Sommières, place forte du Protestantisme, à la suite de la révocation de l’Edit de Nantes le 18 octobre 1685, a vu bien des familles de sa région se convertir sous la menace ou quitter les bords de Vidourle pour gagner le refuge en Allemagne, Hollande ou Suisse. Si nous avons retrouvé traces de certaines d’entre elles, en particulier les Gille ou Gillet, ancêtres maternels d’Henri Dunant, le fondateur de la Croix Rouge, la majorité des autres s’est fondue dans les pays d’accueil, et seules des recherches dans les Etats Civils étrangers pourraient nous mettre sur la piste des descendants de ces émigrés.
Lors d’une récente visite à Genève, nous avons été admis à pénétrer dans le plus ancien temple de la ville, connu sous le nom de "Temple de la Fusterie". Notre guide et amie nous a remis une très belle plaquette, illustrée de photographies en noir et blanc, mais aussi en couleurs, que nous avons immédiatement parcourue.1
Nous n’avons pas été particulièrement surpris de lire page 9 : "C’est un architecte huguenot français, Jean Venne qui dessina les plans de ce temple neuf" .
A la suite d’un après-midi passé en compagnie de M. Genequand archiviste adjoint de l’ Etat de Genève, et au cours duquel la conversation est allée bon train sur nos émigrés huguenots, nous avons reçu tout un dossier sur le fameux Temple Neuf qui comportait entre autres un article intitulé : "Jean Vennes et le Temple de la Fusterie à Genève". 2
Sous la signature de Livio Fornara nous pouvions lire : "La biographie de l’architecte Jean Vennes reste encore très fragmentaire. Pour l’heure, seuls, son testament et de brèves mentions dans les registres publics renseignent sur ce réfugié huguenot. Ainsi son lieu d’origine : SOMMIERES en Languedoc (département du Gard) Ou son âge : 63 ans, indiqué au registre des décès en date du 5 juillet 1717, ce qui fait remonter sa naissance à 1653 ou 1654…"
C’est donc un sommiérois qui avait dessiné les plans du plus fameux temple de Genève.
Le dossier comportait en outre une plaquette : "Le Temple Neuf de Genève. Notice Historique et Descriptive" par Camille Martin, publiée à l’occasion de la Vente pour la restauration du Temple de la Fusterie, 11, 12, et 13 octobre 1910. A cela s’ajoutaient la copie du testament de Venne3 ainsi que les photocopies de textes concernant la construction du temple.4
Notre premier travail a donc consisté à nous précipiter aux Archives Communales de Sommières et nous avons retrouvé l’acte de baptême dont voici le texte :
"Le dix huitième février 1652 a été baptisé Jean VENES fils de M. Jean VENES con..eur et damoiselle Marguerite DALLARD ; son parrain sieur Jean LIRON du Valeraugue, sa marraine damoiselle Françoise DALLARD au lieu et place de Mademoiselle DU CADAULHE."
Dans le même registre d’Etat Civil nous relevons à la date du 1er may 1650 la naissance d’une fille, Magdeleine ; en 1651, celle d’une autre fille (le registre est illisible). Il semble donc que le couple Jean Venes (né le 16/1/1608) et Marguerite Dallard ait eu trois enfants en trois années consécutives. Puis, plus aucune mention de cette famille.
Essayons de voir la situation politique de la France à la naissance de Jean.
Le 13 avril 1598 l’Edit de Pacification est signé à Nantes. Il est déclaré perpétuel et irrévocable. On y mentionne les droits et privilèges des protestants français, la liberté de conscience leur est concédée dans toutes les villes ou lieux du royaume et pays de l’obéissance du roi ; toutes les charges et dignités leur sont accessibles ; ils obtiennent pour huit ans une centaine de places de sûreté dont La Rochelle, Montpellier et Sommières.
Le 21 octobre 1652 Louis XIV et Anne d’Autriche qui avaient dû s’enfuir à cause de la Fronde des Princes dont Condé1 était le chef, regagnent le Louvre. Le jeune roi est âgé de 14 ans, âge de la majorité légale ; mais il laisse gouverner Mazarin.
