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EGLISE ET CHAPELLE SAINT JULIEN DE MONTREDON – Site de Sommières et Son Histoire

Cet édifice religieux, désaffecté depuis 1872 pour cause d’insécurité, est resté 100 ans sans qu’aucun visiteur notoire soit venu le voir à quelques exceptions près.

Il suffit d’engager les travaux de restauration, d’aider un peu le processus médiatique pour que les curieux arrivent…ces connaisseurs avant la lettre de toute la saga de ce monument !

Comme quoi, il s’agit d’accrocher le grelot pour que la foule suive. Cela a été le cas, oui, mais chez nous, dans un bon sens didactique.

Les visites commentées avec force détails ont fait le reste, et ce monument historique est devenu un lieu de mémoire de l’art roman sous plusieurs facettes, par son complexe architectural varié, et d’histoire régionale intéressante.

Comme quoi, il s’agit d’un déclic percutant pour obtenir un commencement à tout.

Historique

Au commencement c’était un tout petit habitat de la fin de l’âge du Fer (tène II- environ cent ans avant notre ère), quelques fragments de céramique grise, une meule en pierre dure et un sarcophage taillé très grossièrement dans la pierre dont les débris ne suffisent pas à nous donner une idée exacte, sont pourtant là des témoins sérieux pour nous inviter à noter qu’à cette époque le lieu a connu une activité anthropique, limitée certes, mais authentique. Puis, un latifundium se dessine, immense, très important, occupant un très nombreux personnel qui se partagera l’exploitation après la chute du bas empire.

Ah ! Ces romains qui étaient partout, qui régissaient tout, qui savaient tout et qui avaient le don d’ubiquité, puisqu’on les rencontre en une dizaine de lieux dans la plaine entre Salinelles et Aspères aux mêmes époques ; et même fin du 1er siècle après J.C., au lieu dit les Tourrelles à Salinelles.

L’habitat gallo-romain qui nous intéresse ici semble avoir débuté au IIe siècle et s’est poursuivi jusqu’à la fin de l’empire romain, le haut moyen âge et a terminé son existence fin XIVe siècle. La succession ininterrompue de poteries recueillies du IIe à fin XIVe siècle nous fournit l’assurance de ce que nous avançons. A partir de ce moment-là, plus rien en matière de mobilier usager. C’est alors une migration totale de la population du lieu vers l’actuel Salinelles, pour des raisons difficilement explicables, puisque jusqu’aux années 50 un tout proche point d’eau pérenne existait sous le pont actuel du Fontanieu distant de quelques 100 mètres à peine de l’église. Nous sommes également confortés dans cette époque par le fait patent que les parties basses des plus vieilles maisons de l’actuel Salinelles (les "crottes" ) semblent bien remonter au XVe siècle. Ce qui serait une suite chronologique logique à l’abandon de l’ancien village.

L’église n’en est pas moins demeurée la fidèle gardienne du lieu, alors que la charrue démantelait ce qui restait de pans de murs et de substructions de l’ancienne "villa Salignello" que Dadila, un haut personnage de la région, avait donnée à l’abbaye de Psalmodi en 813 pour le repos de son âme, (pièce originale la plus ancienne qui se trouve aux Archives du Gard).

Mabillon publie la charte d’Ermegonde (815), confirmant celle de son feu mari Dadila, décédé dans l’intervalle.

C’est à partir de ce moment là que l’église devient prieuré, desservie par les moines de Psalmodi et ce jusqu’au XVIe siècle, fin de ce que fut ce brillant centre monastique, qui n’a pas supporté les contrecoups de la Réforme, à moins que les moines ne se soient déjà un peu réformés eux-mêmes ! Ce fut donc à partir de ce moment là que la desserte du culte passa aux mains du clergé séculier, dans la dépendance du chapitre d’Aigues-Mortes, puis dans celle du tout nouvel évêché d’Alès qui fut en 1694 dôté des biens provenant de l’ancienne abbaye de Psalmodi.

Mais la participation des fidèles aux cérémonies religieuses était soumise aux mêmes aléas : pour les Salinellois, deux kilomètres aller-retour et quelquefois un empêchement total d’accéder à la butte quand le Fontanieu enflé par les pluies recouvrait le passage à gué là où est le pont actuel. Pour les habitants de Montredon mêmes distances à parcourir et mêmes avatars quand Coulès roulait haut ses eaux limoneuses.

Bref, cet état d’éloignement et de précarité a duré cinq cents ans ce qui est un bail de génération en génération avec l’église !

Pour résumer les étapes des constructions :

1- Construction de l’église primitive : paléochrétienne ? Ve/VIe ? siècle.

2- ou mérovingienne ? VIe/VIIe siècle.

