J’ai le plaisir, depuis plus de trente ans, de passer une partie de mes vacances en Suisse chez des amis, dans la charmante ville de Moudon, sur la vallée de la Broye, à vingt kilomètres de Lausanne et de Payerne. Le jour où je débarquai 15 avenue du Fey, j’étais loin de m’imaginer que je découvrirais dans ce bourg un grand peintre amoureux du Midi.
Moudon.
La Ville Haute est un site tout à fait remarquable par son caractère unique et son histoire. Dressée fièrement sur une crête entre les rivières de la Broye et de la Mérine, elle occupe une position privilégiée sur un axe routier nord-sud et contrôlait le passage dans la vallée. Le nom de Moudon ou « Minnodunum » est d’origine celtique et désigne un site fortifié. A l’époque romaine c’était un relais sur la grande route reliant Milan à Strasbourg, établi en terrain plat, dans l’actuelle Ville Basse. Il se déplacera vers la Ville Haute où les habitants se réfugieront lors des invasions qui suivront la chute de l’empire.
Possession du Royaume de Bourgogne, puis de la Maison de Savoie, ancienne capitale des Etats de Vaud, Moudon passe sous tutelle bernoise en 1536. En 1698, la construction du pont de Bressonnaz provoque l’isolement de la Ville Haute qui avait connu un développement urbain intense au XIIIème siècle au profit de la Ville Basse créée vers la fin du XIIIème.
Sous l’autorité bernoise, Moudon perd vite ses privilèges de capitale du Pays de Vaud, mais aussi sa foi catholique, elle dont le Conseil avait été un champion de la lutte contre la Réforme, imposée « manu militari » par Berne. La ville, « oubliée de l’histoire », mène une vie paisible et silencieuse dans son cadre de verdure et de collines. Après une longue période de stagnation, Moudon bénéficie de la décentralisation industrielle et compte actuellement une population d’environ 4500 âmes.
En 2003, le 14 avril le Canton de Vaud fêtera le 200ème anniversaire de son entrée dans la Confédération Helvétique et la Société de Développement de Moudon se prépare à une série de grands festivités parrainées par les plus hautes instances cantonales et fédérales.
Mes anciens élèves d’Aspères et leurs parents se souviennent des deux sorties que nous avons organisées dans cette région et des bons moments passés à l’école d’Agriculture de Grange Verney où par deux fois nous nous sommes installés.
D’immenses tableaux d’inspiration paysanne décoraient les murs du réfectoire ; ils avaient été peints par un enfant du pays, Eugène Burnand et convenaient parfaitement dans le cadre de cette école. [
Eugène BURNAND.
Eugène Burnand est né le 30 août 1850 à Moudon, au château de Billens. Il est élevé à Sépey, hameau formé d’un château et d’une maison, propriété familiale. Le père, alors inspecteur forestier, emmène sa famille à Florence, Eugène découvre les grands peintres italiens, apprend la langue, puis, en 1861, à Schaffhouse où il suit les classes secondaires. Ses parents qui le destinent à l’architecture, le font entrer à l’Ecole Polytechnique de Zurich ; il obtient son diplôme en 1871.
Son attirance pour l’œuvre picturale le fait cependant renoncer à l’architecture et, en 1872, il entre à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris où il remporte des succès et peint ses premières toiles.
Il épouse en 1878, Julia Girardet, fille d’un graveur loclois. La suite de la vie du peintre est incroyablement active, laborieuse et féconde. Il s’éteint à Paris, le 4 février 1921.
Non seulement peintre de la nature, Eugène Burnand chante la vie rustique dans ce qu’elle a d’universellement sain et la nature dans ce qu’elle a d’éternellement beau. Il est aussi le peintre de l’idée chrétienne, qui le rattache à la grande lignée des artistes religieux croyant. Il considère d’ailleurs cette face de son art comme le point culminant de son œuvre. Le catalogue des tableaux figurant dans le livre que René Burnand, un des trois fils, a consacré à son père, mentionne 195 toiles répertoriées, réalisées entre 1872 et 1921 année de la mort du peintre. Parmi elles sont comprises celles qui figurent dans toute anthologie vaudoise, telles que « La pompe à feu », « Les glaneuses », « Le taureau dans les Alpes », « La fuite de Charles le Téméraire », « La voie douloureuse », « Le labour dans le Jorat. » Plus de cinquante illustrations et dessins sont en outre répertoriés.