En ce qui concerne Sommières, Boisson considère que ces années là sont des années calmes.2
Les premières mesures contre le Calvinisme datent de 1678. Venes est âgé de 27 ans. Ce n’est qu’en 1685, le 18 octobre que le roi Louis XIV révoque l’Edit de Nantes par l’Edit de Fontainebleau : pasteurs bannis, interdiction aux protestants de s’enfuir sous peine des galères, fermeture des écoles, démolition des derniers temples, baptême des enfants non catholiques…. Jean Venes est dans sa trente troisième année.
Est-ce à ce moment-là qu’il quitte Sommières ? A-t-il suivi des études d’architecture ? Nous l’ignorons absolument.
Revenons à l’article de Fornara.
"…Sa fille, épouse de Paul Saint-Hilaire, marchand de Montauban, demeure à Genève, tandis que Gotton, une autre fille également mariée, semble être restée à Sommières. Il teste en 1717, treize jours avant sa mort, en faveur d’un sieur de Saint Amans de Moissac, fils de son cousin germain, à qui il lègue tous ses biens laissés en France, dont ses droits sur trois offices de Conseiller du Roi et Contrôleur des Gabelles. Pour le peu de biens qu’il a pu retirer de sa patrie, il institue Adrienne Pictet, veuve de Barthélémy Huber, son héritière universelle, comme marque de l’estime particulière (qu’il a) pour elle.
Nous ignorons à quelle date il arrive à Genève, s’il quitte le Languedoc pour s’installer dans cette ville, ou s’il s’y établit au terme de pérégrinations hors de France. Il s’y trouve en 1700 (48 ans) puisque les autorités lui demandent cette année-là un projet de construction pour la salle du Conseil des Deux Cents. Nous ne savons rien non plus de sa formation d’architecte, ni s’il a pratiqué son art avant de gagner la cité du Refuge.
Seule nous est connue son activité d’architecte au service de la République. Une mention du 4 septembre 1708 le concernant, tirée du Registre du Conseil, résume cette carrière : plusieurs personnes considérant qu’il a rendu plusieurs services au public, soit dans la construction de l’Hôtel de Ville, soit dans celle de l’Hôpital, soit pour le Temple qu’on se propose de bâtir, et ailleurs ; par divers plans, élévations et modèles et autrement, croyaient que non seulement il y avait lieu de ne le point tirer dans la Cottisation 3 , mais encore de luy faire quelque présent. De ce opiné, a été dit qu’il falait faire quelque honêteté. Et dans un second tour sur la nature de ce présent a été dit que… considération faite de ses services et de ceux qu’on espérait encore recevoir de luy, on lui ferait présent de cinquante louis d’or, lorsqu’il aura donné les plans et élévationsqu’il s’est chargé de faire pour le temple de la Fusterie. 1
Lorsque les autorités décident, en 1700, de bâtir une grande salle d’assemblée pour le Conseil des Deux Cents 2 , elles en demandent les plans à Vennes et à deux autres architectes, Pierre Rabbi et Moïse Ducommun. Ceux de Vennes ne seront pas exécutés, mais il participe, par ses avis probablement, à la construction.
En 1706, il donne des conseils sur les achats de parcelles pour la reconstruction de l’Hôpital et fournit les plans d’une partie du bâtiment principal. Mais il n’oeuvre pas seul, et il est malaisé de délimiter la part de chacun des architectes qui travaillent à ce vaste chantier, dont Joseph Abeille et Moïse Ducommun. En revanche pour le Temple Neuf construit de 1713 à 1715, son rôle ne laisse pas d’équivoque : il est l’auteur des plans approuvés en 1708 déjà par les Conseils. Il dirige la construction.
Si on ne peut lui attribuer avec certitude l’idée de reprendre la conception générale du Temple de Charenton, construit par Salomon de Brosse en 1623 – 1624 pour la communauté parisienne et détruit en 1686, il lui revient d’avoir su bien adapter son modèle aux conditions locales.
