour relever son prestige." [78

En 1914, les membres de l’Action Française organisent des manifestations à Sommières lors de la Saint-Philippe : "Plus de deux cents royalistes formaient le cortège, précédé du drapeau français, se rendant à l’Eglise (…) Les discours des trois orateurs furent très souvent interrompus par des applaudissements et des cris répétés de Vive le Roi ! A bas la République !" [79

Le clergé est également contre la République, car selon le commissaire de police "l’attitude du clergé est mauvaise. Constamment, il travaille dans l’ombre pour le gouvernement de ses rêves, néanmoins il n’attaque plus ouvertement la République et ses représentants. Son influence est grande sur ses adhé¬rents." [80

L’impact de l’Eglise est fort sur les votes. Le commissaire de police note le 17 juin 1889 : "on sent que les élections approchent. Les curés, de leurs prônes, demandent instamment le réveil des catholiques". [81
Un rapport de police du 30 juin 1894 remarque que l’assas¬sinat du Président de la République, Marie François Sadi Carnot "a vivement et péniblement impressionné la population. Les dra¬peaux des édifices publics et des fonctionnaires ont été mis en berne." [82] Seule la congrégation des Frères Maristes n’a pas res¬pecté le deuil national. "Depuis hier, 7 juillet courant, à 4 heures du soir, la façade de l’établissement des Frères Maristes de Sommières est pavoisée de drapeaux aux couleurs nationales fran¬çaises et de diverses bannières et oriflammes. Dans la journée du 8 du même mois, leur musique a traversé la ville en jouant. Aucun de ces drapeaux ne porte le crêpe indiquant le deuil national. Le soir à 8h30, on tire un feu d’artifice dans le jardin desdits frères d’où l’on fait partir des fusées et des pétards." [83] Cette congréga¬tion est essentiellement vouée à la Vierge Marie. L’enseignement est leur activité principale. A Sommières, en 1891, ils dirigent une école libre. Leur influence est grande sur les familles de leurs élèves.

b) Le boulangisme

Il pénètre les idées politiques sommiéroises. Une coalition d’adversaires au régime républicain se constitue. Ils prônent un "refus de la République Parlementaire, retour à la souveraineté po¬pulaire, désir du progrès social, exaltation du sentiment national : Boulanger attire sur son nom les aspirations vagues des déçus de la politique opportuniste." [84
A Sommières, les partisans de Boulanger se font entendre. Le rapport de police établi le 13 juin 1889 note que "dans leurs ca¬fés, à qui voulait l’entendre, ils disaient que le régime de la terreur avait commencé et que quiconque inquièterait le Gouvernement se¬rait arrêté." [85
Plusieurs partisans de Boulanger sont arrêtés car ils sont ac¬cusés d’ "attentat à la Sûreté de l’Etat." [86
"Quelle mauvaise semaine avons-nous passée !!! Si cela devait durer les Républicains seraient très malheureux. Partout où l’on passe, l’on entend médire et débiter des injures à l’égard du Gouvernement… Les employés supérieurs sont traités de concus¬sionnaires, les Députés et les Ministres de malhonnêtes gens". [87] L’opposition est forte dans la communauté rurale. Le commissaire de police ajoute "nos bons réacs sont furieux…" [88] Selon les réac¬tionnaires, la liberté n’existe plus. Journellement, ils sont pour¬suivis et leur ami Boulanger est injustement accablé par la Haute-Cour : "persécuter l’homme qui veut tuer la République, quelle in¬famie." [89
Après le jugement, Boulanger est déclaré en août "coupable ou complice de complot et d’attentat contre la sûreté de l’Etat." [90
La réaction est vive dans les rues sommiéroises. Le commis¬saire de police remarque que "le clergé est boulangiste. Dans ma circonscription, il a défendu aux femmes de prendre part aux ré¬jouissances faites en l’honneur de l’anniversaire de la prise de la Bastille." [91

Depuis 1850, le comportement électoral de la communauté rurale a changé. Sous le Second Empire, seuls les notables s’inté¬ressent aux élections malgré l’instauration du suffrage universel masculin.
La Troisième République entraîne une modification dans le comportement des classes moyennes et défavorisées. Le conseil municipal élit son maire. La population se sent plus concernée. La classe moyenne participe activement à la vie communale. La poli¬tique fait désormais partie de la vie quotidienne. Les compte-ren¬dus des élections dressés par le maire attestent la participation croissante des cultivateurs et des artisans à la fin du XIXe siècle.
Dans un rapport du 7 avril 1890, le commissaire de police note "Monsieur le curé s’est fâché tout rouge contre les hommes qui désertent de plus en plus le lieu saint". [92
La fréquentation des urnes progresse mais celle de la messe régresse.
La République est acceptée par la population. Seule, une mi¬norité très active s’oppose à ce régime. La majorité des élus muni¬cipaux se déclare de gauche avec des tendances socialistes. Cela conforte l’image du Midi rouge à la fin du Siècle.