« Au pays de Mireille. »
C’est plus particulièrement à une période de la vie du peintre que nous allons nous intéresser, période durant laquelle Burnand sera très proche de Mistral qui lui confiera l’illustration de la grande édition de « Mireille » de 1884, et de Daudet qui l’agréera pour donner une forme concrète aux personnages de ses contes.
Comment Eugène Burnand, natif de Moudon, bourgeois de quatre communes de la Broye, devient-il le chantre du Midi ?
Comment retrouve-t-il en lui avec une telle certitude, le sens de la terre provençale, jusqu’à se faire sacrer provençal d’adoption par les plus exaltés provençaux : les Mistral, les Roumanille, les Daudet, le Félibrige entier ?
La solution, nous la trouvons assez haut dans l’ascendance et la formation d’Eugène Burnand, et plus exactement au château d’Echandens. C’est dans ce château, habité au XVIIIème siècle par un Johannot, que prend naissance une parenté entre un groupe important de familles vaudoises et la totalité ou presque, des grandes familles protestantes de Montpellier.
Ces Johannot étaient originaires d’Annonay en Ardèche. Jean Johannot, réfugié pour cause de religion, est reçu bourgeois d’Echandens en 1734 ; un de ses petits-fils, Jean David, reçoit en 1778 des lettres de noblesse de l’empereur Joseph II, et son frère Jean achète en 1790 la seigneurie d’Echandens.
L’aïeule franco-suisse, Madame Johannot-Johannot, donne naissance à quatre filles qui deviennent Mesdames Foltz, Leenhardt, Bazille et Francillon. La seconde et la troisième font souche de tout ce que Montpellier compte de personnages portant leur nom et portant aussi celui de Castelnau. La première et la dernière demeurent en Suisse. Madame Foltz, fixée à Morges, a pour fils le colonel Louis Foltz, grand-père maternel d’Eugène Burnand.
Des liens étroits vont sceller désormais pour des générations, des relations entre des familles de Morges, Saint-Prex, Saint-Sulpice – les Muret, les Cart, les Warney, les Guiguer, les Burnand – et les grandes familles bourgeoises de Montpellier.
A vingt trois ans, le peintre, encore à Paris, hésite sur la contrée française, à choisir pour y transporter son sac de peintre, y planter son parasol et sortir ses pinceaux : le Berry ou la Camargue ? Il se décide enfin pour le Midi et le 4 octobre 1873, il écrit à ses parents sa première lettre datée de Sorgues. Le jeune artiste a, au préalable, effectué un séjour chez son frère à Montpellier.
Layrargues, Baillargues, Saint-Aunès, Clapiers [], Lunel, Maguelonne, la Camargue, le Grau, enchantent le Moudonnois que les cousins accueillent à bras ouverts et qui deviennent les premiers « clients » en achetant presque toutes les œuvres méridionales. Au Grau il apprécie « les bateaux de pêcheurs au repos dans le canal, les jeunes filles dansant sur la plage, un ciel composé des plus beaux nuages… » Il conserve toute sa vie le souvenir « d’une bouillabaisse fortement assaisonnée. »
Burnand passe l’hiver à Sorgues, chez son frère, où il vient se mettre au vert et travailler : « Ce n’est pas sans quelque soulagement que nous sommes venus nous mettre à l’air et au repos. Notre séjour à Montpellier, exquis en tous points, était trop bourré de fêtes et de festins pour pouvoir continuer longtemps de ce train là [ »
Il travaille à l’un de ses premiers tableaux, « Les Anes dans le Midi » qu’il termine plus tard à Paris et dont un avocat d’Yverdon fait l’acquisition.
Une longue pause va suivre, où la Suisse reprend la première place dans le cœur du jeune peintre. Pendant quatre années, il plante son chevalet devant des paysages ou des scènes de chez lui. A l’automne 1875, il retourne dans le Midi, Arles, Fontvieille, les Baux, la Crau, mais ce ne sera qu’au printemps de 1877 qu’il effectuera une véritable campagne artistique en Camargue.
Crau et Camargue vues par E. Burnand.
Au cours de sa courte campagne artistique d’octobre 1875, l’artiste crayonne rapidement des notes sur un calepin, dont les premières pages sont si effacées que plusieurs passages sont illisibles. C’est aux Baux, puis à Fontvieille, enfin dans la Crau que nous conduisent ces feuillets.
