Il y a une vingtaine d’années, un descendant du général BRUYERE, de passage dans la région, me demanda si la commune avait conservé un souvenir quelconque de son illustre aïeul.
La seule chose que j’ai pu lui montrer fut une plaque de rue côté place de la République, la plaque côté Vidourle ayant été victime d’un ravalement de façade.
Quelques mois plus tard, je reçois une lettre d’un Belge, Monsieur Robert YANNE, passionné de l’épopée napoléonienne et admirateur de « ce redoutable chevau-léger » que fut le général. Il me demandait la copie de l’acte de baptême que je me fis un plaisir de lui adresser et tous les renseignements que nous pouvions avoir sur le général et sa famille, maison natale, entre autres. Si, dans l’inventaire analytique de nos archives vous cherchez le nom du Général BRUYERE, vous le trouverez sous la côte 1-I-4. Tout fier de ma découverte, je me précipite sur la liasse en question et je trouve en tout et pour tout la lettre d’un notaire parisien qui, en 1845, à la demande de son client Alexandre BRUYERE s’inquiétait de l’actif successoral de Madame Veuve BRUGUIERE, mère du Lieutenant-Général Comte BRUGUIERE dit BRUYERE.
C’est alors que j’ai réalisé la légèreté des renseignements relatifs à un des plus illustres enfants de la commune. Pour éviter de passer pour un ignare voire même, qui sait, pour un antibonapartiste (!), je me fis un devoir d’étoffer le plus rapidement possible le dossier BRUYERE. Le premier des documents dont j’ai eu connaissance est l’ouvrage de l’abbé C. NICOLAS, petit-neveu du Général « Une Famille de Sommiérois » (Nîmes 1904). Ce livre avait refait surface à l’occasion d’un déménagement des archives. Il était en piteux état mais les renseignements précieux qu’il contenait en relation directe avec mes recherches m’incitaient à le faire restaurer puis relier.
Fort bien documenté, l’abbé NICOLAS nous apprend que les BRUGUIERE ou BRUYERE étaient une famille de notables de Sommières. Thomas BRUGUIERE était chirurgien-Major du fort de la ville. Marié à Jeanne GAUSSEN, il eut deux enfants dont Jean-Justin, né à Sommières le 15 avril. Digne fils d’un chirurgien major, Jean-Justin entre à 15 ans comme chirurgien-élève à l’hôpital militaire de Montpellier en 1759, participe à la guerre de 7 ans dans l’armée d’Allemagne, se trouve à côté du Marquis de Castries blessé à la bataille de Rosbach et son savoir-faire lui permet de sauver le bras du Marquis que les chirurgiens les plus chevronnés voulaient amputer. Le Marquis de Castries eut la reconnaissance particulièrement généreuse envers celui qui, disait-il, « avait sauvé son aile droite ». Les présents qu’il fit à son chirurgien pendant plus de 25 ans montèrent au delà de 100 000 francs. Du 18 janvier 1795 au 7 novembre 1799, nous trouvons Jean-Justin chirurgien en chef de l’Armée d’Italie. En 1770, il épouse Marguerite NIEL, fille de Pierre NIEL notaire royal et avocat à Sommières. Ils ont 3 enfants : Jean-Pierre-Joseph, Françoise, Thérèse-Françoise-Philippine.
On peut supposer sans trop de risque d’erreur que le fils premier né de Jean-Justin, prénommé Jean-Pierre-Joseph né le 22 juin 1772 avait eu toute son enfance bercée par les récits des exploits de son père et de son grand-père. Ajoutons à cela l’élan patriotique dû à la Révolution, et il est tout à fait naturel de retrouver notre Jean-Pierre-Joseph engagé volontaire comme chassseur au 3° Bataillon de la 15° demi-brigade légère le 8 février 1794 (20 pluviôse an II). Nous sommes à quelques mois de la chute de Robespierre, Bonaparte n’est encore qu’un offficier parmi tant d’autres, mais nous pouvons déjà, appliquer à BRUYERE la fameuse apostrophe de NAPOLEON : « Tout soldat porte dans sa giberne un bâton de Maréchal. » En moins de 15 ans, il va franchir tous les grades et deviendra Général de Division en 1809. Le point fort de sa carrière fut certainement sa rencontre avec le Général BERTHIER, frère de celui qui allait devenir le Maréchal BERTHIER, Prince de NEUCHATEL, Vice-Connétable de l’Empire. Devenu Aide de Camp du Général, il se retrouve Capitaine en 1797, Chef d’Escadron en 1802, Colonel en 1805, Général de Brigade en 1806. Il épouse le 15 novembre 1810 Joséphine-Thérèse-Virginie BERTHIER fille du Général. Le mariage a lieu à Savone, en Italie sur les bords du golfe de Gênes. Le pape Pie VII y était prisonnier de NAPOLEON depuis l’année précédente et c’est ainsi que notre général eut l’honneur de voir son union bénie par le Saint Père.