C. L’impact de l’école

La Troisième République, avec Jules Ferry, ouvre les portes de l’école laïque à tous les enfants, gratuitement.

1. L’héritage scolaire à la veille de la Troisième République.

En 1833, la Loi Guizot donne une impulsion nouvelle à l’instruction publique. Désormais, chaque commune est tenue de contribuer, seule ou associée à une commune voisine, à l’entretien d’une école primaire. "Une école quelle qu’elle soit : les municipalités sont libres de la confier à des religieux ; une école à financement incomplet : les élèves doivent payer, et la gratuité pour les indigents, à la charge de la mairie, est facultative." [93]
En 1834, le nombre d’enfants ne recevant d’instruction pri¬maire, ni dans les écoles publiques ni dans les écoles privées, est de 65 [94].
En 1867, il existe 4 écoles pour garçons :

 L’école communale catholique, dirigée par six Frères Maristes est fréquentée par 140 élèves dont 24 appartiennent à des familles indigentes.

 L’école communale protestante reçoit 30 enfants.

 Le Collège, établissement diocésain dirigé par des Ecclésiastiques, accueille des externes et des pensionnaires.

 L’Ecole Libre ouverte par le Sieur Barbut, instituteur auto¬risé, reçoit environ 50 élèves. [95

Il existe également 2 écoles pour filles :
– Le Couvent des Dames Ursulines, Pensionnat et Externat, admet gratuitement les jeunes filles appartenant à des familles pauvres sans que la commune intervienne dans cette gratuité et ac¬corde le moindre secours.

 4 autres classes, dirigées par les Dames Veuve Gallié, la Dame Pascal, et les Demoiselles Marel et Vieljeux ne sont pas ré¬tribuées par la commune et se maintiennent moyennant les revenus de la rétribution scolaire.
Un cours d’adultes est également créé. Il montre l’intérêt porté à l’enseignement. La majorité des hommes et des femmes ne savent ni lire ni écrire.
Dans une lettre adressée, en 1860, au Préfet du Gard, le Ministre de l’Instruction Publique et des Cultes dresse un constat sur la situation de l’Instruction Primaire dans le département du Gard. Il écrit : "Je constate avec satisfaction que le nombre d’élèves s’est accru dans les écoles mais il est loin de représenter celui qu’on devrait y trouver d’après la population. Un cinquième des enfants reste encore privé de toute instruction, d’un autre coté parmi ceux qui suivent les classes, beaucoup ne paraissent que quelques mois dans l’année. Cette situation est fâcheuse…" [96
Les enfants aident dès le plus jeune âge leurs parents dans les champs. Ils sont également employés dans les manufactures. Ainsi, ils apportent un complément aux salaires des parents. Le Ministre propose le système d’abonnement, qui selon lui, permet¬trait de fixer plus régulièrement les enfants à l’école.

Une allocation familiale est donnée aux familles indigentes afin que leurs enfants puissent recevoir un minimum d’instruction. Mais, la plupart des municipalités ne peuvent ou ne veulent aider financièrement toutes les familles.
Le conseil municipal établit une liste des enfants nécessitant l’aide scolaire. Les demandes de gratuité sont plus nombreuses. Elles sont justifiées par la mortalité de nos vignes et la rareté du travail.
En 1878, le conseil donne son approbation aux deux listes que le maire a dressées "de concert avec Monsieur le Curé pour l’école communale catholique et avec Monsieur le Pasteur pour l’école protestante, la liste des enfants catholiques à admettre gra¬tuitement à l’Ecole des Frères comprend 40 noms, celles des en¬fants protestants 11 noms." [97
Le conseil municipal demande, en 1879, une subvention de 25000 francs en raison "de l’état désastreux de notre agriculture, l’anéantissement de notre commerce et l’émigration toujours crois¬sante de nos populations constitue une lourde charge pour nos contribuables (…) ne permettent pas à l’assemblée, quelque intérêt qu’elle porte à tout ce qui touche l’instruction primaire d’imposer aux contribuables des charges nouvelles." [98
Le conseil municipal reçoit une lettre de l’Inspection Primaire demandant l’établissement d’une bibliothèque scolaire. Le maire accepte "considérant qu’il ne doit rien négliger pour ré¬pandre l’instruction, surtout en faveur des élèves indigents aux¬quels cette demande est spécialement applicable." [99

