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SALINELLES – LECQUES – 26 AOUT 1944, QUI A MITRAILLE LA COLONNE ALLEMANDE ? – Site de Sommières et Son Histoire

Introduction

Les hauts faits de l’histoire chantés par les trompettes de la renommée ne laissent, en dehors des héros proclamés, que bien peu de place à tous ceux qui, par leur action et leurs sacrifices, ont eux aussi, contribué à ce que ces faits soient immémoriaux.

Les récits de la libération de la France de l’envahisseur Allemand qui accordent une large part à la Résistance intérieure, en rappelant d’incontestables faits d’armes, oublient quelque peu de souligner la partie d’appui de logistique apportée de l’extérieur par les Alliés, et en particulier par leur aviation.

Les actes glorieux des Aviateurs de la RAF pendant « La Bataille Aérienne d’Angleterre » ont tant marqué les esprits, qu’on en est arrivé à ne retenir de l’Aviation Américaine que ses bombardements stratégiques et nécessaires, par les forteresses volantes, [] au point d’ignorer bien souvent le rôle primordial de la chasse de l’US – AIR – FORCE et des chasseurs bombardiers de l’US – NAVY, ainsi que les risques considérables pris par ces pilotes au cours d’opérations en rase-mottes. [

A ce titre, la bataille de Salinelles et Lecques est incontestablement exemplaire et incontestable. Aucun civil blessé ; c’est dire la maîtrise, le sang froid et la bravoure de ces pilotes effectuant une mission semblable aux autres.

Dans le petit village de Salinelles, s’était incrustée pour une nuit, une colonne allemande d’un millier d’hommes. Une compagnie de Partisans s’est décidée à les déloger. La partie aurait été perdue, eu égard au rapport numérique, et en raison de l’armement de l’occupant allemand, infiniment supérieur à celui des Partisans, si cette formation de six F6F-5’s Hellcat’s du Squadron One (VOF – VOC-1) porte-avions USS TULAGI (CVE – 72) en mission de reconnaissance armée, n’avait décidé d’intervenir.

Cette puissante force d’intervention était essentiellement composée d’aviateurs américains.

Strafing Flight # 100. 15 : 04 – 18 : 53. SOMMIERES – SALINELLES – LECQUES – BOISSERON.

LT CMDR Wiliam Floyde BRINGLE, Squadron Leader, ONE.

Ensign William C. Mc KEEVER, SQ. ONE.

Ensign John M. DENISON, SQ. ONE.

Ensign Charles P. SKELLY, SQ. ONE.

LT Harold E. BROWN, SQ. 74, chasse de nuit.

Ensign Albert R. TIFFANY, SQ. 74, chasse de nuit.

L’appareil #58646 du Lt BROWN est atteint par les tirs de la Flak, forcé de se poser en mer, secouru par le destroyer USS SHUBRICK ; le pilote est blessé.

Cette importante intervention des chasseurs de l’US – NAVY, qui finit par avoir raison de la colonne allemande, a été rapportée par la presse locale avec un oubli ou une erreur regrettable.

C’est à Monsieur Jeanjean qu’on doit aujourd’hui une relation objective de ce fait historique. Pour lui, aucun événement, aucun combat pour la libération de la France, n’a paru minime par rapport à ceux, si grands, dont on parle dans les écoles. Et pour informer le lecteur de l’importance de ce « petit » événement, Monsieur Jeanjean a procédé à une étude de fond, minutieuse, quant au rôle de tous les protagonistes.

C’est pourquoi je souligne une œuvre d’historien, digne de figurer parmi toutes les œuvres qui ont été consacrées à la libération de la France du joug nazi.

Marcel ERTEL

Qui a mitraillé la colonne allemande ?



Salinelles – Lecques 26 août 1944

Dans mon article « Des années difficiles à la Libération. Sommières août 1944 » publié dans le Bulletin n°2 de l’Association « Sommières et son Histoire » (1994), j’ai fait le récit du mitraillage d’une colonne allemande, le 26 août 1944, entre Salinelles et Lecques. Pour mémoire, voici quelle était la situation dans la région et comment j’ai rapporté les faits :

Derniers jours de combats.

« Les troupes allemandes, 189ème, 198ème, 716ème Divisions évacuent l’Aude, l’Hérault puis le Gard ; elles quittent Sète le 20 août à l’aube, Montpellier le lendemain matin. Elles atteindront Lyon le 26 après avoir été durement accrochées dans l’Ardèche.

Le 4ème CA formé essentiellement de la Luftwaffe, venant de Toulouse, gagnera aussi la vallée du Rhône par la RN 113.

Les troupes d’une grande partie du Sud Ouest, motorisées, blindées, puissamment armées traversent notre département les 20 et 21. Des colonnes lentes, formées surtout de fantassins utilisant de nombreux véhicules hippomobiles, sont décimées dans l’Hérault, le Gard, l’Ardèche.

Un convoi d’un millier d’hommes environ traverse Sommières ; des soldats pillent une ou deux maisons, mais personne n’est molesté [].

Le jeudi 24 août, dans l’après-midi, des troupes allemandes venant de l’Aude sont signalées ; elles arrivent par St Martin de Londres et les villages de l’ouest de Sommières. Leur effectif est estimé à 4 000 hommes environ.

Fauvette au volant de la Traction Avant 158 FN 5 du capitaine en retraite Lombard de Villevieille, part en reconnaissance. Arrivé à la hauteur du cimetière, il aperçoit un side-car ennemi venant à sa rencontre ; Fauvette vire immédiatement vers l’usine du Sud Electrique et de là observe ce qui se passe.

Le side-car va jusqu’au carrefour du Pont ; ses occupants rassurés, il s’en retourne avertir le gros de la colonne que le passage est libre.

Fauvette fonce en ville pour prendre toutes les dispositions afin d’éviter les incidents. Il fait retirer du pont la sentinelle du poste de contrôle qui garde une barrière semblable à celle d’un passage à niveau, établie là par les Allemands lors de l’occupation de Sommières. C’est à grand peine qu’il oblige Mr Trumel, directeur de l’usine à gaz, à quitter rapidement les lieux.

La population est expressément invitée soit à se barricader chez elle, soit à s’enfuir en direction de Villevieille et des mazets.

Malgré les consignes, quelques inconscients, armés de fusils et de revolvers, se postent soit sous l’horloge, soit au faubourg des Aires.

Vers 17h30, les premiers éléments ennemis font leur apparition ; certains sont en civil. Au nombre d’une trentaine, montés sur des bicyclettes, sur leurs gardes, ils traversent la ville sans encombre et se dirigent vers Souvignargues.

On les laisse passer.

Les hommes de l’Aigoual-Cévennes qui faisaient mouvement sur Nîmes par la RN 99, sont informés, au carrefour de la Nouvelle, de la présence des Allemands près de Sommières. Une rencontre a lieu entre Fauvette, les commandants De Zutter [] et Gomez [] qui décident que la procédure d’accrochage de la colonne s’effectuera au bois de Piquet, près du château de Pondres [].

