Etienne Giry fit imprimer à Lyon en 1578 l’histoire des deux sièges de Sommières. Lorsque les protestants commandés par Antoine Dupleix, dit le Capitaine GREMIAN, le 6 novembre 1572, surprirent et attaquèrent Sommières, Giry aurait été tué par quelques soldats si Grémian lui-même n’était intervenu et ne lui avait sauvé la vie.
Les faits racontés dans ce document, dont nous emprunterons de larges extraits, sont précis et détaillés quand aux lieux et aux personnes.
Pour une compréhension plus facile, nous conseillons au lecteur de se reporter au plan dessiné par « Jehan le Feure, tailleur d’histoires en rue Thomassin à l’enseigne des trois crascant (croissant) à Lyon. »
Dans la nuit du 24 au 25 Août 1572 se déroulèrent les Massacres de la Saint Barthélémy au cours desquels des protestants furent exécutés à Paris et en Province à l’instigation de Catherine de Médicis et des Guises, inquiets de l’ascendant pris par l’amiral de Coligny sur le Roi Charles IX et de sa politique de soutien aux Pays-Bas révoltés contre l’Espagne. Il y eut environ trois mille victimes.
Les habitants de Sommières, en majorité protestants, apprirent ces massacres et en furent grandement scandalisés. Le capitaine Poget, viguier1 de la ville, et quelques catholiques s’enfermèrent dans le château. Les protestants prirent les armes et montèrent la garde au milieu de la place du Marché.
Villeneuve, lieutenant de Joyeuse2, arriva alors de Montpellier avec une compagnie de gendarmes. Il fit aller le Seigneur de Montalet et sur le rapport de celui-ci, il résolut d’envoyer une compagnie de gendarmes en garnison au château.
C’est ce qui engagea les habitants protestants à se retirer à Anduze, Sauve et dans les Cévennes.
Après leur départ arriva la susdite compagnie d’armes de Monsieur de Joyeuse sous la conduite de Monsieur de Montpeiroux avec cent soldats ramassés dans les faubourgs de Nîmes par son lieutenant, Combes, grenetier de cette ville.
« Les réfugiés protestants de Sommières, informés, travaillèrent aussitôt à former des intelligences pour y pénétrer (dans le château) et en chasser les hommes d’armes et les archers de Joyeuse.
Pour cela, ils levèrent 500 hommes qui se trouvèrent prêts le 5 novembre 1572, vers minuit, du côté du château, en un petit vallon à quatre portées d’arquebuse1 de la ville.
Sur les dix heures du matin suivant, ceux de leur intelligence vinrent leur dire qu’ils étaient maîtres du château et que la fausse porte2 était rompue. Comme elle était très étroite, ils ne pouvaient entrer qu’à la file.
Le lieutenant Poget criait au secours du haut de la tour où il s’était réfugié, mais comme c’était l’heure de dîner (déjeuner), l’on fut longtemps à l’entendre.
Enfin Montpeiroux, accompagné de trente hommes de la compagnie et de quelques catholiques s’approcha du château et vit entrer tranquillement les protestants.
Il n’avait qu’une seule arquebuse dans sa troupe. Avec quinze hommes il aurait été aisé d’empêcher les protestants d’entrer, en tirant droit sur la fausse porte, d’une guérite installée par le Sieur de Castres, gouverneur de la ville, lors de précédents troubles.
Poget qui criait toujours du haut de la tour, ne voyant point venir d’aide, se rendit aux protestants. Ceux-ci l’enfermèrent dans une chambre du château et l’y gardèrent sept à huit jours. Après quoi ils le laissèrent sortir avec une méchante épée ; il se retira à Fontanès, village du Seigneur de Combas.
A Sommières, les protestants ayant déjà gagné la porte du Pont, Montpeiroux surpris, dut gagner la Tour de l’Horloge sur le dit pont.