3- ou carolingienne ? VIIIe/IXe siècle ? (citée comme indiqué plus haut, en 813, ce qui n’est pas une date de consécration de la dite église, qui peut être nettement beaucoup plus ancienne). Par conséquent on n’a retrouvé du sanctuaire primitif qu’une partie du pavement qui recouvre un sol gallo-romain en mortier de chaux et tuileau et que nous avons conservé dans une partie préservée de 1 m2 qui expose les deux niveaux en un bel exemple de muséographie "in situ" . C’est un fait habituel que les religions nouvelles ou dominantes ont généralement implanté leurs lieux de culte sur des temples de religions éradiquées (ou dominées). Tel a dû être le cas à St Julien, car le sol romain occupe les 3/4 de la surface de la petite chapelle, et on le retrouve même à l’extérieur de celle-ci, 1.20 m en avant de la porte. Ce sol romain, construit à l’endroit maximal de la butte semble tout designé pour être le pavement de l’édifice des IIe/IIIe siècles qui a toutes les chances d’avoir été un temple. La fouille a exhumé un fragment de fût de colonne cannelée en pierre de Barutel très appréciée des romains et un stylobate (soubassement portant une colonne) apparemment d’ordre ionique ( ?).

Enfin, après quelque 3 à 5 siècles de service, la primitive église, certainement vétuste, ou trop petite, a été arrasée et a fait place à une nouvelle construction, sans doute sous l’implusion des seigneurs de Montredon, lesquels connaissaient alors une époque de prospérité en ces XIe et XIIe siècles, inhérente à la région, et qui se poursuivra jusqu’au premier tiers du XIIIe ; période à partir de laquelle l’étoile montante de la baronnie aura fini de briller du fait du malheureux choix que les cinq frères et barons de Montredon auront fait en prenant fait et cause pour Raymond VII de Toulouse, en révolte contre la couronne et en portant très probablement les armes contre les troupes du Sénéchal, ce que présume fortement A. Jeanjean (1240).

Curieusement, on peut envisager que les barons ont eu à leur actif la construction de 3 églises ou chapelles ; ce n’est qu’une hypothèse, mais très plausible du fait de leur position omnipotente au sein de leur propre fief et qui, de plus, était motivée par le fait qu’ils étaient "ipso facto" paroissiens de l’église de St Julien.

1- Eglise de la fin du XIe siècle à St Julien

2- Leur chapelle castrale (impensable autrement !) quel seigneur n’avait-il pas sa chapelle et son chapelain ?

3- La chapelle adventice de St Julien (fin XIIe tout début XIIIe. Ceci n’est évoqué qu’à titre de curiosité, mais aussi parceque nos barons "tenaient" bien leur fief en ce temps là. La statistique s’arrêtera donc ici !!)

Le style Roman, son origine, ses caractéristiques

Il est un lieu commun, généralement bien admis à présent, que l’éducation des masses allant s’accentuant davantage chaque année grâce à l’insistance que l’on apporte à la connaissance de la culture, que l’amour des vieilles pierres, leur connaissance, leur entretien, leur restauration, vont grandissant (le succès des 2 journées "Portes Ouvertes" en est le couronnement). On y rencontre de toutes gens, d’horizons très différents, de cultures diverses, de sensibilités inégales, qui cherchent à savoir davantage. Entre autres disciplines, l’art Roman, dans notre vieille Europe Méditerranéenne, voit chaque année s’accroître le nombre de ses amoureux. Si à 15 ans et demi on adore l’Inachevée de Schubert, et si ses choix vont vers le gothique qui est oeuvre d’ingénieux (c’est déjà M. Eiffel dans la pierre !) l’âge mûr arrivant, on augmente son bagage, en y incorporant un art roman, "oeuvre d’architecte" qui peu à peu, au fil des ans prend le pas sur toutes les autres formes de styles et de disciplines architecturales jusqu’à la Renaissance, et plus tardivement encore.

L’art Roman, c’est la sagesse, la rigueur du travail bien fait, le symbole qui va jusqu’à un climat d’ésotérisme qui vous tient tout entier.

C’est pourquoi il y a eu, et il y a beaucoup de restaurations de chapelles romanes oubliées qui refleurissent aujourd’hui dans toutes les régions et qui sont admirées comme une des meilleures réussites de l’architecture des XIe et XIIe siècles.

Le "Lombard", qui marque très fortement de son sceau, tout l’extérieur de l’église "majeure" , est la première expression de l’art roman. Il est né tout naturellement en Italie et il a essaimé aussitôt, peu ou prou, dans toutes les nations de l’Europe et même au Proche-Orient, car les échanges entre maîtres d’oeuvres et compagnons d’ici, se faisaient très rapidement, et s’exécutaient au fur et à mesure des connaissances acquises. Cette période présentait à ce moment là un début d’économie florissante par rapport au passé ; c’est pourquoi les bâtisseurs n’ont pas manqué d’ouvrage.