« … Quand j’entends, la nuit, le vent hurler dans ces rues désertes… où l’enfer a passé… quand je vois se détacher contre le ciel coloré ces morceaux fantastiques de ruines, je ne puis contenir mon émotion. Je voudrais m’enfoncer en pleurant au sein de ces groupes effrayants, les vaincre en leur arrachant leur secret []. » « … Le soleil vient de répandre ses rayons sur la plaine immense. Du dernier sommet des Alpines jusqu’au Pic de Saint-Loup tout est baigné dans la lumière. Arles s’est allumée, et les grands villages, les mas brillant au loin se sont mis au travail… []. »« … Empressés et intelligents trois fiers moulins à vent, solidement campés sur la garrigue, font tournoyer leurs ailes au Mistral. Un vieux berger regarde ses brebis qui broutent les cailloux…. A gauche, un mas perdu dans les cyprès semble mourir d’ennui…. Tandis que la fillette flottant au vent sur son échelle dépouille les mûriers [. »
La Camargue, c’est encore la famille de Montpellier qui l’ouvre à Eugène Burnand. Un groupe de Castelnau et de Leenhardt, enragés chasseurs de macreuses possèdent à eux seuls, ou presque, toute la « Petite Camargue. »« C’est un pays immense, situé en dehors du delta du Rhône. A l’époque où Burnand y pénétra, la plaine était encore vierge de cultures. Seuls y végétaient quelques rares gardians, isolés dans leur mas battu des vents, au milieu des manades de chevaux et de troupeaux de bious. Un pays sablonneux, moucheté de touffes de plantes salines, tamaris et salicornes…. [ »
Au cours de ses voyages dans le Midi, Burnand est invité à se joindre à l’une ou l’autre de ces battues ou de ces nuits d’affût, non pour tirer les oiseaux, mais pour admirer la nature. Il raconte aussi sa première promenade à cheval. « … Vous ne pouvez vous faire une idée de la rapidité de ces chevaux. Une fois lancé au galop, on perd le sentiment de sa pesanteur. C’est un véritable vol, tel qu’on l’a rêvé maintes fois… A chaque instant nous traversons un étang ; les chevaux piaffent dans l’eau salée et les chiens poussent des cris désespérés lorsque l’eau les force à nager pour de bon…. Les sujets de tableaux abondent…. [] »
Sa lettre du 23 mai relate un souvenir assez amusant, une brève conversation avec un gardian. « Nous désirions photographier des taureaux ( des taureaux dont la plupart sont des vaches !).
Pouvons-nous les approcher ?
Hé ! Peut-être, mais faites attention !
Ah oui, faire attention… pourquoi ?
Hé ! parce qu’ils pourraient bien f…le camp !. »
Eugène Burnand rentre en Suisse car le service militaire lui impose des manœuvres à Walenstadt (canton de Saint Gall) ; il fréquente le Valais, retourne à Florence en 1877. Enfin, après sept ans d’attente, en juillet 1878, il épouse à Versailles, Julia [. Au cours de son voyage de noces en Valais, il peint « Bûcheron en prière » qui figurera au salon de Paris. Les frères de Julia se moqueront gentiment d’Eugène de n’avoir pas trouvé, au cours d’un voyage de noces, un sujet moins sévère. Toutefois, toujours sensible aux critiques, en 1895, le peintre se décidera à ne garder de son œuvre que le personnage.
Eugène et Julia, de retour de leur voyage de noces, habiteront quelques temps chez les parents Girardet à Versailles ; puis, après un court séjour à Montpellier, ils loueront un appartement proche du domicile des Girardet.
Mireille.
Comme nous l’avons vu, Burnand avait eu plusieurs occasions d’admirer le Midi, d’y faire des croquis ravissants et de s’initier un peu à la vie des gardians de Camargue. On ne s’étonnera point alors que le grand poème provençal « Mireille [10] » ait profondément ému son âme. Dans son imagination, il pare Mireille des traits gracieux de Julia. Un projet un peu fou germe en lui : l’illustration de « Mireille » en vue d’un beau livre.
En 1879 il passe quelques semaines à Sorgues chez son frère Ernest, en compagnie de Julia qui attend son second enfant. Il parcourt la région et la Camargue, rapporte à son épouse une moisson de dessins qui la laissent toute éblouie. Si ce « Mireille » doit voir le jour, qui le publiera ? Eugène est connu de la direction de Hachette, l’importante maison d’éditions. On lui a déjà, à plusieurs reprises, confié des travaux. C’est là qu’il faut s’adresser.