Un attardé du groupe se présente seul sur le pont ; les sommiérois armés le font prisonnier et le conduisent à la mairie.

Sur ces entrefaites, un nouvel arrivant est signalé : on veut aussi l’arrêter ; il se défend, tire en l’air et donne l’alarme au gros de la troupe qui suit.

Bien qu’en retraite, elle est très bien armée et la discipline règne toujours. La bagarre éclate. Les sommiérois se hâtent de décamper.

Pensant que Sommières est un point de résistance, les Allemands s’organisent : à partir du Faubourg ils se divisent en trois groupes.

Le premier attaque de front en franchissant le pont. Le deuxième déborde la ville en traversant Vidourle aux passes de la Grave. Le troisième emprunte les passes de Garanel.

Des mortiers sont mis en batterie place des Aires et ouvrent le feu sur la ville.

Le groupe des passes de Garanel atteint rapidement le sommet de la Coustourelle. Il tire lui aussi sur la ville ; les obus de mortier pleuvent mettant le feu aux herbes sèches et aux buissons. Les armes crépitent dans tous les coins de la ville : on ne sait plus qui tire sur qui.

Dans l’affolement général, les Allemands s’aperçoivent qu’ils se mitraillent les uns les autres.

Un officier, depuis la place du Bourguet, aura beaucoup de peine à stopper les tirs.

Au cours de la bataille, Félix Roudil armé d’un pistolet 6,35 mm est littéralement coupé en deux par une rafale d’arme automatique près du monument aux Morts.

Joseph Marco est abattu au bas du pont, ainsi que Marcel Galibert qui sortait de chez lui, route de Montpellier pour voir ce qui se passait.

Ces trois morts seront complètement inutiles.

Pendant ce temps, répandus en ville, les soldats frap-pent aux portes, fouillent des maisons, prennent des otages, quatre-vingts environ, essentiellement des hommes qui sont rassemblés près de la cave coopérative de Villevieille. Les officiers se concertent.

Une partie importante de la colonne qui stationnait près du cimetière et des Aires se joint aux hommes qui ont opéré en ville. Au passage ils prennent eux aussi des otages et incendient la maison de Mr Naudy (qui habitait avec sa famille une aile de la maison Crouzet) route de Saussines.

Voici le témoignage de V. Naudy qui a vécu ces moments pénibles :

« Quand Mr Benoît (Fauvette) a dit qu’il ne fallait ab-solument rien faire dans Sommières, j’étais à ce moment là sur le pont. Je suis vite rentré chez nous.

Les Allemands ont commencé à arriver et ont installé au croisement de la route de Saussines et du chemin de la Royalette un mortier qui tirait sur la ville.

Ils sont entrés dans la maison, ont fait sortir notre chèvre et ils ont commencé à mettre le feu, ce qui était facile car nous avions des fagots et le plancher était tout en bois ; le feu a pris rapidement. Nous étions cachés dans la cave et nous avons dû l’évacuer rapidement.

Les Allemands ont mis le feu chez nous car ils avaient un des leurs, mort devant notre porte. C’était environ 17h, 17h30, il faisait du vent du nord ; ils n’étaient pas gênés par la fumée.

Ils nous ont pris, nous ont séparés des femmes et nous ont obligés à marcher devant eux comme bouclier : il y avait mon frère Jean, mon frère André, MM Paut, Raoul Dorte, Lauret, Louis Galibert, le jeune Causse. Au bas du pont nous avons vu Marcel Galibert qui était mort, il était allongé au milieu du croisement.

Quand nous sommes passés sur le pont, les Allemands qui étaient sur les passes nous ont mis en joue avec leurs fusils ; un de leurs soldats leur a fait signe de ne pas tirer.

Ils nous ont alignés devant la porte de la mairie, un fusil mitrailleur posté en face sur le trottoir ; nous étions complètement entourés d’Allemands. Nous étions une douzaine, je me trouvais au milieu.

Ils avaient aussi pris le docteur Paulet qui venait de faire une visite, et comme il était toujours habillé de kaki, ils avaient crû qu’il était le chef du maquis. Il y avait aussi Barin le pharmacien ; quand il nous avait vus alignés, il était descendu de chez lui pour parlementer. Ils l’avaient aligné lui aussi.

Les Allemands voulaient voir le maire. Boutaren est parti avec un drapeau blanc pour aller le chercher (Mr Aumeras faisait alors fonction) mais nous ne l’avons plus revu.

Ensuite Mr Galibert est parti avec le drapeau blanc, nous ne l’avons plus revu lui aussi. Alors ils m’ont pris, mais les choses ne se sont pas passées de la même façon : je suis parti avec deux gars et la mitraillette dans le dos. Nous avons descendu tous les quais, le capitaine allemand et un jeune soldat. Nous avons pris la rue Neuve (gal Bruyère) jusqu’à la place du Bourguet, car le maire habitait là.

Il y avait des fils électriques partout dans la rue et l’Allemand me poussait pour me les faire éviter.

Le maire, comme beaucoup de sommiérois, était parti à Villevieille ; je l’ai expliqué au capitaine qui parlait parfaitement le français. Ce qu’il voulait c’était des camions et de l’essence pour pouvoir continuer la route.

Je suis revenu au pont l’expliquer aux autres. Mr Lauret qui était camionneur, a informé l’officier allemand qu’il n’avait plus de camions, mais un peu d’essence qu’il avait cachée à cause du maquis(!). Il disposait de cinquante litres environ qui nous ont sauvé la vie.

Ils nous ont pris deux par deux, toujours la mitraillette dans le dos et nous avons retraversé le pont. Nous sommes allés chez Lauret chercher l’essence. Ils nous ont fait rentrer chez Galibert [] nous obligeant à distribuer des bières et des limonades aux soldats de la colonne qui s’était remise en route. Ils nous lançaient les bouteilles vides.

Avant de démarrer ils ont enfermé mon frère André, Raoul Dorte, Lauret et Causse dans la maison Paut et ils y ont mis le feu.

Comme c’est une maison qui a des grilles à toutes les fenêtres, il leur était impossible d’en sortir. Quand le feu a commencé à gagner, ils sont montés au pailler où ils ont trouvé une corde ; Lauret qui était jeune et sportif s’est fait faire la courte échelle, il a attaché la corde à une poutre, a soulevé des tuiles et par le toit ils ont pu s’échapper vers le terrain de football.

La nuit était tombée, avec mon frère Jean nous avons jugé que c’était le moment de filer. Nous avons sauté le mur vers la Royalette, rampé jusqu’au tennis et nous sommes cachés dans un demi-muids auquel il manquait le fond.

Nous avons entendu des voix qui parlaient français : c’étaient mon frère, Lauret, Dorte et Causse.

Nous avons sauté chez Crouzet ; la maison brûlait toujours ; à l’aide d’une échelle posée sur une table, nous avons grimpé jusqu’à une chambre. Les autres nous ont fait passer un tuyau et avons arrosé les murs comme nous avons pu. Tout était calciné ; nous avons essayé de sauver ce que nous pouvions.

L’échelle par laquelle Lauret descendait, un sommier sur le dos s’est cassée ; il s’est retrouvé à terre.