2. L’oeuvre de la Troisième République

Depuis la proclamation de la République, de nombreux ef¬forts sont faits en faveur de l’instruction primaire. L’école est obligatoire, laïque et gratuite.

a) La rénovation des bâtiments scolaires

Les communes empruntent pour acheter ou rénovent les bâ¬timents. "L’école catholique de garçons est entrée dans son ancien local, réparé, consolidé, approprié (…) On peut dire cependant que le local fréquenté est digne aujourd’hui de cette importante école. L’école communale protestante de garçons entrera le 1er janvier prochain dans le local neuf qui vient d’être construit et qui lui est destiné". [100
En 1880, Sommières ne possède pas encore une école com¬munale pour filles comme le prescrit la Loi du 10 août 1867. Le conseil municipal, pressé par l’administration supérieure, décide la création d’une école communale de filles pour combler cette la¬cune. "Pour répondre aux vues du Gouvernement de la République, pour continuer aussi l’oeuvre de Paix et de fusion des cultes si désirable quoique bien difficile à réaliser qu’à toujours poursuivie le conseil, il y a lieu de créer une école ouverte à toutes les élèves de la commune et par conséquent mixte quant au culte, qu’il importe cependant, en ouvrant cette école de ménager les préjugés ou des susceptibilités respectables et que le meilleur moyen d’atteindre ce but est de faire représenter ces deux cultes dans la direction de l’Ecole." [101

b) L’école gratuite pour tous

Le conseil municipal prend la décision le 14 novembre 1880 "de voter la gratuité". La liste des enfants à admettre s’allonge d’année en année. Selon le conseil municipal, c’est un remède à l’égalité devant l’école. "C’est que bien des parents que n’of¬fusque pas une déclaration préalable d’indigence profitent de la gratuité, tandis que d’autres plus pauvres, plus intéressants s’im¬posent des privations cruelles pour payer la rétribution scolaire, et souvent, ne pouvant y parvenir, la laissent au compte de la com¬mune ou retirent prématurément leurs enfants de l’école." [102
C’est un moyen pour soustraire les enfants de l’ignorance. Mais, le conseil municipal vote une imposition extraordinaire de huit centimes additionnels affectée à l’entretien des écoles gra¬tuites.
Les effets de la gratuité se font sentir immédiatement. "L’Ecole Communale Protestante qui comptait à peine 25 élèves, en compte aujourd’hui 80 environ… L’Ecole Communale Catholique qui compte environ 130 élèves a un personnel ensei¬gnant congréganiste composé d’un Directeur et de 10 adjoints." Devant l’inégalité des effectifs, le conseil municipal décide la créa¬tion d’un emploi d’instituteur adjoint à l’Ecole Communale Protestante.
La gratuité de l’enseignement ne satisfait pas toute la popu¬lation. "Les conservateurs étaient restés hostiles à la gratuité pour tous." Ils préfèrent la gratuité partielle. Ainsi, ils font oeuvre de charité. Ils ne considèrent pas la gratuité comme un service public résultant d’un droit des enfants. L’instruction absolument gratuite, écrit L’Univers le 28 mai 1880, est "destructive de l’autorité de la famille… S’il y a pour le père et la mère un devoir primordial, c’est celui d’élever leurs enfants… or l’instruction gratuite sous¬trait le père et la mère à leur première, à leur plus chère sollici¬tude… l’égoïsme prendra la place de la reconnaissance." [103