Le juge, réfugié chez un avocat, fut massacré dans la salle de sa maison. »
Etienne Giry, avocat de Sommières, l’auteur de cette relation, menacé par des soldats qui « lui portaient le couteau à la gorge », fut sauvé par Grémian qui commandait la troupe ; averti, il accourut aussitôt dans la maison de son ami et lui sauva la vie.
« Ceux (les catholiques avec Montpeiroux) qui s’étaient réfugiés dans la Tour de l’Horloge subissaient les canonnières que les protestants avaient installées dans les maisons voisines et le feu entretenu continuellement sous la voûte dont la fumée montait par le trou du contrepoids.
La braise et les charbons ardents avaient trois pieds3 de hauteur et les assiégés ne respiraient que par une ouverture faite par une hallebarde4 qu’un catholique avait prise avec lui en se retirant.
Montpeiroux, mal à l’aise dans cette tour, résolut après trois jours de réflexion de se sauver et tenta une sortie pour aller chercher du secours.
Armé de son épée il descendit l’escalier à vis fort étroit jusqu’auprès du feu où se tenait un garde, côté ville. Il y sauta dedans et le traversa le plus vite qu’il put.
Parvenu sur le pont il se laissa aller par un créneau sur une des ancoules ;5 tout chaussé et vêtu, il traversa l’eau et se sauva à Fontanès.
Ceux qui restaient dans la Tour, pressés par le feu et la fumée, se rendirent, à condition d’avoir la vie sauve, à Gremian, qui les fit descendre par des échelles et tint exactement parole. »
1573
Damville6, qui était alors à Beaucaire, averti de la prise de Sommières, résolut de reprendre la ville. Par ordre du Roy, la reprise fut résolue à Montpellier en janvier 1573.
« Les munitions et les vivres assemblées, (au passage) le château de Calvisson fut pris par composition2 après un siège de quelques jours ; fut pris le lieu de Montpezat, par hostilité et force de canon, où il y eut grand massacre et pillage de biens. »
L’armée du roi, composée de quinze à vingt mille hommes, huit pièces de canon, six grosses couleuvrines3, quelques mousquets4 et trois petites pièces, montées sur roues, investit Sommières le mercredi 11 février 1573.
« Il n’y avait dedans que trois cents hommes de guerre, sans pièces ni canon et des laboureurs et paysans des villages voisins qui firent bien leur devoir aux réparations et à jeter des pierres.
Sommières est située sur une montagne fertile en fontaines et fruits du côté du levant ; au couchant elle regarde sur une rivière qui passe tout le long du mur de la ville ; elle vient des Cévennes et s’en va dans la Mer d’Aigues-Mortes : le Vidourle.
La ville est faite en triangle ; sur le plus haut de la montagne est le château qui la domine. Composé avant ce siège de deux vieilles tours carrées, aussi long que toute la ville, il est environné de deux murailles.
Outre la basse-cour il y a un grand circuit qui, avant les guerres était planté de grands arbres et de lauriers, tout rempli de terre du côté de la ville.
Vers le levant est le rocher tout à l’entour, de plus de douze pans5 ; sur la terre on a planté autrefois de la vigne : et c’est pour cela qu’on l’appelle encore La Vignasse. Ce château était ancien édifice, qui avait été, jadis, attaqué par les anglais.
Le maréchal Damville fit dresser la batterie de quatres pièces sur le côteau de la montagne, que l’on monta avec beaucoup de peine, contre le milieu du château, entre les deux tours, par derrière, du côté du levant.
L’attaque de la ville du côté du moulin (de la Grave) qui sert de mur vers la rivière, aurait été beaucoup plus aisée et plus prompte.
Quand la brèche, qui avait vingt pans d’ouverture, fut faite, un secours de quatre vingts hommes entra dans la ville ayant traversé le quartier des Gascons6 et passé la rivière chaussés et vêtus.
L’on tira ensuite contre la Tour la plus proche de la brèche (elle avait neuf pieds7 d’épaisseur), avec sept pièces de batterie, qui tiraient tout à la fois et la prenaient en courtine8, tant bas qu’elles pouvaient battre9.