Pour redescendre nous avons attaché le tuyau à un lit et nous nous sommes laissés glisser.

Avec ma mère nous nous étions donné rendez-vous au mazet de Trochessec du côté de Massanas où nous nous sommes rendus par la Royalette et les bois de Gajan. Chaque lapin qui détalait nous donnait une sacrée frousse.

Vers minuit nous sommes arrivés au mazet que louait alors Martinez. Nous avions froid et nous pensions qu’un peu de feu nous ferait du bien. Mais comme la colonne circulait toujours sur la route proche de là, nous avons renoncé et bien nous en a pris car Martinez avait caché dans le tuyau du poêle son fusil et toutes ses cartouches !!!

Vers neuf heures nous sommes rentrés à Sommières ; tout le monde nous cherchait ; il n’y avait plus d’Allemands.

Une petite anecdote : quand nous étions cachés dans la cave, nous avions près de nous deux cochons dans une cave voisine. Le bruit du mortier les a fait grogner : les Allemands leur ont lancé une grenade qui a explosé entre deux murs. Ils n’ont pas été tués ; par contre le lendemain ils l’ont fait pour les manger ».

Revenons en arrière : vers 21 heures, la troupe se scinde en deux et se remet en marche. Un groupe par la D 22 continue vers Souvignargues et Uzès ; l’autre, poussant devant lui les otages de la cave coopérative, emprunte la RN 110 di-rection Crespian et Alès.

Arrivés au passage à niveau n° 35, à 1,5km de la ville, comme rien ne se produit, les otages sont renvoyés.

Heureusement pour eux car un groupe du maquis est caché dans le bois 200m plus loin.

En fait, il y a trois groupes de FFI de Rascalon répartis dans les bois de Pondres ; le quartier général est au château, de Zutter a investi le bureau de Mr Pécoud.

Négligeant l’avis de Fauvette, le groupe du bois de Piquet n’est armé que d’une mitrailleuse. Dès que les Allemands approchent, il ouvre le feu ; les soldats surpris ripostent vivement. Les maquisards, trop peu nombreux, soixante-dix environ, trop peu armés aussi, s’évanouissent dans les bois, le lit du ruisseau Aygalade, le vieux village de Pondres.

Toute la nuit, l’ennemi assez désemparé, ignorant des forces en face de lui, va rester sur le qui-vive, tirant au moindre bruit.

Malgré tout la colonne poursuit lentement sa retraite, tandis qu’au loin, dans la nuit, les herbes de la Coustourelle finissent de brûler.

Au matin, les maquisards, auxquels se sont joints les résistants sommiérois et quelques ouvriers « de la onzième heure », reprennent position le long de la route : des Allemands retardataires qui circulent encore, sont sommés de se rendre : la plupart obéissent et sont conduits au château ; les autres sont abattus.

Des avions Alliés patrouillent dans le ciel ; l’un d’eux, un Anglais, apportera son aide en piquant et mitraillant la route.

D’autres accrochages se produisent tout le jour dans le secteur. C’est en se rendant, armé d’un fusil, chez son patron à Souvignargues, que Paulet Aimé cultivateur célibataire, est abattu quartier Ricardelle. Le corps, en pleine décomposition, sera découvert plus tard.

Ce même vendredi 25 août, une nouvelle colonne est an-noncée à l’entrée de Sommières ; forte d’un millier d’hommes en-viron, elle arrive par la route de Saussines, se dirige vers Salinelles où elle établit son cantonnement.

Les soldats investissent le village à la recherche de remises, de caves où ils cachent leurs véhicules ; en peu de temps il n’y a plus aucun matériel visible dans les rues.

L’officier qui commande avertit la population qu’aucun mal ne lui sera fait si elle reste chez elle ; par contre, il compte parmi ses soldats un groupe de Mongols dont il n’est plus maître. Il ne faut surtout pas que les femmes se montrent.

L’une d’elles, poursuivie par quelques-uns de ces soldats, passera une partie de la nuit cachée dans un placard.

La colonne est fortement armée : en tête et en queue une batterie anti-aérienne de quatre tubes, des fusils, des mitrailleuses, des bidons d’essence. Elle possède des vivres en nombre important : pain, chocolat, café, sardines, cigarettes.

La nuit s’écoule tranquillement, la population n’est pas inquiétée.

Le 26 au matin, de Zutter qui ne s’éloigne guère de son PC, expédie en mission Fauvette et Charly [] afin qu’ils évaluent les forces stationnées à Salinelles.

Ils revêtent des habits civils et au moyen de la 11 CV, ils se dirigent vers le village ; au bas de la côte ils essuient le feu d’une mitrailleuse placée en avant poste. La voiture bifurque rapidement, traverse Vidourle et se met à l’abri derrière la gare. C’est à pied qu’ils poursuivent leur mission.

Dans les taillis, Charly surprend un sous officier allemand qui affirme que ses compagnons veulent se rendre ; il peut même amener deux officiers avec qui discuter. On le laisse aller.

Peu de temps après il se présente effectivement accompagné de deux officiers ; le trio est conduit illico à Pondres (en passant par Sommières) auprès de de Zutter qui pose ses conditions.

La colonne restera stationnaire entre Salinelles et Lecques.

Tout matériel doit être livré intact.

Le ravitaillement allemand sera employé pour les pri-sonniers.

Les insignes de régiment seront enlevés.

Les gradés garderont les insignes distinctifs de leur grade.

Tous les prisonniers seront considérés comme prisonniers de guerre, sauf les criminels.

La troupe restera momentanément sous le commandement des officiers qui seront responsables de l’ordre et de la dis-cipline.

Toute infraction sera punie par les armes.

L’effectif est bien d’environ mille hommes.

De Zutter craignant que les Allemands se rendent compte de son maigre effectif, réclame d’urgence des renforts à Colas [] et Bouvreuil [10]. Fauvette et Charly raccompagnent les officiers au château de Salinelles après les avoir menacés d’une intervention de l’aviation Alliée.

Les Allemands discutent une bonne vingtaine de minutes ; nos deux sommiérois n’en mènent pas large. Une réponse leur sera donnée à 16 heures au pied de la colline de Montredon, au lieu dit Coulès. Ils s’en retournent à Pondres.

A 15h30, de Zutter, Fauvette, Charly sont déjà au point de rendez-vous ; les minutes s’écoulent, personne ne se présente. De Zutter donne l’ordre à ses deux compagnons d’aller prendre la réponse au QG allemand de Salinelles où ils se dirigent munis d’un drapeau blanc.

Aux avant-postes, un soldat se joint à eux et les conduit devant l’officier commandant la colonne qui longuement les interroge par l’intermédiaire d’un interprète alors qu’il comprend parfaitement le français.

Les officiers se concertent en allemand, puis sur un ordre, les deux maquisards sont reconduits par un soldat jusqu’à leur voiture. Celui-ci prend place dans le véhicule qui démarre en direction de Sommières.

Il les fait stopper au niveau du chemin qui conduit à la gare : « Vous direz à votre officier que nous ne pouvons pas nous rendre ». Puis il profite de l’opportunité pour déserter et disparaît dans la nature.