Rentré à Versailles, il tente sa chance, présente ses dessins qui plaisent. On encourage l’artiste à persévérer. « En tout cas, assurez-vous de l’autorisation de Mistral » lui conseille-t-on. Mistral a vingt ans de plus que le jeune Vaudois. Comment l’approcher ? Eugène sait que le génial poète est un catholique pratiquant. Le poème de « Mireille » est parcouru d’un souffle chrétien. Avec confiance il écrit à Mistral « une lettre comme on n’en écrit qu’une en sa vie, émue, enthousiaste, respectueuse, lyrique et solennelle [11]. » La réponse arrive : « Monsieur, je suis disposé à publier une édition de Mireille illustrée et à accueillir l’artiste qui retracera dignement les scènes et paysages de ce poème [12]. » Un professeur d’art de Paris a lui aussi sollicité le maître de Maillane. Eugène confie à son père, en séjour pour quelques jours à Sorgues, le soin de présenter son projet à Mistral.
« A neuf heures _, le fiacre me déposait devant la maison neuve de Mistral. Une charmante femme en sabots vient me recevoir et m’introduire auprès de Mistral qui m’attendait…. Nous nous sommes toisés, lui, grand bel homme, me tendit la main.
Vous êtes de Sorgues, Monsieur ?
Non, Suisse.
Ah !
On allume du feu au salon. J’entre en matière et j’apprends d’abord ce qui a fait hésiter Mistral, c’est la crainte que les illustrations faites par un parisien n’eussent été traitées de chic sans études suffisantes des types provençaux. Je voudrais être sûr que mes Provençaux ne soient pas des Provençaux du Boulevard des Italiens ! »
Mistral s’émerveille, accepte le projet. Eugène se décide à reproduire en Mireille les traits de Julia, l’épouse tendrement admirée. Il suffira qu’elle adopte la coiffure des Arlésiennes. Toute sa vie, Madame Burnand coiffera ses cheveux à la mode d’Arles.
Une splendide édition de luxe de « Mireille » paraît en 1884, après trois années d’efforts et de préparatifs, avec, en regard du texte provençal, la traduction française écrite par Mistral. Burnand grave lui-même vingt cinq eaux-fortes ; les cinquante trois autres dessins sont reproduits par un procédé photo mécanique. Le succès de l’édition est grand et le nom de Burnand occupe les conversations dans les salons parisiens [13. Alphonse Daudet écrit à Burnand : « Quant à Mireille, ce n’est qu’un cri. Vous y êtes aussi grand que le poète que vous interprétez, et vous voilà naturalisé provençal. »
J’ai eu l’occasion, au musée Burnand de Moudon, de tenir en main et parcourir ce somptueux ouvrage, une vraie merveille absolument introuvable de nos jours.
Une très grande amitié va naître entre M. et Mme Mistral et Eugène Burnand, comme le prouve leur abondante correspondance.
Voici pour l’anecdote. En 1890, Mistral prie le peintre de dessiner l’entête d’un nouveau journal provençal, portant le nom de « l’Aïoli. » Le 27 octobre, le grand félibre écrit à son illustrateur : « J’ai le dessein de lancer d’Avignon, dans le courant de l’année 1891… un journal provençal destiné à défendre notre langue, nos traditions et nos coutumes provençales, un journal dans le sens de vos idées cantonales et fédérales, cette feuille serait l’organe du parti provençal, en dehors de tous les vieux partis actuels et de toutes les dissensions religieuses ou autres. Il aurait pour titre (confidentiel) : L’Aöli, per donna de mountant au cor de la Prouvenço. Avec cette épitaphe :
Nautri, li bon Prouvençau
Au sufrage universau
Voutaren pèr l’oli
E faren l’aioli. »
Une charmante Arlésienne verse l’huile dans un mortier tenu par un gardian. L’ail sera pilé en même temps que les herbes pour faire l’aïoli. Les traits de la jeune femme sont ceux de Julia Burnand.
Burnand et Daudet.
Admirant les eaux-fortes de « Mireille », Alphonse Daudet, l’auteur des « Lettres de mon Moulin », accepte qu’une édition de contes choisis, accompagnée de quelques eaux-fortes de Burnand, soit publiée par l’éditeur Jouaust à la librairie des Bibliophiles. Un excellent portrait de Daudet est joint à l’ouvrage.