Il est encore difficile d’apprécier l’influence qu’a pu exercer Vennes, tant parmi les architectes, les maîtres-maçons ou les ingénieurs genevois, que parmi les riches patriciens qui, à cette époque, font bâtir en ville et à la campagne. En effet, la construction publique ou privée est un secteur très actif à Genève au début du XVIIIème siècle. Pourtant on ignore s’il a exercé pour le compte de particuliers. D’autre part, il n’est pas, comme on l’a dit "qu’un architecte-dessinateur qui se bornait à étudier les projets", mais bien un architecte capable de dresser des devis et de diriger des constructions : ne dit-il pas à la Commission chargée du Temple "qu’il entreprendrait le tout et le rendrait parfait et entièrement parachevé pour vingt-quatre mille francs" 3 ."
C’est au commencement du XVIIIe siècle que naît l’idée de construire un temple protestant à Genève. Pendant plus de deux siècles l’Eglise Réformée avait utilisé les édifices religieux du Moyen-Age : Saint Pierre, Sainte Marie Madeleine, Saint Gervais ; Notre Dame la Neuve et Saint Germain n’étant utilisés que de façon temporaire. De plus le Consistoire4 constate que bien des Genevois ne vont pas au culte parce qu’ils prétendent ne pas entendre les sermons lorsqu’ils sont assis au fond des vieilles églises médiévales.
Seuls, les fidèles placés aux premiers rangs pouvaient aisément suivre les paroles du ministre. Désireux de remédier à cet état de choses, le Consistoire rédige en 1701 un mémoire "au sujet de l’établissement d’un quatrième temple" . Les spectables pasteurs Tronchin et Calandrini présentent au Conseil les voeux du vénérable Consistoire. Les magistrats approuvent la démarche des honorables délégués, mais ils ne leur donnent aucune satisfaction pour le moment. Et les choses en restent là jusqu’en 1708. Conformément à un usage, le 28 juin, le Conseil nomme une commission pour "examiner tous les moyens qui peuvent rendre cette construction avantageuse".
Leurs délibérations se résument dans les propositions suivantes :
bâtir dans la place de la Fusterie
le faire d’une façon octogone et ovale
sans clocher ni addition de bâtiments
de tirer les fonds nécessaires à cette construction du légat de M. l’ancien Syndic Lullin et des deniers publics
de mettre les places à prix plutôt que de faire une collecte
de n’y faire le prêche que le dimanche et le jeudi matin.1
La solution au problème architectural est fonctionnelle : aucune mystique ne devait conduire à une piété populaire entâchée de superstition. On s’est donc décidé pour un volume où le plus de monde possible devait pouvoir entendre les sermons dans les meilleures conditions. D’autre part, il fallait que ce lieu soit clair afin que toute lecture y soit aisée. Il fallait enfin que l’honneur du Dieu qu’on y adorait s’exprimât par une certaine dignité extérieure et intérieure.
Le registre porte que "Sur ce pied là, le N. Venne avait dressé un plan avec les élévations et profils, qu’il avait communiqué à la Commission ensemble un devis de toute la dépense qu’il coûterait à la réserve des bancs et de la chaire, ce qui n’allait qu’à 20 000f".
Fin 1713 les travaux commencent : l’emplacement choisi était précédemment attribué aux Fustiers : charpentiers, tonneliers. La place de la Fusterie descendait en pente douce vers le lac. On y accostait et y déchargeait les billes de bois, planches et autres matériaux. Il y a bien sûr quelques récriminations quand on apprend qu’on bâtira là un temple. Néanmoins, bien des charpentiers restent sur place.
On connaît les noms de ceux qui travaillèrent à l’édification du Temple : maçons, sculpteurs, charpentiers, menuisiers, tourneurs, serruriers etc… Outre un montpelliérain et deux nîmois, nous relevons parmi les menuisiers le nom de Jean Daudet, réfugié d’Aigues-Vives.
La construction du Temple coûta environ 144 500 florins ; on utilisa 30 000 florins provenant du legs Jean Antoine Lullin-Grenus, ancien Syndic. Une longue discussion conduisit le Conseil à se décider à vendre certaines places du Temple et à en louer d’autres. Ceci rapporta environ 11 000 florins.