Le style lombard présente toutes les facettes de sa définition quand le visiteur s’approche du monument historique : sur l’abside règnent trois registres de trois arcatures lombardes s’appuyant sur des modillons, et ponctués par deux bandes lombardes (verticales) ou lésènes, et, plus haut, un couronnement en "dents d’engrenage" qui sont du plus bel effet. Les arcatures règnent également en haut des murs latéraux.

L’église est construite extérieurement et intérieurement en petit appareil en travertin (pierre calcaire dure, silicifiée partiellement, et d’extraction locale).

L’intérieur est de configuration architectonique très classique. Aucun décor lombard (alors qu’il en existe un à Maguelone -à l’intérieur- , qui règne sous la corniche du cul-du-four de l’abside, alors que ce roman plus tardif, pour l’essentiel, n’est pas de style lombard !) réminiscence seule et souvenir très sobre du lombard démodé à ce moment là !

Trois travées en plein cintre à l’origine, mais effondrées au XVIIe siècle et réparées aussitôt en conservant les amorces romanes mais en complétant par des croisées d’ogives qui ont l’avantage d’être plus souples aux vibrations sismiques et surtout plus légères, limitant ainsi le contrebutement des murs latéraux, surtout celui du Nord, victime d’une déplorable portance du sol sur lequel il est construit.

Trois piliers doublement engagés dans les murs de chaque côté et opposés aux contreforts extérieurs, trois arcs de décharge soulagent toute la construction haute de l’édifice.

En haut de chaque piédroit, une imposte historiée avec des quadrupèdes affrontés à l’endroit de l’angle apparent de la pierre -ou des oiseaux dans la même position- ou, tout autrement, des motifs géométriques divers.

L’archaïsme des sculptures, leurs expressions naïves, le fait d’être frustes, signent obligatoirement un travail antérieur au XIIe siècle, dans notre région.

On peut conclure que l’édifice a été très probablement construit au cours du dernier tiers du XIe siècle.

Au Nord, une seule baie. Trois autres au Sud, mais, oblitérées par la présence du mur de la petite chapelle adventice et plus tardive. Le clocher : 4 mètres environ au sol, comporte une curieuse absidiole dont on ne connaît pas la fonction mais qui semble être, là, d’inspiration byzantine ( ?), parfaitement inutile aujourd’hui mais de belle facture. Au moment de la construction de la petite chapelle (fin XIIe, tout début XIIIe peut-être) le mur formeret sud de l’église, à droite du choeur, a été ouvert et un arc mouluré de belle présentation a été construit en sous oeuvre afin de faire communiquer les deux volumes.

Au passage, nous nous arrêtons un instant devant une niche à objet du culte qui a reçu une pierre de dédicace romaine. Probablement du IIe siècle et trouvée dans l’environnement immédiat de la chapelle et dont le texte serait :

 VICINI (n et i liés) VARATUN(UM) suite illisible.

 PORTI (cus ? ).

Etant d’une façon certaine une pierre de dédicace, il s’agirait de l’érection d’un monument en l’honneur ou de l’empereur, ou d’un consul, ou d’un tribun, ou d’une divinité, d’un général ( ?) etc. Ce qui est lisible c’est le mot abrégé PORT(icus). S’il s’agit bien d’un portique cela semblerait avoir une vraisemblance car nous possédons un fragment de colonne cannelée, une "écaillure" qui reconstituée geométriquement, restitue un fût capable de s’élever à 5,50m/6m selon les architectes. Deux colonnes rapprochées, réunies à leur sommet par un entablement : voilà la définition (simple, mais réelle) d’un portique. Posez dessus une statue équestre, d’homme ou en pied ou en buste et l’usage en est ainsi défini.

Une anecdote rapide. Comme parfaitement visible sur la reproduction ci-dessus, toute une partie de l’inscription est complètement éradiquée. Connaissant bien l’emplacement du VICUS où tout est en légère déclivité, on peut dire que depuis la christianisation du lieu et jusqu’au XIIe siècle où l’on a utilisé cette pierre : 7 siècles ! un animal a mangé sa ration dans cette auge improvisée et l’on peut dire aussi qu’un cheval pendant 700 ans, de père en fils s’est acharné, vers la fin de son repas, où s’amassait au fur et à mesure de sa consommation le restant de son repas et l’a usée complètement. Il a mangé le picotin d’avoine en même temps que les lettres et n’a eu d’indigestion ni de l’un, ni de l’autre !!