Eugène Burnand rend visite à Daudet pour préparer son dessin. Son émotion est grande. Il décrit l’écrivain : « Comme détails caractéristiques : le nez très fin, d’un dessin exquis ; l’œil muni d’un monocle, d’une pénétration, d’une vivacité contenue, dont aucun œil à moi connu ne peut donner une idée ; la main petite, fine, blanche, énervée, sensible ; le pied menu, fait pour les petits parcours de l’anecdote bien plus que pour les enjambées du lyrisme ; le dos fort, plein de volonté, dos d’écrivain acharné. »
Dans une lettre à ses parents, toujours scrupuleux au sujet de la tenue morale des œuvres auxquelles il apporte sa contribution, Eugène Burnand écrit : « Ce qui me fait extrêmement plaisir c’est que ces contes sont irréprochables moralement parlant. Seuls un ou deux récits sont un peu profanes, au point de vue catholique : l’Elixir du Rév. Père Gaucher et les Trois Messes Basses, mais cela ne me paraît pas être fait dans un mauvais esprit. »
Le recueil contient trente-sept contes. Six seulement sont illustrés par Burnand : le Photographe, les Petits Pâtés, les Vieux, les Etoiles, Un décoré du 15 août, Kadour et Katel. Une septième eau-forte est un portrait d’Alphonse Daudet. Il est réalisé un tirage de grand luxe de 250 exemplaires. Une note de l’éditeur nous informe que ce livre est le premier d’une série destinée à constituer la Bibliothèque artistique moderne.
A ce tirage de luxe s’ajoute un exemplaire unique commandé à l’artiste par un mécène américain et qui se trouve actuellement dans une collection à l’étranger. Cet exemplaire est orné de 43 dessins et aquarelles originaux de Burnand illustrant chacun des contes. Le prix demandé en 1936 était de 2 000F suisses !
Les relations de Burnand avec Daudet semblent avoir été brèves et s’être bornées à quelques visites et à un échange de lettres à propos de cette unique collaboration. Pour qui a connu Eugène Burnand et ses principes calvinistes très stricts, il apparaît évident que la personnalité d’Alphonse Daudet ne pouvait s’harmoniser intimement avec la sienne. En artiste sensible, Burnand admirait l’esprit si séduisant du lettré, communiait avec son même amour pour le Midi. Mais ce qu’il sentait d’amer, de désabusé dans l’œuvre de Daudet, ainsi qu’un certain raffinement d’esthète, ne l’attirait pas au même degré que la piété candide et enthousiaste du poète de Maillane.
Installation à Paris (1885 – 1892).
Retour dans le Midi (1893 – 1900).
En 1885 la famille Burnand va s’installer à Paris rue Pergolèse, ce qui lui permet de s’enrichir d’un quatrième garçon, puis en 1888 de jumeaux Daniel et David qui deviendront peintres et en 1892 d’un autre garçon Tony.
Les deux fils aînés commencent leurs cours au lycée de Montpellier en octobre 1893. Aussi la famille occupe, provisoirement une grande maison montpelliéraine. Les mois passent ; les Burnand retournent en Suisse. Le peintre travaille à de grandes toiles (La fuite de Charles le Téméraire). Et le 28 octobre 1895, nouvelle installation à Fontfroide-le-Haut près de Montpellier.
« La beauté du paysage, le cachet absolument unique de cette immense maison dépassent nos rêves les plus optimistes. Julia est à mon diapason et nous ne cessons de nous extasier [14]. »
Ce sont les va-et-vient entre la Suisse et Montpellier qui expliquent que les œuvres peintes, essentiellement d’inspiration religieuse, ont pour cadre alternativement la campagne vaudoise et la garrigue provençale.
Mistral suit la carrière de Burnand : « … J’aurai bien cependant un jour l’occasion de voir et d’admirer les tableaux dont vous me parlez. Je verrai toujours dans l’Illustration les inspirations que les Saintes Maries vous donnèrent. Je suis heureux de vous voir et savoir dans la poursuite continue de cet idéal qui fait un paradis de votre vie d’artiste. Mais quand vous passerez près de Tarascon, n’oubliez pas qu’à Maillane une vieille et fidèle sympathie vous appartient [15]. »
Burnand retourne parfois encore à Aigues-Mortes, aux Salins Mourgues, ou à Pin Fourcat, mais ses séjours en Camargue commencent à le fatiguer. Le soir quand le peintre rentre fourbu, c’est pour ne pas dormir. Cela ne l’empêche pas de rapporter des études et de peindre encore jusqu’à la cinquantaine de tableaux camarguais.