Le reste a été payé sur les fonds publics. Pour essayer d’évaluer le coût du bâtiment nous pouvons indiquer qu’un setier de vin ( 54 litres ) valait de 6 à 40 florins selon les années ; une coupe de blé ( 80 litres ) valait entre 15 et 30 florins.
1 florin = 12 sous ; 1 sou = 12 deniers.
Le salaire d’un manoeuvre s’élevait entre 28 et 30 sous par jour et il consommait en famille en moyenne pour 4 à 5 sous de pain (env. 1kg) et pour 7 à 10 sous de viande.2
Pour le service du Temple on nomma deux pasteurs : "les spectables Lefort et Gallatin auxquels étaient ajoutés un marguillier, un chantre et un lecteur.3 … Chaque dimanche il y avait deux sermons et un le jeudi matin ; les lundis et vendredis soir un pasteur faisait les services ordinaires, et un autre se chargeait des prières des mardis, mercredis et samedis soirs.
La dédicace du Temple a eu lieu le 15 décembre 1715 lors d’un culte mémorable présidé par le pasteur Bénédict Pictet.
La dernière restauration a eu lieu de 1975 à 1977 et les bancs ont été remplacés par des chaises afin de rendre le Temple polyvalent pour des manifestations musicales, artistiques et sociales."4
Plusieurs orgues ont été installées dans le Temple de la Fusterie. En 1760, c’est Samson Scherrer, facteur d’orgues saint-gallois établi à Genève qui construit le premier dont on ne possède qu’une gravure des années 1820. En 1834 c’est Sylvestre Walpen de Sierre qui fournit le nouvel orgue dont les devis ont été conservés aux Archives d’Etat. Il consistait en 2 claviers de 54 touches, un pédalier de 17 notes, 4 soufflets de 8 pieds sur 4.
Vers la fin du siècle on estima que l’orgue de Walpen avait fait son temps et on s’adressa à la maison Kuhn de Zürich. Le nouvel instrument fut logé dans l’ancien buffet légèrement élargi. L’instrument qui comportait 13 jeux sans adjonction possible aurait été présenté par le constructeur lors de l’Exposition Nationale de 1896.
En 1910 on confia des travaux d’agrandissement de l’orgue à la maison Tschanun de Genève. Il comporta désormais 3 claviers de 56 notes et un pédalier de 30 notes.
La décrépitude du temple, tant intérieur qu’extérieur, constatée depuis longtemps, provoqua la constitution d’ "un Comité pour la restauration du Temple de la Fusterie". Une première campagne de travaux étant en cours on aborda le problème de l’orgue qu’il fallait reconstruire. C’est un jeune facteur d’orgues de Carpentras, Pascal Quoirin, qui fut retenu pour ce travail. Le contrat fut signé en 1976 et l’inauguration eut lieu le 24 juin 1979.
L’instrument de type "classique français" comporte 35 jeux et lorsque Pascal Quoirin le construisit, il n’en était qu’à son deuxième instrument, en tant qu’artisan indépendant.
Le Temple de la Fusterie est donc le premier édifice religieux construit à Genève après la Réforme ; son plan est un rectangle de 28, 65 m x 16 m à l’intérieur. Il forme un unique vaisseau, entouré sur ses quatre côtés d’une galerie sur colonnes. L’influence du temple de Charenton s’y fait sentir. Dans un manuscrit anonyme de 1732 on peut lire : "L’architecte qui en a donné le plan et qui a conduit l’ouvrage est Monsieur VEINE, Réfugié" . L’auteur ajoute dans la marge que "ce temple a été construit sur le modèle de celuy de Charenton, avec cette différence que dans le temple de Charenton il y avait un double rang de galeries qui régnait tout à l’entour, au lieu que dans celuy de Genève il n’y en a qu’un."
Livio Fornara termine ainsi son article : "Toutefois , le fait que les autorités genevoises confient la construction de cet édifice symbole, ce monument au sens premier du terme, à un réfugié huguenot, prend dès lors une signification particulière, où l’on ne peut manquer de voir comme un geste politique, à la fois de reconnaissance envers le refuge français, et d’affirmation de foi protestante et de fraternité coreligionnaire."