c) L’école laïque

Après avoir instauré la gratuité en 1881 dans les Ecoles Communales, Jules Ferry oeuvre pour instaurer la laïcité en 1882.
A travers les propos tenus par le maire, nous apercevons les effets de la politique menée par le Gouvernement en faveur de l’école laïque. C’est la lutte contre l’influence de l’Eglise.
La Loi du 28 mars 1882 sur l’enseignement primaire laïcise les programmes de l’Ecole Publique.
L’instruction religieuse ne fait plus partie des matières obli¬gatoires. Elle est désormais dispensée en dehors des heures de classe.
Le jeudi est libre pour laisser aux parents la possibilité de donner une instruction religieuse.
Désormais, c’est "l’instruction morale et civique" qui est de rigueur et non plus l’instruction morale et religieuse. [104
La lutte s’engage contre les congrégations. La Loi de 1886, dite Loi Goblet, demande que le personnel des écoles soit laïque. A Sommières, dès 1881, le conseil municipal demande la laïcisa¬tion de l’Ecole Congréganiste. "Un conseil municipal a le devoir de faire cesser autant que possible les divisions religieuses qui existent entre les enfants d’un même pays auxquels on doit inspi¬rer l’amour de la Patrie qui les rassemble et les unit, plutôt que l’amour des religions quelconques qui les sépare et les divise." [105] Les Petits Frères de Marie sont écartés de l’enseignement car ils sont suspectés d’influencer et d’émettre des idées politiques au travers de leur enseignement. "L’existence des Congrégations re¬ligieuses quelles qu’elles soient et quel que soit le but avoué ou ca¬ché, qu’elles poursuivent, est incompatible avec l’existence d’une République vraiment démocratique." [106
En 1905, c’est la fermeture du Couvent des Ursulines. "Monsieur le Président expose que l’application de la loi sur les congrégations enseignantes frappe le couvent des Ursulines de notre ville. La fermeture de cet établissement amène sûrement à l’école publique de filles un supplément de 40 à 50 élèves." [107
Devant le succès de l’école républicaine, le conseil municipal demande la création d’un cours supplémentaire d’instruction pri¬maire supérieur.
A la fin du siècle, les demandes de bourses pour entrer à l’Ecole des Arts et Métiers d’Aix se multiplient auprès du conseil municipal.
Des classes primaires de vacances sont également créées. La première demande a lieu en juillet 1897. Le conseil municipal ac¬cepte "en considérant que la classe de vacances est d’une utilité in¬contestable, et qu’en définitive les maîtres, les élèves et leurs pa¬rents y trouveraient tous leurs comptes." [108
En 1905, une classe maternelle de vacances est ouverte. "En présence de nouvelles instructions qui étendent aux écoles mater¬nelles les mêmes attributions des autres écoles en ce qui concerne les congés annuels, une classe de vacances pour les élèves de la salle d’asile de Sommières devient une nécessité absolue, pour prévenir les accidents de la rue auxquels ces petits enfants sont ex¬posés et permettre aux parents de se livrer sans crainte aux travaux des vendanges qui en cette saison occupent tous les bras." [109
Le Certificat d’Etudes Primaires est institué par la Loi du 28 mars 1882 : "Art.6 : (…) Il est décerné après un examen public au¬quel pourront se présenter les enfants dans l’âge de 11 ans. Ceux qui, à partir de cet âge, auront obtenu le Certificat d’Etudes Primaires seront dispensés du temps de scolarité obligatoire qui leur restait à passer." [110
Paysans et artisans sont fiers de leurs enfants lorsqu’ils ob¬tiennent le Certificat d’Etudes.

d) L’enseignement républicain

D’après la Loi du 28 mars 1882, le programme est le suivant : "L’enseignement comprend l’instruction morale et civique, la lecture et l’écriture, la langue et les éléments de la littérature fran¬çaise, la géographie, particulièrement celle de la France, l’Histoire, particulièrement celle de la France jusqu’à nos jours, quelques no¬tions usuelles de droit d’économie politique, les éléments des sciences naturelles, physiques et mathématiques, leurs applications à l’agriculture, leur hygiène, aux arts industriels, travaux manuels et usage des outils des principaux métiers. Les éléments du dessin, du modelage et de la musique ; la gymnastique ; pour les garçons, les exercices militaires, pour les filles, le travail à l’aiguille." [111
C’est un enseignement de base. Le but pédagogique de l’en¬seignement est d’apprendre l’écriture et la lecture, puis transmettre les notions de progrès dans l’agriculture et l’industrie. Il s’agit de faire évoluer l’enfant hors des traditions ancestrales qui régissent la vie communautaire.
Le Français est enseigné. Le patois local recule. Les mentali¬tés évoluent malgré des résistances.
La Caisse des Ecoles de Sommières, créée par la Loi du 28 mars 1882, a pour objet de "donner gratuitement à tous les élèves des Ecoles des livres et fournitures de classe par des récompenses, sous forme de livres utiles et de Livrets de Caisse d’Epargne, aux élèves les plus appliqués, et par des secours aux élèves indigents ou peu aisés en leur distribuant des vêtements et des chaussures et pendant l’hiver des aliments chauds" [112].
L’Ecole républicaine a une double vocation, celle de donner une instruction à tous les enfants, mais aussi de les aider matériel¬lement.
Des prix sont distribués aux instituteurs et aux élèves. La Société d’Agriculture du Gard distribue des prix à l’enseignement primaire agricole. Il s’agit de favoriser le développement de l’en¬seignement de l’économie rurale. La Société d’Agriculture du Gard peut ainsi développer le progrès agricole chez les enfants is¬sus de famille paysanne. Ainsi, elle familiarise les enfants aux nouvelles méthodes de travail.
Parfois des dons d’argent complètent la distribution des prix. En 1904, M.Lombard Armand et Mme Amélie Dumas déci¬dent de perpétuer "le souvenir du savant géologue Emilien Dumas, leur père et beau-père et de stimuler l’émulation dans les écoles primaires laïques de Sommières." Le don est de deux mille francs placé en deux livrets à la Caisse d’Epargne de Sommières. Le prix est destiné aux élèves les plus méritants.
L’instituteur est très estimé dans la commune. Un instituteur a "rempli gratuitement pendant 4 ans de 1847 à 1851 les fonctions d’agent comptable de la Caisse d’Epargne de Sommières." [113] Il est l’homme cultivé. Il prône les idées républicaines et s’oppose au curé.