Comme tous les personnages dont la destinée sort du commun, BRUYERE ne fait pas l’unanimité et l’appréciation de ses pairs est queques fois empreinte d’une certaine méchanceté ; le Général Baron AMEIL le dépeint ainsi : « BRUYERE était un très médiocre officier, ne s’occupant point de la troupe et ne cherchant que son aise dans le camp ; des blessures et la protection du vice-connétable, lui firent une réputation de bulletin, mais l’armée savait à quoi s’en tenir. C’était un militaire d’une assez jolie tournure ; il n’était pas sans esprit mais il était mordant et méchant ». Nous laissons au général AMEIL la responsabilité de ses affirmations, mais d’une part il faut remarquer que la carrière de BRUYERE était largement avancée lorqu’il devint le neveu par alliance du vice-connétable (il était Général de Division depuis un an lors de son mariage) et d’autre part il avait, dans ses nombreuses campagnes donné suffisamment de preuves de son courage et de son savoir-faire dans l’art militaire pour être remarqué de NAPOLEON lui-même.
Le 22 mai 1813, il commandait à Reichenbach lorsqu’il eut les deux jambes emportées par un boulet de canon. Transporté à Görlitz1, il y mourut le 5 juin suivant. Le général Lassalle hussard célèbre qui participa aux campagnes de la Révolution et de l’Empire, et qui fut tué à Wagram a dit : « Un hussard qui n’est pas mort à quarante ans n’est qu’un jean-foutre ». BRUYERE était chevau-léger, il avait 41 ans !
Mais revenons à notre documentation. Resté en rapport avec Monsieur YANNE, j’ai eu le plaisir de recevoir copie de pièces particulièrement intéressantes provenant entre autres des archives de l’armée.
Lettre autographe du Général qui demande un congé exceptionnel pour aller « prendre les eaux » pour se remettre de ses blessures.
Lettre adressée à NAPOLEON pour lui demander l’autorisation d’épouser Mademoiselle Virginie BERTHIER.
Copie de la correspondance que Monsieur YANNE a échangée avec le bourgmestre de Görlitz pour avoir des précisions sur la tombe du général. Le cimetière de Görlitz a été entièrement détruit pendant la dernière guerre, il n’y a donc plus aucune trace de la tombe du Général, mais par contre on peut encore voir sur une maison de Görlitz une plaque « Napoléon 23 Mai 1813 » en souvenir de la visite que rendit l’Empereur à BRUYERE agonisant.
J’ai eu l’occasion de faire part de mes recherches à Ivan GAUSSEN qui était à l’époque président du Syndicat d’Initiative et il a bien voulu me mettre au courant d’une anecdote qui risque de donner des regrets à bien des sommiérois : le docteur ANDRE, maire de Sommières, reçoit un jour de 1963 une lettre envoyée par un inspecteur d’assurances habitant Marseille. Ce monsieur signale au maire de Sommières qu’il a recueilli un descendant du Général BRUYERE, qu’il possède des documents très intéressants concernant sa famille et qu’il serait disposé à les remettre à la ville natale du Général à condition que celle-ci puisse les recevoir dans un lieu approprié qui pourrait devenir un musée BRUYERE. Mandaté par le Docteur ANDRE, Monsieur GAUSSEN se rendit à Marseille et ramena un inventaire détaillé de tous les « trésors » qui pourraient éventuellement revenir à la commune :
Portrait du père du Général signé du Baron GROS.
Portrait du Général signé du même.
Parchemin avec enluminure signé de Napoléon et de Cambacérès donnant au Général BRUYERE le titre de Baron, avec dessin de ses armes et sceau en cire de l’Empereur.
Deux pistolets offerts par l’Empereur au général pour le remercier du rôle qu’il avait joué à la bataille de Marengo, lorsque, commandant, il porta au Général DESAIX les ordres de BONAPARTE qui décidèrent du succès de cette bataille et du sort de la campagne d’Italie.
Et bien d’autres documents concernant la famille BRUYERE.
Il y avait vraiment la matière première pour faire un musée. Le Docteur ANDRE prend rendez-vous à Paris avec le donateur potentiel dans un restaurant des Champs Elysées mais le donateur en question ne s’est pas présenté et n’a plus jamais donné signe de vie. Faut-il, en tant que Sommiérois regretter que ces reliques n’aient pû être recueillies par la commune, ou bien faut-il, en tant que contribuable, évaluer la dépense qu’auraient représenté l’exposition et le gardiennage de ces trésors ?
A la fin de son rapport, Ivan GAUSSEN insiste sur le fait qu’on ne connait toujours pas la maison natale du Général et il suggère, une fois cette maison identifiée d’y faire apposer une plaque commémorative. Je reprends donc mes recherches en étudiant le livre de l’abbé NICOLAS : précieuse indication, la mère du Général est morte en 1844 à Sommières dans la maison patronymique des BRUYERE devenue depuis la maison COMBES. L’abbé NICOLAS ayant écrit son ouvrage en 1904, il ne me restait plus qu’à rechercher tous les actes d’Etat-Civil relatifs à des COMBES nés, mariés ou décédés à Sommières entre 1844 et 1904. On retrouve deux familles Combes dont la plus prolifique habitait la maison de la Grand’rue côté place du Jeu de Ballon. Le rôle des impôts sur les portes et les fenêtres confirme que la veuve BRUYERE payait à ce titre un impôt correspondant aux ouvertures de cette maison et le numéro cadastral correspond bien à la maison qui, actuellement porte le n°1 de la rue Antonin Paris.