Jean VENES1 est donc décédé le 7 juillet 1717 à l’âge de 65 ans. Nous connaissons son testament rédigé treize jours avant sa mort et dont voici le texte :
"Au nom de Dieu, amen. Comme il est ordonné à tous les hommes de mourir une fois et que l’heure de la mort estant incertaine, il est de la prudence de ne pas attendre trop longtemps à régler la disposition de nos biens telle que nous souhaitons qu’elle soit après notre vie, c’est pourquoi, moi Jean Véne soussigné, de la ville de Sommières en Languedoc, demeurant présentement en cette ville de Genève, me trouvant par le vouloir de Dieu atteint de maladie corporelle, et néantmoins par sa grâce de bon sens, mémoire et entendement, je dispose par mon présent testament de ce que je pourray laisser par mon décès ; et comme par cet acte je rappelle particulièrement dans ma pensée l’approche continuelle de ma dernière heure et le besoin que j’ay que Dieu me regarde en sa grande miséricorde, je luy demande avec une profonde humilité le pardon de tous mes péchés, et je le prie avec toute l’ardeur dont je suis capable de m’accorder le secours de sa grâce pendant le reste de ma vie et surtout dans mes derniers moments, et de me faire ressentir l’efficace de la mort de mon Sauveur Jésus Christ.
Je luy rends grâce de toutes les puissances de mon âme de ce qu’il m’a fait subsister hors de ma patrie avec le peu de bien que j’en ay pû retirer, duquel et de tous ceux que je pourrais avoir, ma disposition est telle qu’il suit : Je donne aux pauvres de l’Hôpital de cette ville cinquante livres, à ceux de la Bource françoise 2 cent livres, le tout payable un an après mon décès ; je donne millelivres pour faire aprendre des métiers à des enfans l’un et l’autre sexe qui n’auront pas le moyen de le faire par eux ny par leurs parents, le tout à la pure disposition et prudence de mon héritière sous nommée ; je donne à Monsieur de St Amans de Moissac second fils de feu Monsieur Pellet de Moissac mon cousin germain demeurant audit Sommières, tous et chascuns, les biens que j’ay laissés en France, comme aussi les droits et prétentions que je puis avoir sur les trois offices de Conseiller du Roy et Contrôleur des Gabelles et autre offices audit Sommières, qui ont esté ci devant possédées dans ma famille par mes devanciers et par moy, et je veux qu’une cassette qui se trouvera chez moy, et dans laquelle sont les papiers et titres concernant les dits biens et offices, luy soit envoyée après mon décès.
Je donne encore à Monsieur de St Amans de Moissac deux cents livres, monnoye de France, payables six mois après mon décès pour les employer à une pièce d’argenterie telle qu’il luy plaira. Je donne à Monseigneur Jacques Deraussin de la ville de Sommières, la joyssance pendant sa vie du logement qu’il occupe dans ma maison audit Sommières ; je donne encore audit Sr Deraussin pour luy et les siens, ma portion d’une quittance de finance de trois Minots 1 de franc salé acquise cy devant des héritiers du Sr Pontaud de Lunel sous le nom du Sr Brun de Montpellier, et au fils aîné du dit Sr Deraussin je donne cent livres monnoye de France payable un an après mon décès.
Je donne à Messieurs Jean et Pierre Cazalet mes correspondants à Londres, vingt livres sterling dont ils se payeront par leurs mains sur les revenus que j’ay en Angleterre, dont ils ont la direction. 2
Je donne à Monsieur Georges Boscher une petite bouteille d’argent où je tiens de l’eau de vie, ma boëtte d’argent où je tiens du Laudanum 3 et quarante écus blancs pour une bague. Je donne à Monsieur Christoffle Caminade d’Italie et demeurant en cette ville cent cinquante livres payables six mois après mon décès, et une part de mes habits, linge et autres nipes servant à porter sur moy, voulant que l’autre partie soit distribuée à des personnes nécessiteuses, et que tout le dit partage soit fait au choix, direction et pure volonté de mon héritière sous nommée.