CONCLUSION

Sommières et les Sommiérois ont subi depuis 1850 les conséquences des évolutions économiques et sociales nationales.
En 1850, Sommières offre un exemple de campagne "indus¬trialisée". Mais, ses activités manufacturières n’ont pu résister à la modernité apportée par la Révolution Industrielle. L’activité textile est en perte de vitesse. La concurrence des produits de meilleure qualité et moins chers, l’oblige à fermer les portes de ses manufac¬tures.

L’agriculture reste, dans un premier temps, un complément de l’activité industrielle. Elle accroît son importance dès 1850 avec le déclin industriel. De la polyculture traditionnelle, elle s’oriente vers la monoculture viticole lors de l’Age d’Or. Cette transforma¬tion est lente à se réaliser. Elle est contrée par l’invasion du phyl¬loxéra puis par les crises conjoncturelles du début du XXe siècle.
En 1914, il est exagéré de dire que les paysans sommiérois se sont totalement convertis à la culture de la vigne. Les champs de blé, les olivettes, les arbres fruitiers et l’élevage ovin résistent toujours.
Distant face aux nouvelles méthodes de travail, le paysan n’hésite pas à descendre dans la rue pour suivre les grands pro¬priétaires afin de défendre les intérêts de la vigne. La Révolution française a offert le droit de propriété. Cependant, le paysan ne peut se détacher des traditions communautaires.

L’avènement du chemin de fer permet à la ville de Sommières de développer de nouvelles fonctions. Elle s’affirme comme ville commerciale. Elle est un pôle d’attraction pour les villages environnants. La Vaunage, centre agricole dynamique, apporte sa production de vins. Sommières se trouve au centre d’un réseau de chemin de fer en étoile ouvert vers le marché national.
Le rail permet à la communauté rurale de découvrir la France. Le service militaire oblige le jeune homme à voyager.
Les lieux d’échange se multiplient. Les fêtes rythment la vie. Les hommes vont aux cafés et dans les cercles. On y parle poli¬tique. Le suffrage universel permet aux classes pauvres de partici¬per à la vie communale. La République offre des sièges de conseillers municipaux aux artisans et paysans.
Les distractions se multiplient. Le théâtre et le cinéma font leur apparition.
Le patois recule devant le Français. L’école laïque, obliga¬toire et gratuite, de Jules Ferry offre un minimum d’instruction.
La pratique de l’Eglise recule. Elle est désormais une affaire de femmes et d’enfants, selon les hommes.
Le maire et l’instituteur sont les principaux acteurs de la communauté rurale. Ils prônent les idées républicaines.

Les Sommiérois nous apparaissent comme des hommes ayant fort caractère. Ils sont appelés "li reboussié" [114] c’est-à-dire ceux qui sont systématiquement d’un avis contraire. Selon la po¬pulation, ce sobriquet ne s’adresse qu’aux habitants du faubourg de la rive droite de Vidourle. Ils sont également nommés "passe¬roun" [115], moineaux fantaisistes qui paraissent n’avoir aucune ligne de conduite bien définie.
Cependant, "les Sommiérois songèrent toujours à l’intérêt supérieur de leur petite patrie. Désunis dans leurs croyances, ils se trouvèrent toujours unis chaque fois qu’il fut nécessaire de dé¬fendre leurs privilèges et de sauvegarder les intérêts de leur loca¬lité." [116

Cette période étudiée est un choc entre deux civilisations, une héritée des ancêtres et l’autre née de la civilisation urbaine.
La Belle Epoque constitue pour la communauté rurale une croisée des chemins. Le passé est étroitement présent au sein de la communauté ébranlée au terme d’un siècle de modernité.
En 1914, la communauté rurale est ballottée entre les résis¬tances du passé et les séductions de la nouveauté.
Le paysan et le petit artisan se trouvent mal à l’aise face à cette modernité inadaptée qui leur demande de devenir un autre. Ils ont peur de perdre leurs racines qui les relient profondément à la terre.