En 1887, lors de sa séance du 10 décembre, le Conseil Municipal de Sommières décide d’honorer deux de ses concitoyens en donnant leur nom à deux rues de la ville et c’est ainsi que l’abbé FABRE se voit offrir l’ancienne rue Neuve et le Général BRUYERE l’ancienne rue du couvent. Or, c’est l’inverse qui s’est produit, la rue du Couvent devenant la rue abbé FABRE , et la rue neuve la rue du Général BRUYERE. Nos édiles étaient-ils revenus sur leur décision et avaient-ils préféré donner le nom de BRUYERE à l’artère la plus importante en privilégiant le sabre par rapport au goupillon ? C’est une délibération du 18 avril 1888 qui nous donne la clef de cette mutation : « ….il serait plus convenable de donner le nom de Général BRUYERE à la rue Neuve, c’est en effet dans le prolongement de cette rue, on pourrait dire presque dans cette rue que se trouve la maison où est né le Général et que sa famille a longtemps habitée, la maison COMBE. Il est de tradition de tenir compte de cette circonstance quand on rend à une célébrité locale l’hommage que la ville de Sommières a tenu à rendre à son illustre compatriote ». 1
Chronologiquement la dernière, mais non la moindre, Mademoiselle WAROQUIER descendante de la famille BRUYERE s’est également intéressée au Général et elle a bien voulu nous comuniquer des documents en sa possession tant sur BRUYERE que sur BERTHIER. Au cours de ses recherches elle a trouvé aux Archives Départementales le manuscrit d’une « Notice sur le Général Comte BRUYERE » par son petit-fils « et offerte par lui aux Archives de la Ville de Sommières ». Comment l’original de ce document se trouve-t-il aux Archives Départementales ? La question mérite d’être posée mais elle justifie l’intérêt un peu draconien que nous portons à protéger nos archives communales.
Annexe
Etats de services
Chasseur au 3e Bon1 de la 15e demi Brigade d’Infanterie légère le 20 Pluviôse An 2.
Adjoint aux adjudants généraux le 1er Nivôse An 3.
Sous Lieutenant au 3e Bon de la 15e légère le 16 Nivôse An 3.
Lieutenant le 14 Germinal An 3.
Aide de Camp du Général Berthier le 18 Ventôse An 5.
Capitaine provisoire à la suite du 7e Rgt. bis de hussards le 20 Termidor An 5.
Confirmé par arrête du 23 Brumaire An 6.
Chef d’escadron le 25 Termidor An 8.
Désigné pour prendre rang du 25 Prairial An 8, jour de la bataille de Marengo le 19 Vendémiaire An 9.
Passé au 6e Rgt. de hussards le 2e complémentaire An 9.
Major au 5e Rgt de hussards le 6 Brumaire An 12.
Colonel au 23e Rgt. de chasseurs le 27 Pluviôse An 13.
Général de Brigade le 30 décembre 1806.
Employé à la Grande Armée, Général de Division le 14 juillet 1809.
Autorisé à rentrer en France pour s’y rétablir de ses blessures le 28 août 1809.
Commandant la 1ère Don2 de grosse cavalerie à l’armée d’Allemagne le 17 octobre 1809.
Commandant la cavalerie légère à l’armée d’Allemagne le 8 avril 1811.
Commandant le 1ère Don de cavalerie légère de réserve de la grande armée le 15 janvier 1812.
Employé au 1er corps de cavalerie de la grande armée le 15 février 1813.
Mort à Görlitz le 5 juin 1813 des suites de ses blessures reçues à l’affaire de Reinchembach, le jour de la bataille de Wurtchen, le 22 mai précédent.
Blessures
Un coup de feu à la cuisse droite à l’attaque de Vicence le 12 Brumaire An XIV.
Un coup de biscayen qui a contusionné le corps et le bras gauche, à la bataille de Prussich-Eylau le 8 février 1807.
Deux coups de feu, dont l’un très grave, ayant fracturé la cuisse droite, et l’autre l’épaule gauche aux batailles de Wagram le 5 et 6 juillet 1809.
Les deux cuisses emportées à l’affaire de cavalerie de Reinchembach, le 22 mai 1813, et qui ont entrainé la mort.
Actions d’Eclat
S’est particulièrement distingué aux batailles de Marengo le 25 Prairial An 8, et de Wagram les 5 et 6 juillet 1809.
Décorations
Commandant de la Légion d’Honneur le 14 juin 1809.
Chevalier de la couronne de Fer le ?
Titres
Comte d’Empire le 23 août