C’est la réponse qui est rapportée à de Zutter. Accompagné de ses deux hommes, il se rend à la gare de Sommières pour téléphoner au major Sharp [11] qui doit alerter l’aviation Alliée.

Il est convenu qu’un feu sera allumé sur les aires devant le château de Villevieille ; il servira de point de repère à l’aviation anglaise. Fauvette envoie Mr Labie enflammer branches et fagots qui ont été rassemblés. Les avions qui tournent dans le ciel repèrent vite la fumée ; alors un étrange ballet commence ; il durera une demi-heure environ.

Les cinq avions appartiennent aux transports britanniques HMS « Stackers » et « Hunter » ancrés au large des Saintes Maries de la Mer en compagnie des transports américains « Tulagi » et « Kassan-Bey (sic) ». Ce sont des « Seafires » des escadrilles 807 et 809 dont nous connaissons le nom de quatre pilotes :

Lieutenant Commandant l’escadrille Res,

Sub Lieutenant Fay,

Sub Lieutenant Moriss

Williand.

La route entre Salinelles et Lecques est prise en enfilade par le tir des avions qui attaquent en piqué ; les Allemands s’enfuient dans les bois de pins et la campagne environnante.

Lorsque le feu cesse, des voitures et des camions brûlent, des bidons d’essence explosent, des chevaux sont morts. Les soldats décident alors de se rendre, huit cent vingt-cinq au total, dont certains seront repris le lendemain et les jours suivants.

Venant de Castelnaudary avec les Allemands, trois femmes sont prises, une alsacienne et deux italiennes. Il ne leur sera fait aucun mal. Conduites à la gare de Sommières par Fauvette, elles sont dirigées vers Nîmes escortées par Martin.

Voici deux témoignages de salinellois qui ont vécu les évènements que nous venons de rapporter :

« J’habitais au moulin (à mi-chemin entre Salinelles et Lecques) et je savais qu’il y avait les Allemands au village ; je suis monté à la place rejoindre les collègues Lauze et Malassagnes. Nous assistions à l’organisation du départ du convoi.

Malassagnes qui tournait par là est revenu avec une caisse à moitié pleine de cigarettes américaines que les Allemands lui avaient données. Huit jours plus tard le Maquis les lui a confisquées !

La colonne a commencé à s’ébranler lentement car il y avait des chevaux ; c’est à ce moment-là que nous avons entendu les avions. Il n’y avait plus un soldat dans le village.

D’ailleurs ils n’avaient pas été agressifs ; il y avait même des Autrichiens qui écoutaient la radio anglaise et qui ont dit qu’il leur tardait que cette guerre finisse car ils en avaient assez.

Les avions sont arrivés du côté de Sommières ; une fois au-dessus de l’église, ils ont commencé à piquer en direction de Lecques ; ils formaient comme une sorte de huit.

Cent mètres avant le cimetière il y avait une DCA, c’est ce qu’ils visaient. Il y a encore des impacts de balles sur le mur.

Il a dû y avoir deux ou trois Allemands de tués ; les autres voulaient se rendre à des militaires.

Vers le pont de Quiquillan une bombe avait creusé un cratère dans une vigne ; on y a jeté des chevaux morts.

J’ai aussi vu un Mongol tué ; il avait plusieurs montres qu’il avait dû voler.

Quand la mitraillade a été finie, je suis retourné au moulin ; les Allemands se rendaient, jetaient tout : sous le tilleul il y avait des casques, des fusils. Ils s’étaient cachés dans l’écurie ; nous y avons trouvé des balles, des grenades, des fusils que nous avons balancés à Vidourle.

Tous les jours les prisonniers montaient de Sommières pour tout nettoyer et creuser des tranchées ; avec la chaleur ça sentait fort ». F. B.

« Les Allemands sont arrivés à Salinelles dans la nuit et ont commencé à taper à toutes les portes. Ils sont allés chez l’habitant surtout chez ceux qui avaient des remises ; ils ont enfermé tout leur matériel.

Le lendemain matin, vers huit heures, avec mon mari nous décidons de partir à Junas ; nous avions un vélo à deux. Des Allemands nous ont fait retourner : personne ne devait sortir du village. Nous nous dirigeons vers la place, mais soit à cause de l’émotion ou de la fatigue, j’étais enceinte, je m’évanouis.

On me couche au premier étage chez mes cousins. Riquet descend pour aller me chercher quelque chose à la maison lorsque, au pied de l’escalier, un Allemand l’attrape par le bras et lui flanque dans les mains une boîte de sardines et un paquet de café « pour la dame qui est malade ». Il y avait aussi des braves gens parmi eux.

Avec mon mari nous retournons à la maison. Tout d’un coup, vers quatre ou cinq heures, le portail d’en face s’ouvre, on sort un camion et petit à petit, la colonne se forme.

Et puis les avions ont été là ; on ne les avait pas entendus arriver. Riquet qui avait fait son service dans l’armée de l’air comme mitrailleur, était fou de joie…

…Ca a duré une demi-heure, les gens sont sortis et tout d’un coup nous avons vu arriver de la route de Lecques un groupe, ils étaient vraiment sales ; un officier qui tenait un bout de chiffon a demandé, dans un excellent français, s’il pouvait s’adresser à un officier. Et puis le Maquis est arrivé.

Nous avons eu une belle peur parce que la veille, un Allemand qui passait à moto a été tué par un maquisard qui devait être caché par là ; les gens se sont précipités et on l’a transporté à la mairie. La population craignait que les autres le trouvent et incendient le village. Il sera enterré plus tard au cimetière.

Les soldats Allemands étaient terrorisés, ils cherchaient à s’enfuir et se sont conduits normalement ». AL .

Le nombre des tués est assez imprécis et va de trois à vingt, enterrés à Salinelles ou Lecques.

Beaucoup des chevaux sont abattus, de nombreux véhicules incendiés, mais surtout, des munitions sont récupérées en grand nombre ainsi que de la nourriture et des cigarettes. La DCA n’a tiré qu’une seule fois ; les servants ont été tués sur place.

Les blessés, une cinquantaine environ, sont soignés à l’Hospice ou au Pensionnat Maintenon.

Les prisonniers sont conduits à Sommières et réunis dans les Ecoles de Garçons et la salle de cinéma. Ils sont méticuleusement fouillés, car certains ont conservé des armes cachées sur eux.

Beaucoup ont mangé des raisins verts et souffrent de dysenterie. Ils posent un grave problème de nourriture aux gens du Maquis. C’est la raison pour laquelle, après avoir dégagé la route Salinelles-Lecques, on les achemine à pied, le 30 août, jusqu’à Montpellier.

A Castries, le Duc, leur fera servir à boire et à manger, ainsi qu’à leur escorte.

Plusieurs officiers avaient déjà été conduits au chef-lieu du département pour y être interrogés.

Pendant ces quelques jours, l’ambiance en ville est in-descriptible : on s’attroupe, on circule, on commente, les résistants de la dernière heure sont nombreux, on pavoise. Drapeaux français, américain, faucille et marteau, oriflammes de toutes sortes décorent fenêtres et balcons.