En 1896, de Fontfroide, Eugène Burnand s’en va en Camargue pour une dernière campagne artistique. Cette fois, c’est en vue d’un reportage sur le pèlerinage des bohémiens aux Saintes Maries de la Mer. Il dessine des têtes de tziganes, la procession sur la plage, les pèlerins dans l’église, la veillée dans la crypte. Belles pages commandées par l’Illustration pour illustrer un texte de Marie Anne de Bovet.
Puis une dernière occasion se présente pour le peintre de travailler une fois encore avec Mistral qui vient de fonder en Arles et d’organiser, avec l’aide du Docteur Marignan de Marsillargues, un musée ethnographique où ils placent « toute l’imagerie et toutes les gravures et lithographies, dessins et tableaux relatifs aux bords du bas Rhône et aux Arlésiennes [16]. » Nouveau départ des Burnand pour Florence (novembre 1900-juillet 1901), puis retour à Fontfroide
Les dernières toiles faites par Burnand en Camargue datent des années 1890-1891. La correspondance avec Mistral continue. En 1906, le poète invite Burnand à le rencontrer en Arles où il se rend pour les affaires de son musée auquel il vient de consacrer le montant du Prix Nobel attribué en 1905 [17
La famille Burnand revient à Fontfroide de 1901 à 1903 ; elle s’établit à Hauterive (Neuchâtel) jusqu’en 1907, puis enfin à Paris où le peintre s’éteint le 24 février 1921 à 21h. Son épouse Julia trop fatiguée, ne peut assister aux obsèques et meurt cinq semaines plus tard dans une clinique de Reuilly.
Epilogue.
Nous n’avons évoqué ici que l’œuvre d’Eugène Burnand qui concerne le Midi et la Provence. « Il peut être considéré comme un peintre qui a marqué son époque et beaucoup d’œuvres sont encore intégrées à des bâtiments classés monuments historiques. Il avait une très grande rigueur dans son travail et ne pouvait s’imaginer de travailler sans avoir, au préalable, procédé à de nombreuses études de ses sujets. C’est ainsi qu’il a été un remarquable portraitiste, au fusain mais surtout à l’huile [18].
Il a connu de son vivant une grande notoriété et bien des tableaux exposés à Paris ont été couronnés par des médailles. C’est sans doute cette grande notoriété de son vivant qui lui a permis de vendre pratiquement toutes ses œuvres à des conditions très avantageuses. Beaucoup sont chez des privés et il est difficile de les voir. Cependant, les musées de Paris (Orsay), Berne, Bâle, Vevey, Genève, Santiago du Chili, Adélaïde, Philadelphie possèdent des tableaux.
Il est possible d’admirer les très beaux vitraux de l’église de Herzogenbuchsee (Berne) dont la finesse des portraits mérite une visite particulière.
En ce qui concerne Moudon, lorsque l’Etat de Vaud décida en 1986 de restaurer le bâtiment du Grand Air, modeste musée dont il fallait demander la clef à la police municipale, le syndic de l’époque, M. M. Faucherre, grand amateur de Burnand, entreprit de réunir des fonds et s’engagea pour que revive le musée.
La réouverture, avec des toiles entièrement restaurées et un environnement superbement refait, a eu lieu le 14 septembre 1990 [19]. »
BIBLIOGRAPHIE
BERGER6-LEVRAULT – Les Paraboles – Paris, 1908.
BURNAND Etienne – Une vie, un peintre, 1994.
BURNAND René – Eugène Burnand au Pays de Mireille – SPES, 1941.
DE FLANDREZY, BOUZANQUET – Le Taureau Camargue – Editions du Cadran, 1925.
FONTANAAZ Monique – La ville de Moudon et ses musées – 2002.
JUNOD Louis – Moudon – Editions du Griffon, Neuchâtel, 1956.
MISTRAL Frédéric – Mireille – Hachette, 1884.
SOURCES
L’Illustration – Année 1896 – 16 mai – N° 2777. P. 407à 410.
Municipalité de Moudon – Mise en valeur du musée Eugène Burnand – 1988.
Municipalité de Moudon – Moudon. La ville Haute – 1989.
Le musée Eugène Burnand est ouvert tous les mercredis, samedis et dimanches de 14h à 18h. Fermeture annuelle de novembre à Pâques.