Enfin, le voûtement de la chapelle apparemment unique en son genre dans la construction d’édifices religieux, a été traité en BATIERE (en forme de bât) ou plus simplement, on a obtenu des lignes droites (obliques) sur une ligne courbe au départ. En rainurant horizontalement le zénith du demi-cercle et en construisant un pyramidion, puis dans la suite logique de la pente de celui-ci, on a complété, en posant un petit diaphragme entre la partie tombante de l’arc et le mur vertical de la chapelle. Ainsi, de la pointe à la base, la ligne oblique est-elle absolument rectiligne et peut recevoir dans sa rainure une suite de dalles jointives sur lesquelles on a posé, vers l’extérieur, et par dessus, d’autres dalles identiques, se recouvrant partiellement l’une l’autre (en écailles de poisson).

L’inconvénient réside dans son trop grand poids (35 tonnes) pour une assez petite surface, ce qui laisse supposer qu’au XVIe siècle, elle se soit éboulée ; compte tenu de ce que cette molasse coquillière du calcaire burdigalien de Pondres, s’il n’est pas gélif, est très hygrométrique ; nous comprendrons aisément que l’acide carbonique de l’eau de pluie l’ait délité. Personnellement, nous ne pensons pas que, s’il y a eu des actions réciproques certaines entre Réformés et Catholiques en ce lieu, il ne faut pas incriminer une action volontaire sur le voûtement de cette chapelle.

Onze arcs parallèles ont été traîtés pour recevoir les dalles, comme expliqué ci-dessus. L’église est qualifiée de "caritat" dans un texte d’archive écrit en latin au XIIIe siècle, ce qui donnait vocation, au prieur desservant, à hébergement ; d’où arrêt des pèlerins dans ce lieu, la plus lointaine destination étant celle de St Jacques de Compostelle. De là, sculpture d’une coquille de pèlerins sur l’autel ; nous ne pouvons hélas, relater ici l’action de l’Association de Sauvegarde dans son magistère qui a présidé à la restauration de ce monument historique, ni son activité toujours présente pour son animation : la place manquerait et c’est dommage, mais nous allons raconter une anecdote amusante et vraie quand même, pour terminer notre propos.

Charles Neuville, notre parent et nos amis et collègues Emile Pons et André Sauveplane ont eu le mérite de faire visiter l’église durant plusieurs décennies et de vendre au bénéfice de notre association un produit typiquement local : la Terre de Salinelles, en sachets. Emile est resté dans son rôle, et ne l’a jamais transgressé. André, lui, sans vouloir le transgresser, a subi l’interprétation générale des visiteurs, qui, pour la plupart ignoraient qu’il était professeur honoraire de lycée et le prenaient pour le curé desservant de l’église… et de lui donner du "mon Père" par-ci ou "Père" par-là ou du "Monsieur le Curé" gros comme le bras ! Il faut dire que dans sa tenue vestimentaire, André donnait depuis toujours une place de choix à la couleur gris foncé, ce qui faisait très "Vatican II" . Et puis, l’hiver, il portait toujours son sempiternel béret noir comme tout bon curé de campagne le faisait ; vous savez… après que la barrette fut tombée en désuétude.

Il s’en défendit quelque temps de passer pour le Curé puis, désabusé, il laissa aux visiteurs toute liberté de choix pour sa titulature présumée et ainsi, de fil en aiguille, il versa, à son corps défendant dans le syndrôme de Talma (pour Néron) et de Sacha Guitry (pour Talleyrand) et il laissa faire les ennuyeux ; mais le dédoublement de personnalité était là. Oh ! seulement quand ses "ouailles" y allaient du "mon Père" , cela l’énervait et le réjouissait tout à la fois.

Une après-midi d’été, un peu excédé, mais heureux de duper une fois de plus son monde, quand deux chiens en laisse copulèrent sans vergogne devant l’auditoire, Monsieur le Curé de conclure : "Voilà une union que nous ne saurions bénir" (sic). Amen !!

BIBLIOGRAPHIE

BUHOLZER JF – GAUSSEN I. – LASSALLE V. – SABLOUX – La Chapelle de St Julien de Montredon à Salinelles – Ouvrage Collectif, 1971. Association pour la sauvegarde de la chapelle.

CLAN ARCHEOLOGIQUE DES CHENES VERTS – Fontibus, nécropole gallo-romaine – Montpellier, 1938.

GOIFFON (Abbé) – Dictionnaire Topographique, statistique et historique du diocèse de Nîmes – 1881.

JEANJEAN A. – Montredon – Bulletin de l’Association Sommières et son Histoire, n°1, 1993.

SAUVEPLANE A.- Résurrection d’un sanctuaire roman – 1980.