Le 28 août, un petit commando d’éléments du général Brosset fait son apparition et se rend à la mairie. On entoure les soldats, on les fête, on les embrasse ; c’est du délire.

Sommières est libérée.

Le mardi 29 août, c’est le grand défilé en ville.

L’émotion passée, il va falloir régler les comptes. »

Je me suis inspiré, entre autres, témoignages d’une série d’articles parus dans « Midi Libre » des 28, 29, 30 août 1964. Aimé Vielzeuf, historien de la Résistance dans le Gard, dans son ouvrage « Les Bandits », publié en 1967 chez Peladan à Uzès, reproduit lui-même [12], un passage du texte : « L’Amirauté britannique m’ayant donné le 22 mars 1947, tous renseignements utiles, je puis donc ajouter le paragraphe suivant, ce que je n’avais pu faire lors de la remise de cet historique le 6 septembre 1944.

« Grâce à l’intervention aéronavale alliée en provenance de deux transports américains « Tulagi » et « Kassan-Bay (sic) » et des transports britanniques H.M.S. « Stackers » et « Hunter » qui, pendant les opérations restèrent ancrés au large des Saintes Maries-de-la-Mer, nos dispositions de combat et d’anéantissement eurent une efficacité complète.

Les escadrilles britanniques numéro 807 et 809 armées de « Seafires » effectuèrent pendant 25 mn un bombardement d’une précision remarquable.

L’Amirauté britannique n’a pu communiquer que les noms des pilotes de l’escadrille 807. Ce sont : lieutenant commandant l’escadrille (A) Res R.N.V.R ; sub-lieutenant (A) Fay R.N.V.R ; sub-lieutenant (A) Moriss R.N.Z.V.R ; Williand R.N.R. »

Ainsi s’exprime de Zutter [13], chef des opérations du maquis dans le secteur et qui, pendant les évènements d’août, séjourne à proximité de Salinelles.

Je dois reconnaître que je n’ai pas vérifié l’origine des sources ; et, comme M. Vielzeuf, j’en ai accepté l’authenticité. [14

Or, voici quelques mois, se présente à Salinelles un ancien militaire de l’Armée de l’Air dont la venue bouleverse sérieusement une partie de ce que nous avons accepté jusqu’à ce jour comme l’histoire officielle. Mis en rapport avec ce monsieur, je me suis récemment rendu chez lui dans son charmant petit village proche d’Yssingeaux, Haute-Loire, où j’ai été reçu de la façon la plus cordiale.

Monsieur Marcel Ertel est un ancien navigateur aérien entré dans l’Armée de l’Air en 1952. A la retraite, dès 1983, il s’intéresse avec passion aux aviateurs disparus et oubliés ; depuis 1993 il enquête sur les « crashes [15] » des appareils de la 15ème Air Force en Italie et de l’US Navy lors du débarquement en Provence. Il travaille avec les Archives de l’US Navy, à Washington et a été mis en contact avec des pilotes survivants des « Squadrons [16] 01 et742 » de la « Task Force [17] 88/2 » commandée par l’Admiral C. T. Durgin.

Aidé de sa fille Anne-Marie, en coopération permanente avec d’autres chercheurs [18], M. Ertel a commencé par étudier les « crashes » de Firminy (Loire) et de Saint-Bonnet-le-Froid (Haute-Loire) : archives, témoignages, tant français, qu’anglais ou américains, enquêtes sur le terrain, fouilles, pour retrouver les restes d’appareils. A ce jour il « a bouclé 15 crashes pour la Royal Navy, et 6 crashes pour l’US Navy dans le sud, lors du Débarquement en Provence ».

M. Ertel est membre d’honneur des associations d’anciens pilotes américains avec qui il entretient d’étroites relations, et a reçu de nombreuses distinctions dont je ne citerai – eu égard à sa grande modestie – que les « Ailes d’Or » de l’US Navy, ainsi qu’une lettre témoignage de Reconnaissance du Président Bill Clinton. Il est considéré comme le spécialiste de ce volet de la guerre aérienne de la Deuxième Guerre Mondiale, d’ailleurs assez ignoré.

Les opérations « Préface » et « Dragoon »

Avant d’étudier plus en détails l’attaque du 26 août à Salinelles – Lecques, je résumerai brièvement la composition et les mouvements de la « Task Force 88/1 » sous les ordres de l’Admiral Th. Troubridge de la Royal Navy et de la « Task Force 88/2 » commandée par l’Admiral C. T. Durgin de l’US Navy.

L’opération « Préface » débute le 28 juin 1944 à 00h par la mise sous pression des machines, à la base de Norfolk [19], de l’USS TULAGI [20] (CVE-72), accompagné de l’USS KASAAN BAY [21] (CVE-69) escortés de l’USS GREER, de l’USS UPSHUR et de l’USS TARBELL. Direction Rhode Island, et le 1 juillet, la Méditerranée. Le 9, à 11h 05, passage du détroit de Gibraltar ; le 10, à 9h 23, amarrage à Mers el Kébir où sont aussi regroupés l’USS NEVADA, l’USS ARKANSAS, l’USS QUINCY, l’USS AUGUSTA, l’USS TUSCALOOSA et les destroyers Allyson, Rodman, Emmons, Gleaves, Niblack, Hobson, Forrest, Fitch, Hugues, Madison, Plunkett, Hilary P. Jones. Le port de la Valette, à Malte est atteint le 19, à 11h 11. Départ pour Alexandrie le 26 à 9h 35 ; arrivée le 28 à 18h 35. Ces mouvements ont pour but de faire croire aux allemands qu’un débarquement en Egypte se prépare.

L’opération « Dragoon » lui succède. Le 6 août à 7h 09 la flotte prend la direction de Naples et de Malte où elle jette l’ancre le 9 à 12h 31 dans le port de Marsa Scirocca. Enfin le 13, à 00h 00 l’armada, via la Tunisie, se dirige vers le sud de la France.

Lors de son arrivée en vue de la Provence, la flotte est ainsi composée :

Task Force 88/1 : 7 porte-avions anglais et les navires d’accompagnement. (Royal Navy) :

24 Seafire’s. Escort-Carrier HMS Kheidive 899 Squadron

24 Hellcat’s. Escort-Carrier HMS Emperor 800 Squadron

24 Willcat’s Escort-Carrier HMS Seacher 882 Squadron

24 Willcat’s Escort-Carrier HMS Pursuer 881 Squadron

24 Seafire’s Escort-Carrier HMS Attacker 879 Squadron

Task Force 88/2 : les porte-avions Tulagi et Kassan Bay de l’US Navy et les navires d’accompagnement, auxquels on a adjoint les deux petits porte-avions Stalker et Hunter de la Royal Navy :

24 Hellcat’s. Escort-Carrier USS Tulagi (CVE-72) Squadron One (VOF-VOC-01)

24 Hellcat’s. Escort-Carrier USS Kasaan Bay (CVE-69) Squadron 74 (VF-74)

24 Seafire’s Escort-Carrier HMS Hunter 807 Squadron

24 Seafire’s Escort-Carrier HMS Stalker 809 Squadron.

Soit un total de 315 pilotes, 216 appareils, 90 avions en réserve, 9 pilotes chasseurs de nuit équipés de F6F-5N Hellcat’s, 5 TBM-PBY, hydravions de reconnaissance basés à Ajacccio. Pertes : 20 pilotes tués au combat.