Elle fut abattue en un jour et demi ; elle tomba le mercredi 18 février à dix heures du matin, tout entière et sans se séparer en morceaux jusqu’à ce qu’elle touchat terre.
Sa chute rendit la brèche moins praticable, mais, malgré cela, on résolut de donner l’assaut.
Monsieur de Montpeiroux, le capitaine Limans, Autremencourt et d’autres capitaines étant montés sur la brèche, furent tués avec plusieurs soldats.
Le maréchal Damville, la maréchale, la comtesse de Tende et plusieurs autres dames regardaient donner cet assaut.
Autrementcourt, comme le plus jeune, fut le plus plaint ; le maréchal ayant fait porter son corps à Montpellier, le fit enterrer honorablement.
Celui de Limans fut tiré par les assiégés et pendu à un créneau de la muraille. Gremian fit enterrer celui de Montpeiroux dans Sommières, à la mode des protestants.
Les assiégeants, voyant qu’ils n’avançaient pas du côté du château, et que la chute de la Tour les empêchait, firent passer quatre canons à la plaine de la ville, près de la rivière, pour abattre le mur près d’une petite tour qui faisait le coin1.
Alors tous les habitants de Sommières, hommes, femmes et petits enfants, remplirent le derrière du mur de gabions et firent des fossés en dedans. La brèche se trouvait de trente pas le 3 mars.
Les armées du Roy donnèrent trois assauts, deux à cette brèche, et l’autre au château ; mais les assiégés les repoussèrent avec arquebusades, pierres, pots à feu et sarments ardents.
Plusieurs femmes étaient habillées en hommes, avec panache fait de papier.
Les deux couleuvrines du château battaient en courtine dedans la ville, et à chaque coup, emportaient cinq ou six personnes de ceux qui travaillaient à fortifier la brèche.
En cette brèche de la ville fut blessé le Comte de Candale, qui, par trop grande hardiesse, était monté tout armé sur le plus haut, où il reçut un coup d’arquebuse, qui lui entra dans la bouche pendant qu’il criait aux soldats. On le porta tout blessé à Montpellier où il mourut bientôt, fort regretté du maréchal Damville, son beau frère.
Les assiégés n’avaient ni huile, ni viande et ne mangeaient que du pain boulli. Ils avaient encore du blé et du vin, mais ils manquaient de munitions de guerre. Dans Sommières ils n’avaient point de souffre pour fabriquer de la poudre à canon.
Quelques jours après, six hommes traversèrent de nuit le Vidourle à la nage, une bouteille attachée par derrière, bien couverte et pleine de souffre. Cinq entrèrent dans la ville ; l’autre se rendit et fut mené le lendemain au maréchal Damville, logé à Villevieille, qui le loua beaucoup et le renvoya là d’où il venait.
La garnison protestante se voyant hors d’espoir d’être secourue délibéra de parlementer et fit faire une seconde chamade2 par un trompette du côté de la Vignasse. Le capitaine Manduel et le Général Saint Ravi, ayant obtenu assurance de Damville, qui leur donna pour otages le Seigneur de Montbazen, le capitaine Doues et Lucanes qui furent envoyés dans la ville, allèrent trouver le maréchal à Villevieille le samedi 21 mars veille de Pâques.
Mais le lendemain, jour de Pâques, dès l’aube du jour, l’artillerie fut braquée contre une tour de la Vignasse, très forte et assise sur un rocher.
Pendant la nuit des feux furent allumés, un sur la grande Tour du château et d’autres du côté des Cévennes. Le lendemain, 23 mars, deux cents hommes arrivèrent au secours des assiégés. Cent six hommes entrèrent dans la ville par le quartier des Gascons. Le baron Portes, (catholique, soldat du Roy) y fit fort bien son devoir et sans lui tout le secours serait entré.
Les cévenols avaient chacun au chapeau une cuillère d’étain, où, d’un côté, était écrit : « Pour se rendre à Sommières », et de l’autre « Salut par Jésus Christ » ; sur quelques unes, « Il faut prendre peine pour boire de l’eau vive ». Ils portaient un sac de poudre de six livres.