Je donne à Mademoiselle Isabeau de Marc de la Calmette cent cinquante livres pour une pièce d’argenterie. Je donne à mademoiselle Louyse Bonnet aussi cent cinquante livres pour une pièce d’argenterie, et à dame Aubert de Roux de la ville de Montpellier demeurant chez monsieur du Crest, semblable somme de cent cinquante livres pour une pièce d’argenterie. Je donne à mon bon ami Mr Jean Scipion Peyrol la bague que je porte qui est d’une seule pierre de saphir, mes livres de mathématique et une sphère du système de Ptolémée.
Item je donne à damlle Gilette Brun fille de déffunt Mr Brun, autrefois ministre de l’Eglise Réformée de Sommières deux mille livres argent content monnoye courante payable un an après mon décès et deux cents escus en meubles ou argenterie à l’estimation de mon héritière. Item je donne à Marguerite Borel ma servante présentement à mon service, douze escus blancs en argent contant outre les salaires qui luy seront dubs, un aulmoire (une armoire ou un coffre) de ceux qui sont dans ma cuisine à son choix, le lict où elle couche avec les draps, couvertes et appartenances, six serviettes et une nappe linge drappier et six assiettes d’estain.
Et d’autant que le fondement d’un testament est l’institution héréditaire, en tous mes autres biens généralement quelconques dont je n’ay cy dessus disposé ny fait mention, je fais et institue pour mon héritière seule et universelle Dame Adrienne Pictet, vefe de Mr Hubert, pour une marque de l’estime particulière que j’ay pour elle, par laquelle ma dite héritière : je veux et entends mes debtes et legs estre payés en paix et sans figure de procès, et mon présent testament accompli, cassant, revoquant et annulant tous autres testaments, codicilles, donnations et autres dispositions à cause de mort que je pourrais avoir cy devant faict, voulant que le présent soit le mien dernier et seul valable, que ne valant par testament il vaille par codicille et par tous les meilleurs moyens qu’il pourra et devra mieux valoir de droit, priant nos Magnifiques et très honorés Seigneurs soit Monsieur le Lieutenant et Messieurs les Auditeurs de la Justice de cette ville de le vouloir insinueret homologuer afin qu’il ayt lieu et porte son effect pour estre telle ma volonté que j’ay dictée et faict écrire à Monsieur Jean Girard notaire de cette ville et après l’avoir leu et trouvé conforme à ma volonté je l’ay signé et faict signer audit Girard.
Faict à Genève le vingt deuxième juin 1717.
Double à Monsieur de St Amans de Moissac ; double à la dite dame héritière instituée.
Homologation du Lieutenant et Auditeurs du droit et sommaire justice de Genève."
Ce testament d’une grande sérénité nous renseigne quelque peu sur Jean Venes. Sans être riche, il a une vie certainement assez confortable. Il n’oublie personne et lègue à sa famille, à ses amis, à sa servante, à de bonnes oeuvres. La maladie qui l’emporte relativement jeune n’affecte ni ses qualités intellectuelles, ni ses qualités morales.
Mais surtout il nous permet de comprendre l’abréviation inscrite sur son acte de baptême et concernant la profession de son père : con…eur, que nous interprétons par "contrôleur". En effet il parle des "trois offices" qui ont été possédés dans sa famille par ses devanciers et par lui-même. Il existait bien un contrôleur du grenier à sel qu’il faut différencier de celui qui en avait la ferme. La charge semblait donc héréditaire.
Enfin il lègue quelques livres sterling sur les revenus qu’il possède en Angleterre. Il a donc séjourné dans ce pays. Mais y a-t-il appris son métier ?, l’y a-t-il exercé ? Les genevois sont-ils allés l’y chercher ? Jouissai-t-il d’une certaine réputation ? A ces questions, nous ne pouvons répondre. Il est âgé d’environ quarante cinq ans lorsqu’il commence à travailler pour le refuge.
Quoi qu’il en soit, Jean Venes a quitté Sommières parce que les revenus de sa famille le lui ont permis ; il a effectué des études et exercé une très honorable profession. Il est l’exemple type de ces émigrés huguenots, qui ont refusé d’abjurer leur religion, qui se sont expatriés et qui ont fait la richesse intellectuelle autant qu’économique des pays tolérants qui ont su les accueillir.