Les combats cessent le 29 août ; c’est le retour vers les USA : le 30, Ajaccio ; le 5 septembre Mers El Kébir, le 16 Rhode Island, le 18 octobre San Diégo, en Californie, ( la base du Pacifique). Enfin le 30 octobre, direction Pearl Harbour pour l’attaque finale de la marine japonaise au cours de laquelle d’autres pilotes seront abattus.

Dans le cas qui nous intéresse, il faut bien préciser que la Task Force 88/2 comporte les squadrons 74 et 01. Ceux-ci effectuent en quelques jours, plus de 800 missions : le 74, quatre cent trente deux ; le 01, quatre cent sept. Il s’agit de « straffings [22] » et non de bombardements, même si des bombes de faible puissance sont lâchées.

Le CVE-69 Kasaan Bay est lancé le 24 octobre 1943 par Kaiser Company Inc.de Vancouver, armé par la Navy le 4 décembre 1943, Captain B. E. Grow commandant ; c’est un cargo qui sera transformé en porte-avions de la classe du Casablanca. Il part à la ferraille en 1959 après avoir servi à Pearl Harbor, Guam, Ulithi, Hawaï et les Philippines.

Le CVE-72 Tulagi est lancé le 15 novembre 1943. De la classe du Casablanca, c’est lui aussi un cargo transformé en porte-avions. Il est cassé en 1947.

Les avions sont des GRUMMAN F6F HELLCAT et des GRUMMAN F4F-FM WILDCAT. [23

Le F6F est un chasseur monoplace équipé d’un moteur Pratt et Whitney R-2800-10 dix-huit cylindres en double étoile de 2000 CV. Envergure 13,05m ; longueur 10,2m ; hauteur 3,99m. Poids à vide 4 101kg ; vitesse maximum 605km/h ; taux de montée 990m/mn ; plafond 11 450m ; autonomie 1 755km.

Son armement standard comprend : six mitrailleuses Browning de 12,7mm dans les ailes extérieures, de 400 coups. Quelques appareils possédent deux mitrailleuses de 20mm, quatre de 12,7mm, des collerettes de fixation sous les ailes pour six fusées (rak bomb). Le premier vol date du 26 juin 1942.

Plus agressif qu’élégant, l’Hellcat est une véritable bête de combat. C’est un des atouts majeurs lors de la guerre du Pacifique. Il est produit à 12 272 exemplaires. Ces chasseurs détruisent 6 000 avions, dont 4 947 abattus par des escadrons embarqués sur les porte-avions de l’US-NAVY.

Le F4F-FM est lui aussi équipé d’un Pratt et Whitney à quatorze cylindres en double étoile de 1 050 CV. Envergure 11,6m ; longueur 8,81m ; hauteur 3,6m. Vitesse maximum 523 km/h : plafond normal 10 700m ; autonomie 1448km.

L’armement comprend deux Colt-Browning de 12,7mm dans le fuselage, quatre 12,7 dans les ailes extérieures, ainsi que des râteliers sous les ailes pour des bombes de 113kg.

Le premier vol date de septembre 1937 et la dernière livraison d’août 1945. Il sera entre autres utilisé en France par les FFL. C’est un appareil réputé pour sa puissance et sa maniabilité.

Au départ, biplan, il sera rapidement transformé en monoplan. Il posède la particularité d’avoir la trappe du train d’atterrissage située dans le fuselage.

Les Squadrons 01 et 74 n’ont jamais exécuté des missions avec des pilotes et des appareils (Wildcat’s et Seafire’s) de la Royal Navy. Par contre des appareils de la Royal Navy en « emergency [24] » se sont posés sur les porte-avions US et vice-versa, pour cause de fermeture du pont d’envol, des barrières d’arrêt hors d’usage, du « short petrol [25] », ou d’autres raisons.

Voici, à ce propos, le récit du LT Leland Sevum, officier mécanicien SQ 74 USS Kasaan Bay : « Les SQ One et 74 ont effectué de périlleuses missions de straffings sur des convois ennemis à moins de 50 feet (16m) , pour preuve, au retour des appareils, dont certains étaient criblés d’impacts et de structures à remplacer à la hâte. Nous effectuions pleins et réarmements et une sommaire révision ; nous trouvions de l’herbe et du gravier dans les entrées d’air des moteurs. Les plus endommagés, pilotes blessés, s’écrasaient sur le pont d’envol ou se posaient en mer près d’un destroyer. Le pilote avait 45 secondes pour évacuer l’appareil. Le LT Léo Horacek, ne put atteindre la flotte ; il fut secouru par un sous-marin. »

Un « flight [26] » de mitraillage compte en principe huit appareils. Seules quelques missions sont effectuées avec ce nombre, le plus souvent avec quatre ou cinq, voire six appareils, à cause du manque de pilotes.

Salinelles – Lecques

Cette flotte arrive au large de Toulon le 14 août 1944 vers 21h – 22h où elle reste ancrée à la limite de portée de tir des canons de marine, soit environ 100km.

Le « briefing [27] » avec les pilotes de chasse se déroule à deux heures du matin, et dès l’aube du 15 août, les appareils sont prêts pour le décollage. Leur zone d’action s’étend de la frontière espagnole à Toulouse, Vichy, Mâcon, la vallée du Rhône, Marseille, le bord de mer vers l’Italie, ainsi qu’une large bande de territoire jusqu’à Gap.

Les 15 et 16 août des formations de deux appareils effectuent des missions de « spotings [28] », c’est-à-dire d’observation et de réglage du tir des batteries des destroyers sur les batteries côtières allemandes. D’ autres appareils bombardent les îles et les batteries à l’intérieur des terres.

A partir du 17 ils détruisent des ponts, des nœuds routiers, ferroviaires, attaquent les convois routiers et ferroviaires.

Le 18, une formation du SQ 74 mitraille le terrain d’aviation d’Issoire. Le LT Edwin Castanedo, la tête brûlée du SQ 74 (Head burn) abat un Dornier 217 en vol, et laisse la vie sauve à l’équipage qui saute en parachute. Elle mitraille aussi le terrain d’Aulnat (aéroport de Clermont Ferrand), puis va « battre des ailes » au-dessus de Vichy.

Le 19, un P-47’s Tunderbolt de la 15ème Air Force, touché, se pose en mer près du Tulagi. Un pilote de la même unité le Lt Claude J. W. Remont (avion « Miss Déclic ») signale par radio qu’il aperçoit des canots de sauvetage en mer.