Après plusieurs jours de batterie, la Tour de la Vignasse tomba et toute la muraille longue de quatre vingts pas qui commençait depuis la Tour jusqu’à la première brèche du côté du levant.
Le rocher sur lequel elle était tombée servait de défense et, la nuit, les assiégés réparaient la brèche avec de la terre, du fumier, des fascines1 et même des sacs pleins de laine.
Au bout de la Vignasse, près de la Tour abattue, les assaillants firent un pont de bois à pilotis de trois cannes de hauteur, pour y loger douze arquebusiers afin de tirer au dedans de la Vignasse et empêcher les assiégiés de réparer la brèche. Mais dans deux nuits, ceux-ci eurent fait un rempart avec des gabions2 et de la terre, aussi haut que le pont. Alors les assiégeants mirent une couleuvrine qui commença de battre en courtine dedans la ville.
Villeneuve, lieutenant de Monsieur de Joyeuse, fut tué d’un coup de mousquet tiré d’une ancienne canonnière3 de la muraille de la ville au-dessous du château. Il fut apporté à St Drézéry (34) où il fut enterré.
Des couleuvrines tiraient aussi dans la Vignasse sur les femmes et les enfants travaillant à colmater la brèche.
Se voyant battus côté levant et côté couchant et sans munitions, les chefs des assiégés résolurent de parlementer malgré la populace, et proposèrent au maréchal de se rendre à des conditions qui furent toutes acceptées.
Le camp des catholiques se retira par delà la montagne de Villevieille pour leur ôter tout soupçon et crainte.
Au bout de trois jours, le jeudi 9 avril , les huguenots quittèrent la ville et le château ; ils sortirent par une grosse pluie et un fort mauvais temps au nombre de mille personnes prenant le chemin des Cévennes.
Après leur sortie, le maréchal Damville mit pour gouverneur le capitaine Lucanes, un italien, avec une compagnie de deux cents hommes. Le soir même il entra dans la ville avec Monsieur de Joyeuse, l’évêque du Puy et autres gentilshommes ; il fit le tour des murailles, entra dans le château et retourna coucher à Villevieille.
Deux jours après, il retourna à Sommières pour y établir un autre gouverneur. Après quelques jours, il se retira à Montpellier, laissant à Sommières deux compagnies d’infanterie et beaucoup de gens de guerre.
Il y eut ensuite une très grande mortalité après laquelle le maréchal changea le gouverneur et les compagnies. Il y mit le capitaine Raynaud, vieil officier natif des montagnes de Foix, qui se montra fort cruel envers les habitants et les tourmenta beaucoup pour les faire travailler et réparer les brèches.
Il commandait aussi au château de Villevieille où il tenait trente soldats. Il jeta du pont du Vidourle en bas un homme qui était allé à Marsillargues, à deux lieues de Sommières, porter une lettre que le Seigneur de Saint Géran, colonel des Compagnies Françaises lui avait donnée.
Mais Dieu lui donna moyen de sortir de l’eau, quoiqu’il fut tout attaché.
Les habitants s’étant plaints au maréchal, celui-ci fit mettre le capitaine Raynaud en prison à Beaucaire ; quelque temps après il fut élargi, mais démi de son gouvernement et cassé. Il fut remplacé par le capitaine la Véochette du pays du Forez, avec sa compagnie de deux cents fantassins.
Il était plus honnête que l’autre, mais fort avare ; il ramassa beaucoup de contributions des villages voisins pendant un an qu’il resta à Sommières.
Il y eut alors une trève au bas Languedoc grâce à une assemblée de protestants faite à Montpellier.
Le capitaine Pont, d’Arles en Provence, succéda à la Véochette. Avec sa compagnie de cent hommes il entra à Sommières au mois de juillet, pendant la trêve. »
L’année suivante le maréchal Damville craignant que son gouvernement ne lui fut enlevé prit le parti des huguenots. De nouveaux incidents graves éclatèrent en ville.