Sommières apparaît déchue de ses anciennes fonctions héri¬tées du passé. Son industrie a disparu. Son agriculture est en crise. L’activité commerciale subit de plein fouet ces malaises.
A la veille de la guerre, la modernité n’a pas convaincu le paysan et l’artisan. Seuls, les grands propriétaires en profitent.

La communauté rurale sommiéroise est prête à s’engager dans la guerre pour défendre de pied ferme la Patrie sinon la République.

SOURCES

ARCHIVES DEPARTEMENTALES DU GARD : A.D.G.

Série 1 M : Administration générale du département
Série 3 M : Elections
Série 4 M : Police
Série 6 M : Population, affaires économiques, statistiques
Série 7 M : Agriculture, eaux-et-forêts
Série 8 M : Commerce et tourisme
Série 5 S : Chemin de fer
Série 8 J : Divers
Série T : Enseignement

ARCHIVES COMMUNALES DE SOMMIERES : A.C.S

Série 3 F : Agriculture
Série 8 F : Subsistances
Série I : Police
Série D : Délibérations du conseil municipal

BIBLIOGRAPHIE

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Georges DUBY, Armand WALLON, (sous la direction de) Histoire de le France rurale, Editions du Seuil, Collection Points Histoire, tome III, 1992, 1ere édition, 1976, 560 pages
Geneviève GAVIGNAUD, Les Campagnes en France au XIXème Siècle (1780-1914), Synthèse E.Histoire, Ophrys, Paris, 1990
Jean LEDUC, Histoire de la France : L’Enracinement de la République 1879-1918, Hachette, 1991, 238 pages
Louis-Henri PARIAS (sous la direction), Histoire générale de l’Enseignement et de l’Education en France, G.V. Labat, Paris, tome III, 1981,

Ouvrages régionaux : Le Languedoc

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Gérard CHOLVY, Le Languedoc et le Roussillon, Civilisations Populaires Régionales, Editions Horvath Roanne/Le Coteau, 1990, 531 pages
Raymond DUGRAND, Villes et campagnes en Bas-Languedoc, le réseau urbain du Languedoc médi¬terranéen, P.U.F., Paris, 1963, 636 pages
Daniel FABRE, Jacques LACROIX, La Vie quotidienne des paysans du Languedoc au XIXème Siècle, Hachette, 1973, 479 pages

Ouvrages sur le Gard :

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René BILLANGE, La Garrigue de Nîmes, Société Languedocienne de Géographie, 2ème série 1943, Montpellier, 248 pages
Claire TIEVANT, Vivre en pays gardois, I-D Program, Paris, 1984, 111 pages

Ouvrages sur Sommières :

F.AURIAC, F.CARRIERE, R.AUSTRUY, M.C.JUHEL, C.MASSADOR, B.PICCOLET, Sommières ou le renouveau d’un centre rural langue¬docien, Société Languedocienne de Géographie, tome XIV, 1970,
Emile BOISSON, De la ville de Sommières de¬puis son origine jusqu’à la Révolution de 1789, C.Lacour, Nîmes, 1995, 1ere édition 1849, 530 pages
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Ivan GAUSSEN, Les Foires et les Marchés de Sommières en Languedoc depuis leurs origines jusqu’à la Révolution, A.Chastenier, Nîmes, 1921, 256 pages
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G.GUIRAUDET, "La Révolte des vignerons 1907" dans Sommières et son histoire, n°1, 1993, p.56-76
G.GUIRAUDET, "La Révolte des vignerons 1907" dans Sommières et son histoire, n°2, 1994, p.81-109
Simone ROBERT, Etude d’une petite ville lan¬guedocienne, Société Languedocienne de Géographie, tome XXVII, 1956, 91 pages
Guy VIDAL, "La Bataille du rail" dans Sommières et son histoire, n°1, U.P.V., Montpellier, 1993, p.41-43
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