Au crépuscule du 22 ont lieu sur le Tulagi et le Kassaan Bay des cérémonies à la mémoire des pilotes tués au combat. Puis la Task Force 88/2 part pour Maddalena [29] et la Sardaigne afin d’ effectuer le plein d’essence pour les avions, se réapprovisionner en munitions, réparer les catapultes. Depuis le 19 les SQ 74 et 01 ont épuisé leurs munitions et ils sont ravitaillés par la Royal Navy.

Le 24, à l’aube, elle est de retour, prête à reprendre le combat. Le même jour, au crépuscule, sur les porte-avions de la Royal Navy ont lieu des cérémonies à la mémoire des pilotes morts au combat. La Task Force 88/1, à son tour, part pour Maddalena. Elle est de retour le 26, à l’aube, sur la zone de combats.

Parmi les pilotes des SQ 74 et 01 abattus, treize au total, je citerai :

LT John Dismas Franck, SQ 74 ; mitraillage de la RN à 7,5km de Saint Cannat. Ecrasé à « la Pile », 2km de Saint Cannat où il est inhumé. « Aviateur américain sans papiers ». Identifié par M. Ertel grâce aux restes de son avion Plane [30] 58 867, matricule porté sur l’acte de décès. 17 août.

LT CMDR Harry Brinkley Bass [31], officier commandant le SQ 74, abattu par des tireurs fous à Saint Bonnet le Froid (43). Plane 58 241. Un mémorial est érigé sur la propriété de M. Ertel. 20 août.

LT CMDR James Millard Alston, SQ 01 ; mitraille Pezens-Pennautier près de Carcassonne. Son appareil en feu, il saute en parachute près du village de Pennautier, trouve refuge dans une ferme. Plane 58 300. Il n’emporte pas un souvenir très agréable de son séjour en France. Trois jours après, récupéré par les troupes Alliées, il rejoint l’Angleterre, l’Irlande, les USA, le Pacifique. Forcé de se poser en mer au sud de Okinawa le 25 mars 1945 ; son corps n’est pas retrouvé. 20 août.

J’ai lu l’original du rapport des vols effectués par les appareils des SQ 74 et 01. Celui qui nous concerne plus précisément est le « Strafing flight n° 100 » [32], en date du 26, dont le « leader [33] » est LT CMDR William Floyde Bringle et qui dure de 15h 04 à 18h 53.

Il comprend six appareils : quatre du SQ 01 et deux du SQ 74, appareils spécialisés dans la chasse de nuit. La raison en est que les trente-cinq autres appareils du SQ 74 sont en l’air et que le mitraillage ne peut être effectué que par 4 avions de chasse uniquement et deux autres appareils.

Les pilotes suivent depuis le 20 août la colonne allemande en provenance de Toulouse [34] et l’ont déjà mitraillée à Villefranche de Lauraguais, Carcassonne, Béziers. Ils savent qu’elle tentera de remonter vers la vallée du Rhône. Il en est de même pour celle venant de Sète.

Les patrouilles qui rentrent (manque de carburant, de munitions, mission terminée) avertissent généralement ceux qui vont décoller de ce qu’ils ont vu sur le terrain. De plus, l’intervention téléphonique du major Sharp auprès des alliés et le feu allumé devant le château de Villevieille, indiquent aux pilotes que les allemands se mettent en mouvement, que le moment et le lieu sont propices pour une attaque. D’où la rapidité pour organiser un « flight » avec ce que l’on peut rassembler comme avions.

Participent à l’attaque (Mission 2 : 49)

Lt. CMDR Bringle

Enseigne Mc Keever

Enseigne Denison

Enseigne Skelly

Lt. Brown (VF-74)

Tiffany (VF-74)

La colonne comporte à l’avant et à l’arrière une pièce de DCA anti-aérienne (Flack) [35] que les pilotes tentent immédiatement de détruire, car cette arme cause chez eux de nombreux dégâts.

Le nez de l’avion du Lt. Brown est endommagé par la Flak. Il pose son appareil en mer. C’est le destroyer U.S.S. SHURBRICK qui le récupère. Le pilote est blessé.

On connaît la suite de l’affaire, la redditon des troupes ennemies aux gens du maquis tout proches.

Ce qui est absolument sûr, c’est qu’aucun avion anglais n’a participé à cette mission.

Et Sommières le 19 août ?

Le 19 août, en fin d’après-midi, des avions mitraillent un train de marchandises allemand en gare de Sommières. La locomotive est détruite, certains wagons prennent feu, des tonneaux d’huile, hélas de ricin ou de lin, sont percés et s’écoulent sur la voie. Par contre, deux citernes d’alcool pur sont épargnées. Le précieux liquide récupéré, servira de carburant pour les véhicules du maquis. Plusieurs témoins me l’ont à nouveau confirmé.

J’ai donc consulté le livre des missions du SQ 01 pour la journée du 19. Ce sera une des moins chargées. Par contre, le lendemain, le SQ 01 perdra deux pilotes et le SQ 74 trois pilotes.

Trois attaques ont lieu à 11h, 11h 30 et 12h :

à Altier, Lozère, sur la route de Mende à Villefort sur une colonne de 4 000 hommes.

en gare des Mazes le Crès, train TB2 transportant des Panzers Tigre Royal : la machine est endommagée. Celle du du TOC (train convoi occupation 15 108) est envoyée pour garer le train mitraillé à Sommières.

quelques minutes plus tard, ce train est à nouveau attaqué à Valergues – Lansargues. Une machine en provenance de Lunel récupère les restes.

La même matinée, huit Lightning P-38’s du 1 Fight, pilotes Hatch, Hoffman, Longworth, Jones, Schweicket, Jensen, Morris, St Jones, basés à Angio, Sardaigne, disposant chacun d’une bombe de 1 000 livres, attaquent le viaduc du Luech à Chamborigaud, sur la ligne St Germain des Fossés – Nîmes. Six bombes touchent l’objectif qui est endommagé ; la cinquième arche est détruite.

Le vol n° 47 retient particulièrement mon attention. Il se déroule de 18h 47 à 20h 20. Mission 1 : 35. Leader Lt CMDR Bringle. Pilotes : Mc Keever, Denison, Skelly.

« Attaque à la mitrailleuse d’un train près de Nîmes, une bombe et dix rockets atteignent le but. La locomotive est détruite et de dix à quinze départs de feu se produisent  [36« .

Ce jour-là, aucune autre attaque aérienne n’a lieu dans la région de Nîmes et celle consignée dans le « Report of Observation Fighter Squadron One » se produit en fin d’après-midi.

De là, conclure que ce sont ces quatre pilotes américains qui ont effectué le mitraillage à Sommières ? Les présomptions sont vraiment fortes.

Conclusion

Quelle conclusion tirer ? Anglais ou Américains ? Les documents mis à ma dispositin par M. Ertel proviennent du « Department of the Navy » à Washington et de « Squadron One et 74 Veterans Associations ». Ce sont des documents officiels, incontestables.

Un de mes amis de San Diégo (Californie) a pris contact avec le fils du LT CMDR Bringle [37] décédé il y a quelques mois à peine à l’âge de quatre-vingt-cinq ans. Ce dernier l’a mis en rapport avec l’historien spécialiste des Task Forces 88/1 et 88/2. Malheureusement, un courrier m’apprend qu’aucun des pilotes du flight 100 est encore vivant. Par contre, selon une lettre du Lt CMDR Robert’s Bentley LYON, une dizaine de rescapés du SQ 01 résident aux USA. Les photographies des aviateurs (voir annexes) datent du 8 août 1944, 9h 40. [38] Quant aux documents de l’Amirauté britannique, je ne les ai jamais consultés, ce qui ne veut pas dire qu’ils n’existent pas. Alors, Anglais ou Américains ? Je laisse le lecteur libre de son choix.

Que ce soit les uns ou les autres, ces pilotes sont venus parfois de fort loin pour nous libérer du joug ennemi ; beaucoup ont été blessés, beaucoup sont morts en survolant un bout de France qu’ils n’ont vu que d’en haut. Ils méritent notre admiration et notre reconnaissance.


Sources

Entretiens avec M. M. Marcel BENOIT, Marcel ERTEL.

Articles « Midi Libre » en date des 28, 29, 30 août 1 964.

Département of Navy. Washington.

Squadron One et 74. Veterans Associations.

Annexe 1

Compte-rendu d’opération

LT CMDR USNR [39] Edouard W. Olzewski

Squadron One (VOF – VOC – 01)

Escorte – Carrier USS TULAGI ( CVE – 72 )

« Opération Dragoon »

Landing Southern French

August 21 1944

Flight N° 64 8 F6F -5 Hellcats

14h 20 – 16h 55 Attaque à la bombe contre une concentration motorisée près de Remoulins. Soixante-dix véhicules sont détruits ou endommagés. Trente d’entre eux sont abandonnés en flammes. Au sud d’Arles, le Lt Olzewski (avion n°12) et l’Enseigne Yenser (avion n°8), séparés du reste du vol pour éviter la « flak » (DCA allemande) à Beaucaire, rencontrent et détruisent en vol 3 Junkers 52’s.

« La VOF – ONE avait pour première mission de régler les tirs des batteries navales (missions de spoting), afin de détruire les batteries côtières ennemies. Celles-ci étaient pratiquement toutes détruites, sauf quelques poches de résistance. Nos chasseurs bombardiers trouvèrent des cibles idéales, les concentrations de troupes motorisées allemandes convergeant vers la vallée du Rhône qui remontaient vers le nord.

Le 21 août, une formation conduite par le Lt CMDR Frédérick (Sandy) Schauffler se dirige vers la vallée du Rhône. J’étais en position N°3 et mon équipier, Richard (Bub) Yenzer en position N°4. Nous attaquons à plusieurs reprises, à 50 pieds du sol ( 16 m ), au sud d’Arles, une importante concentration.

Nos coups allaient droit au but et les explosions remontaient jusqu’à nous. La flak était déchaînée. Lors d’un passage, je ressentis un coup et je vis un trou dans mon aile droite. Bub signala à la radio qu’il venait d’être touché. Nous quittons la zone de combat pour évaluer les dégâts de nos appareils.

Pour ma part, je pouvais continuer le combat. Je vis beaucoup de trous dans le cockpit de Bub ; je lui dis : « tu as bien failli être blessé, tu reviens de loin. » Il répondit : « oui », et il brandissait un morceau du haut de son appuie-tête.

Nous reprîmes le combat, les obus de la flak explosaient au-dessus de ma tête et je reçus des projectiles dans mes ailes. Nous effectuions un virage serré pour éviter la flak ; nous étions à 1000 pieds ( 340 m). Pendant ce virage, nous regardions en bas, et, au-dessous, je vis 3 Junkers 52’s, cap sud.

J‘étais en bonne position de tir sur l’avion de droite ; je fis feu. « Bon sang ! Merde ! » mes mitrailleuses avaient été endommagées durant le staffing (mitraillage). Ma cible descendait ; l’un des deux autres Junkers avait la fente en haut. Bub prend le second en chasse ; heureusement il peut encore avoir le troisième qui est à côté, légèrement plus haut, le touchant au moteur droit.

Avec seulement une mitrailleuse, je peux toucher le premier à l’hélice. A ce moment-là j’étais relativement perdu, et j’étais séparé de Bub par la fatigue de la mission.

J’étais environ à quelques 5 miles de l’avion de Bub ; j’étais descendu et remonté en espérant rejoindre Bub, mais à 1000 pieds ( 340 m) le ciel était noir par les tirs de la flak. Je me dirigeai vers le sommet des arbres ; je ressentis un autre choc : certains de mes instruments étaient sur le zéro et je vis un autre trou dans mon aile. J’appelai Bub et je lui dis : « Cela pourrait finir mal ; nous rentrons à la maison. » et je me dirigeai vers le sommet des arbres.

Mais comme je volais en dénivelé, dehors je ressentis un autre grand choc. Mes instruments étaient toujours sur le zéro et j’avais un autre trou dans mon aile. Bien qu’un peu perdu, je savais que la Méditerranée était au sud. Je restai à très basse altitude, au niveau des arbres, pour atteindre la mer, afin d’éviter la flak. Je cherchai la mer ; je pris un peu d’altitude pour l’apercevoir.

A ce moment-là, je vis de l’huile qui remontait dans le cockpit et mon inquiétude revint. Je remontai à 1 000 pieds ; au moment où je prenais ma route, je vis vers le bas, venant sur moi, un Seafire. Le F6F -5 a la même silhouette que le Folke-Wolfe 190, et dans cet unique endroit il y avait 48 F6F -5 qui évoluaient dans cette zone, et je me sentis soucieux. Il pourrait me faucher. Visiblement, il reconnut mon identification.

Mon porte-avions, l’USS Tulagi cessa alors le silence radio et brièvement me donna un cap et distance pour le rejoindre, et je vis la Task Force. Etant à court de carburant et mes instruments moteurs endommagés, cela me donnait priorité à l’approche. L’atterrissage fut délicat, mais sans incident.

Bub Yenzer a rejoint la formation et a atterri 45 minutes plus tard : son avion avait 28 impacts dont trois dans les réservoirs d’essence.

Son avion et le mien ont volé à nouveau le jour suivant. Bub Yenzer a reçu la « Purple Heart » (cœur violet) pour les coups qu’il avait pris dans sa verrière et les entailles au cuir chevelu.

Il y avait eu une contreverse durant le « débriefing [40] ». J’avais énoncé que durant le combat aérien, des balles traçantes montaient vers moi, et je pensais, moi aussi, que le JU 52’s n’avait pas d’armement, qu’il était seulement utilisé comme avion de transport.

Toutes les photos que j’avais vu ultérieurement semblaient prouver cela.

Cependant, en 1995, sur une chaîne de TV, il y avait l’histoire complète du JU 52’s, sous la forme de son premier emploi, durant la guerre civile d’Espagne.

Cet appareil était un bombardier. Les images montraient clairement les mitrailleuses installées sur cet appareil. Cela vint confirmer ce que j’avais réellement vu lors du flight N° 64 avec mon équipier Richard (Bub) Yenzer.